Petites remarques sur les moments documentaires d un grand pays - article ; n°1 ; vol.71, pg 233-243
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Description

Communications - Année 2001 - Volume 71 - Numéro 1 - Pages 233-243
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2001
Nombre de lectures 18
Langue Français

Extrait

Mr Jean-Paul Colleyn
Petites remarques sur les moments documentaires d'un grand
pays
In: Communications, 71, 2001. pp. 233-243.
Citer ce document / Cite this document :
Colleyn Jean-Paul. Petites remarques sur les moments documentaires d'un grand pays. In: Communications, 71, 2001. pp. 233-
243.
doi : 10.3406/comm.2001.2086
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2001_num_71_1_2086Jean-Paul Colleyn
Petites remarques
sur les moments documentaires
d'un grand pays
J'ai eu la chance, grâce à une bourse de l'American Museum of Natural
History, de passer l'année 1998 à New York pour réaliser une étude sur le
cinéma documentaire dans ses liens avec les sciences sociales. J'ai écume les
festivals, fréquenté les bibliothèques (souvent ouvertes jusqu'à minuit I),
visionné quelque quatre - cents filins, donné un cours d'anthropologie
visuelle à l'université de New York, bref, j'ai vécu dans le « milieu document
aire » de New York et y suis retourné fréquemment depuis. Là-bas comme
ici, le film documentaire est un genre minoritaire, tant par la forme que par
les idées qu'il véhicule. Minoritaire, toutefois, ne veut pas dire confidentiel,
car dans une ville « globale » comme New York les publics spécialisés
regroupent pas mal de monde. Quelques documentaires très différents par
le style, comme The Thin Blue Line d'Errol Morris (troublant et sophisti
qué), The Civil War de Ken Burns (sérieux et classique) ou Roger and Me de
Michael Moore (sensationnaliste et engagé), ont eu une plus large audience
que de nombreux films de fiction. L'Université, en outre, a presque fait du
documentaire un champ disciplinaire, avec plus d'une vingtaine de livres
publiés en anglais depuis 1990 1.
Parmi les films portant sur la vie des hommes en société, on peut
distinguer . trois catégories. Nous avons d'abord l'énorme masse des
productions commerciales - hagiographiques, directes, simplificatrices,
pédagogiques et politiquement correctes. À l'autre extrémité se situent
des productions plus , confidentielles - hyper-critiques, créatives, comp
lexes et transgressives. Entre les deux prennent place des œuvres réfor
mistes, classiques, engagées mais sans excès. La première catégorie est
directement financée par les chaînes de télévision, les deux autres le sont
le plus souvent par des fondations ou des institutions publiques. Aussi
étonnant que cela puisse paraître pour un pays qui passe pour soumettre
la culture aux strictes lois du marché, on ne peut comprendre le paysage
233 Colleyn Jean-Paul
documentaire américain sans prendre en compte l'intrication des enga
gements d'artistes citoyens, de sponsors privés et des services publics.
Les faiseurs de documentaires manifestent en général des préoccupat
ions sociales, sinon ouvertement politiques. Aux États-Unis, ce sont des
francs-tireurs, qui trouvent des diffuseurs grâce au bruit fait autour de
leurs films lors des festivals ou des multiples cycles de projection. Ils
savent que l'immense majorité des productions télévisées est directement
ou indirectement contrôlée par de grands conglomérats financiers, mais
tentent, chaque fois qu'ils le peuvent, d'insérer un coin dans les fentes
du bois. Ce sont des artistes ou des auteurs « conscientisés », qui ne
diffèrent pas beaucoup de leurs homologues européens 2.
Erik Barnouw3, un vétéran de la critique documentaire, classait, sur le
fil du temps, les documentalistes en prophètes, explorateurs, reporters,
peintres, avocats, clairons, juges, poètes, , chroniqueurs, publicitaires,
observateurs, catalyseurs et guérilleros. Aujourd'hui, les documentalistes
sont encore un peu tout cela et nombre d'entre eux combinent plusieurs de
ces qualités. Leur positionnement fait débat, non seulement dans les festi
vals mais dans les nombreuses programmations d'art et d'essai, qui foison
nent à New York. Fait remarquable, dans ces rencontres comme dans les
