Princes contre marchands au crépuscule de Pasai (c. 1494 -1521) - article ; n°1 ; vol.47, pg 125-146
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Princes contre marchands au crépuscule de Pasai (c. 1494 -1521) - article ; n°1 ; vol.47, pg 125-146

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Description

Archipel - Année 1994 - Volume 47 - Numéro 1 - Pages 125-146
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 15
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jorge Dos Santos Alves
Princes contre marchands au crépuscule de Pasai (c. 1494 -
1521)
In: Archipel. Volume 47, 1994. pp. 125-146.
Citer ce document / Cite this document :
Dos Santos Alves Jorge. Princes contre marchands au crépuscule de Pasai (c. 1494 -1521). In: Archipel. Volume 47, 1994. pp.
125-146.
doi : 10.3406/arch.1994.2971
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arch_0044-8613_1994_num_47_1_2971Jorge M. dos Santos ALVES
Princes contre marchands
au crépuscule de Pasai (c.1494-1521)
«Vous ne devez pas non plus permettre aux gens la culture du poivre. S'ils
s'y adonnent, les autres cultures s'en ressentiront énormément, car les vapeurs
de cette épice sont chaudes. A la fin, la nourriture deviendra trop chère et le
gouvernement glissera dans le désordre, puisque les paysans ne craindront
plus les gens de la ville» 0). Cette sorte de testament politique d'un sultan de
Banjarmasin (Bornéo) à son premier ministre, à la veille de sa mort, quelque
part au XVe siècle, pourrait, avec des termes différents, coïncider avec celui
que Sultan Mahmud Malik al-Zahir de Pasai fit sur son lit de mort, vers 1494,
à son propre premier ministre. La disparition de ce vieillard sans héritier en
âge de régner — le futur Sultan Zainal 'Abidin Malik al-Zahir IV n'ayant à
l'époque pas plus de 12 ou 13 ans — a plongé Pasai dans une de ses plus
graves crises politiques, qui était, d'ailleurs, la continuation d'une autre, éga
lement terrible, qui avait éclaté une trentaine d'années auparavant (vers 1460)
et débouché sur l'exil ou la déportation massive des marchands étrangers de la
ville vers Malaka (2). En réalité, dès que Pasai devint un grand carrefour du
commerce insulindien à la fin du XHIe siècle, le climat politique ne cessa de
se détériorer. Très rapidement, les agents économiques entrèrent en conflit
avec le gouvernement provoquant une tension latente entre la royauté, sou
cieuse de conserver les bénéfices du commerce, sans renoncer à son modèle
de vie traditionnel, à son autorité et à son prestige, et les marchands, qui
étaient tous étrangers.
La structure urbaine de la capitale, à en juger par les maigres renseigne
ments dont nous disposons, reflétait d'ailleurs la division de la société. La
ville était constituée par deux espaces séparés dont les populations, apparem
ment, ne se mélangeaient pas (3). Sur la rivière (Sungai Pasai), à quelque deux
kilomètres en amont de la rade, se dressait la cité marchande, lieu de rés
idence des marchants et hommes d'affaires étrangers (4\ vraisemblablement
divisée en quartiers selon la région d'origine de ses habitants. Au début du
XVIe siècle, l'agglomération abritait environ 20 000 âmes, ce qui faisait Jorge M. dos Santos Alves 126
d'elle une ville de dimension moyenne dans le réseau des cités de l'Océan
Indien (5). Deux kilomètres et demi plus en amont de la rivière, se situait la
citadelle royale. Vaste enceinte au plan carré, protégée par de forts remparts
en bois, elle était strictement réservée aux autochtones. Demeure du sultan, de
la famille royale et de la haute noblesse, elle pouvait abriter plusieurs milliers
de personnes.
Le décès de Sultan Mahmud Syah Malik al-Zahir ébranla donc fortement la
suprématie de la famille royale et de la noblesse dans la vie politique et éco
nomique de Pasai. Dans la période qui suit, on assiste à une spirale de conflits
aboutissant à de violentes guerres civiles dont quelques sources européennes
contemporaines ont gardé un souvenir assez précis (6). Tous les auteurs de ces
textes sont fortement impressionnés par l'affreuse violence des disputes et
surtout par la frénésie régicide. En 1514, le Portugais Tome Pires, alors à
Malaka, rapporte qu'«en un seul jour, il y eut sept rois à Pasai, puisque l'un
tuait l'autre, et cet autre un autre» (7). De son côté, le Florentin Raffaelo Galli
