Politique et Société - article ; n°1 ; vol.22, pg 119-133
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Description

Communications - Année 1974 - Volume 22 - Numéro 1 - Pages 119-133
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1974
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jean Baechler
Politique et Société
In: Communications, 22, 1974. pp. 119-133.
Citer ce document / Cite this document :
Baechler Jean. Politique et Société. In: Communications, 22, 1974. pp. 119-133.
doi : 10.3406/comm.1974.1343
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1974_num_22_1_1343Jean Baechler
Politique et Société
s J'avais vu que tout tenait radicalement à la poli
tique, et que, de quelque façon qu'on s'y prit, aucun
peuple ne serait jamais que ce que la nature de son
gouvernement le ferait être. » (J.-J. Rousseau, Confess
ions, Pléiade, p. 404).
Si j'ai bien saisi l'esprit de ce numéro spécial, on nous demande de nous livrer
à des révisions fondamentales en matière d'interprétation des sociétés humaines.
C'est à la fois nous inciter à prendre des risques et nous proposer un exercice
agréable. Car il est toujours risqué d'embrasser des problèmes immenses, dont il
n'est pas certain qu'il soit légitime de se les poser. Je ne suis pas sûr que cela ait
grand sens que de demander ce qu'est une société, car, ou bien l'on aboutit à des
truismes, ou bien l'on s'engage dans des conceptions qui échappent à toute véri
fication empirique. C'est précisément le côté agréable de la chose, car il y a un
charme certain à abandonner de temps à autre la rigueur des recherches locales,
pour donner libre-cours à l'imagination scientifique et faire comme si notre enten
dement n'était pas déplorablement limité.
J'en demande à l'avance pardon au lecteur, je vais me laisser aller à de la spé
culation intellectuelle pure, avec l'espoir fugitif qu'elle ne soit pas tout à fait
gratuite. Le problème visé peut s'énoncer à peu près dans les termes suivants. Si
l'on convient d'appeler société une réunion d'individus ou de groupes, qui éta
blissent entre eux des liens spécifiques, il est permis de s'interroger sur la nature
du ou des facteurs qui font que ces liens soient tels et non autres. Ou, pour être
moins imprécis, qu'est-ce qui fait que les hommes entrant en société choisissent
de régler de telle manière déterminée les rapports entre les sexes et l'éducation des
enfants ; d'user de tels procédés pour subvenir à leurs besoins ; d'introduire telle
hiérarchie entre eux; d'adopter telle interprétation mentale de la condition
humaine; de se plier à telles règles du jeu dans leurs relations quotidiennes; etc.
On soupçonne — c'est l'axiome premier de toute science des sociétés — que toutes
ces particularités ne surviennent pas au hasard, mais doivent pouvoir être rame
nées à quelques principes simples et généraux. A moins que l'on ne décide que
chaque arrangement singulier est à la fois contingent et unique, de sorte que
l'enquête ne peut être que ponctuelle. Dans ce dernier cas, il est vain de prétendre
trouver des propositions générales; on peut, tout au plus, essayer de comprendre
le mode de fonctionnement de la cité grecque, de l'empire chinois, des Bororo, etc.
119 Jean Baechler
Une telle position — qui a forcément la préférence des hommes de terrain, je veux
dire les historiens ou les ethnographes — repose sur une méconnaissance évidente
de l'activité rationnelle. Il est strictement impossible, je ne dis même pas de
peser, mais simplement de percevoir un trait quelconque d'une société quelconque,
si l'on ne dispose pas d'au moins un point de comparaison dans une société diffé
rente. Or la comparaison, à son tour, n'est rendue possible qu'en rapportant ce
qui est à comparer à une abstraction qui la fonde. La simple perception des méca
nismes politiques à Athènes suppose la connaissance de mécanismes politiques
ailleurs qu'à Athènes, et la mise en rapport des deux séries de faits repose sur le
concept même de mécanismes politiques K
Notre entendement est ainsi fait qu'il ne peut fonctionner sans comparatisme
et que le comparatisme n'est rendu possible que par la production de concepts
par l'entendement. Il suit qu'il n'est pas illégitime, sur le plan des principes du
moins, d'établir des comparaisons, non plus entre des traits sociaux isolés, mais
entre les sociétés elles-mêmes. Le concept unificateur est ici celui de a système
social », par quoi l'on pose que tout ce qui compose une société est de quelque
manière lié, bref que la société forme une totalité. Sauf à se condamner à tourner
perpétuellement en rond, force est de trouver un fondement à cette totalité.