livres précédemment cités (voir note 1), le débat actuel convoque toujours
l'histoire du documentaire, avec ses incunables, ses chefs-d'œuvre mécon
nus ou en voie de légitimation et ses objets mal identifiés. On a affaire à un
paysage balisé par les buttes témoins épargnées par l'érosion des séries
commerciales qui s'emparent de toutes les niches possibles.
Le temps des prophètes enthousiasmés par la technique cinématogra
phique était marqué par une féroce rivalité franco-américaine : Lumière
contre Edison. Parmi les explorateurs, une carrière américaine paraît
aujourd'hui exemplaire, en ce qu'elle préfigure les grandeurs et les travers
du genre documentaire lui-même : celle de Robert Flaherty (1884-1951).
Entre 1910 et 1916, Flaherty travaille comme géologue-prospecteur
dans le Grand Nord canadien, puis il consacre un an à archiver sur
film la vie quotidienne d'une famille inuit (vulgairement appelés Esqui
maux). Son film, Nanook of the North, qui sort, non sans mal, en 1922,
fait un triomphe.
Le talent de Flaherty ne fait aucun doute, mais sa vie et ses méthodes
en font aussi le précurseur des compromissions par lesquelles passent bien
souvent les réalisateurs de documentaires. Flaherty, déjà, . dépend de
« sponsors » : il doit son financement à une maison de fourreurs, les frères
Révillon. Est-ce la raison. pour. laquelle Nanook arbore dans le film un
splendide pantalon en peau d'ours blanc que les Inuits ne portaient plus
guère ? Les esprits mal tournés le pensent. Flaherty était. un romantique
sincère, qui préférait le rêve au réel, mais c'était aussi un conteur, qui
234 Petites remarques sur les moments documentaires d'un grand pays
anticipait les réactions des spectateurs, comme le font aujourd'hui les
gens de télévision, et leur fournissait des images conformes à leur désir.
On sait que Nanook ne s'appelait pas Nanook, que les femmes de Nanook
dans le film ne l'étaient pas dans la vie, que Nanook ne vivait pas en
autosubsistance mais vendait des fourrures, que Flaherty a fait construire
un demi-igloo pour tourner en lumière du jour avec un recul suffisant,
que la scène de la chasse au phoque est truquée, que celle où Nanook,
intrigué par la musique, mord dans le disque de vinyle est mise en scène,
etc.*, etc. 4. Flaherty poussait assez loin l'idée de création documentaire,
une expression qui n'est qu'apparemment un oxymoron. Comme certains
réalisateurs de documentaires aujourd'hui, il transformait la « réalité »
chaque fois qu'elle le contrariait, ce qui ne l'empêche pas d'être considéré
comme le père du cinéma ethnographique. Jean Rouch, le maître français
du genre, lui aussi plus grisé par la poésie que par les austères traités, ne
cesse de reconnaître sa dette envers celui que les Inuits appelaient le Grand
Gaucher. En fait, l'auteur de Nanook nous pose encore, sans le vouloir,
une question qui est loin d'être anodine : dans quelle mesure un auteur
documentaire a-t-il le droit d'enjoliver ce qui se passe devant sa caméra ?
Parmi les hauts faits documentaires américains, il faut citer les œuvres
des film and photo leagues, puis des fronder films, qui, à partir de 1930,
documentent les marches contre la faim, les grèves, les occupations
d'usine, les expulsions et les saisies dont sont victimes les plus pauvres. Une
génération d'artistes engagés d'une exceptionnelle qualité (les Leo Hur-
witz, Ralph Steiner, Paul Strand, Herbert Kline, Sidney Meyers, Willard
Van Dijke, Walker Evans, Dorothea Lange, Carl Mydans, Ben Shahn, Pare
Lorentz, et j'en passe) dénonce la loi d'airain économique, en travaillant
dans le même esprit et plus ou moins de concert. On ignore souvent que
c'est à une politique très sociale-démocrate difficile à imaginer dans les
Etats-Unis d'aujourd'hui — à savoir la création, par le président Franklin
D. Roosevelt, d'unités photographiques et cinématographiques dans cer
tains ministères — que l'on doit ces œuvres aujourd'hui canonisées. Face à
la menace nazie, l'armée américaine elle-même se met à produire des
films, demandant à Frank Capra, un maître de Hollywood qui n'a jamais
fait de documentaires, d'en réaliser plusieurs pour expliquer aux recrues
américai

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