assure que pendant son séjour sur place, en 1516, "tous les jours ils [les
Pasais] tuent un roi et en acclament un autre» (g). Enfin, quelques décennies
plus tard à Lisbonne, le chroniqueur Joâo de Barros certifie «qu'il est arrivé
qu'on acclame trois rois en un seul jour, l'un à la suite de la mort de l'autre»
(9). Plutôt qu'une véritable tuerie de souverains, il est peut-être préférable de
voir une allusion à l'assassinat de princes ou d'autres membres de la famille
royale. Mal renseignés et parfois peu perspicaces, ces auteurs n'arrivent pas à
comprendre que ces régicides constituent autre chose qu'une espèce de bizarre
rituel politique transformant la ville en un gigantesque asile d'aliénés. Selon
Joâo de Barros, ce macabre rituel s'accomplissait par une foule en furie qui
parcourait les rues, annonçant ou fêtant déjà le meurtre d'un souverain de plus
et entonnant une chanson où «Mort au roi!» revenait en refrain (10).
La distorsion des images relatant la lutte politique à Pasai, présente dans
toutes les sources européennes et dans les sources portugaises en particulier,
est en rapport direct avec leur conception imprécise du régime politique. A
leur avis, le régicide était une sorte de règle clé pour acquérir le pouvoir, pro
fondément enracinée dans l'histoire du sultanat, alors qu'il n'était, en fait,
qu'un expédient politique utilisé seulement dans des cas limites de disputes
pour le trône, telles qu'elles survinrent, à l'aurore du XVIe siècle t11). Aussi,
quand nos sources parlent d'une ancienne tradition, selon laquelle le gouver
nement dépendait des hauts fonctionaires royaux, les sultans ayant un rôle
purement décoratif, elles ignorent encore une fois qu'il s'agissait d'une situa
tion conjoncturelle, résultat de la faiblesse de la royauté à une période très
précise.
C'est à l'humaniste portugais Garcia de Resende que nous devons la per
ception la meilleure de la situation politique dans les années 1490. Selon ses
propres mots: «[à Pasai] II y a des Rois qui n'ont pas la tâche d*e gouverner ni
de commander./Ils restent toujours oisifs avec leurs femmes et serviteurs/sans
autre souci que leur divertissement./Et ils ont des gouverneurs ,/Regaos ou
regedoresjqui commandent tout, rendant seulement compte/ de tout aux Rois,
leurs supérieurs» (12). A la lumière de ce jugement pertinent, nous allons Princes contre marchands à Pasai 127
essayer, ici, de distinguer trois moments dans les luttes qui agitèrent la société
de Pasai depuis la mort de Sultan Mahmud Malik al Zahir (1494) jusqu'à
l'intronisation du Sultan Kamis par les marchands (1521) <13).
Guerres civiles et régicides (1494-1519)
Pour mieux comprendre ce qui se passait à Pasai, il faut d'abord bien cer
ner, malgré l'insuffisance de nos sources, les populations de chacun des deux
espaces urbains de la capitale et l'antagonisme de leurs motivations. On a vu
que, dans la ville marchande, vivaient les étrangers liés, d'une manière ou
d'une autre, au commerce. Les plus influents d'entre eux constituaient l'élite
des fonctionnaires de l'administration portuaire; ils ajoutaient au profit de leur
négoce privé les taxes qu'ils prélevaient comme paiement de leurs services au
sultan. A Pasai, au sommet de la hiérarchie, se trouvait le chabandar (syah-
bandar), son adjoint, le tumenggung, le juge du poids public, le responsable
du poids du poivre et celui du poids du riz. Pour eux, les avantages financiers
se multipliaient à mesure que le commerce se libérait des chaînes du monop
ole royal. Par ailleurs, dans la citadelle, habitait la famille royale et son
entourage d'officiers et de serviteurs. Le faste de la cour et le prestige du sul
tan, financés partiellement grâce aux ressources de la terre, étaient principale
ment assurés par les revenus du monopole royal sur le commerce des produits
locaux. Intra muros (mais aussi dans de grands villages de la banlieue de la
capitale) résidaient ceux que Tome Pires désigne comme les «grands nobles
du Royaume» ou mandaris (menterï) (14>. Seigneurs de vastes propriétés agri
coles, avec un mode de vie rural basé sur les cultures vivrières, ils étaient par
fois méprisés par les marchands européens, qui les considéraient comme de
simples lauradores da nouidade («cultivateurs de primeu

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