Autrement dit : quel est le principe qui fait que les sociétés sont ce qu'elles sont,
à savoir des réunions d'individus ou de groupes, capables de durer, c'est-à-dire
de se reproduire elles-mêmes à travers les générations?
Il me semble que si l'on soumettait cette question à un sondage d'opinion
auprès de ceux qui s'occupent de sciences sociales, la quasi-totalité — outre les
refus de répondre, de la part de ceux qui considèrent que de telles questions
n'ont pas grand sens, et je me rangerais personnellement peut-être à leur avis —
la quasi-totalité verrait le principe ultime dans l'économique. Je suis persuadé
que Marx ne porte qu'une responsabilité infime dans cette conviction. Elle se
nourrit plus probablement d'un fait massif, à savoir le développement prodi
gieux des forces économiques à partir du xixe siècle et les conséquences évidentes
qu'elles ont imprimées au paysage social. A supposer que les sociétés occidentales
contemporaines soient caractérisées par un primat tendanciel de l'économique,
il serait pour le moins hasardeux d'étendre l'hypothèse aux autres sociétés. Une
constatation banale suffit à rendre sceptique. Alors que les systèmes agraires
sont en nombre très limité et constitués par des éléments très proches, ils ont
porté des sociétés d'une diversité prodigieuse. La jachère longue d'Afrique re
ssemble comme une sœur à celles du Mexique ancien, d'Indonésie ou de Madag
ascar; la culture intensive en Chine n'est pas fondamentalement différente de ce
que l'on trouve en Flandre au xme siècle ou chez les anciens Égyptiens; mais
quelles différences dans ce qui s'est bâti sur ce sol ! Il faut bien qu'interviennent
quelque part des facteurs non-économiques de différenciation.
1. L'homme de terrain dispose toujours d'au moins un terme de comparaison, dans sa
propre société. On trouve ici la racine d'une maladie infantile — l'anachronisme ou
l'ethnocentrisme — et d'une originalité irréductible des sciences sociales : l'observateur
n'est pas neutre. On peut améliorer la situation et la rendre quasi anodine, en multi
pliant les points de comparaison. Si vous étudiez les systèmes politiques dans des
sociétés tout à fait différentes et à des époques les plus diverses possibles, il devient
improbable que vous soyez obsédé par le système politique dans lequel vous vivez : il
est ravalé au rang d'un cas parmi d'autres.
120 Politique et Société
Au demeurant, l'économisme latent ou déclaré est quelque chose de tout
récent. Les penseurs qui, avant le xixe siècle, ont réfléchi sur les sociétés humaines,
retenaient de tout autres principes d'explication. Ou bien ils inclinaient vers la
morale, pour voir dans l'aventure humaine les conséquences des passions humain
es. Ou bien ils tendaient à privilégier les activités politiques. Bref, si l'on reprend
les étiquettes universitaires contemporaines, la sociologie se confondait soit avec
la psychologie, soit avec la politologie.
J'incline, pour mon compte et puisque je me suis laissé entraîner dans ces spé
culations, à penser que la deuxième hypothèse est la bonne, à savoir que le prin
cipe du système social est politique. Non que la psychologie n'ait des arguments
très solides à faire valoir. Mais, d'abord et surtout, je ne saurais les suivre sans
sortir encore plus de mes compétences. Autant que je puisse voir, le point de vue
psychologique — au regard du problème posé — est contraint de s'en tenir à des
généralités telles que les différences restent myst

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