Saints admirables et saints imitables : les fonctions de l hagiographie ont-elles changé aux derniers siècles du Moyen Âge? - article ; n°1 ; vol.149, pg 161-172
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Saints admirables et saints imitables : les fonctions de l'hagiographie ont-elles changé aux derniers siècles du Moyen Âge? - article ; n°1 ; vol.149, pg 161-172

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Publications de l'École française de Rome - Année 1991 - Volume 149 - Numéro 1 - Pages 161-172
Dans des travaux antérieurs relatifs à l'histoire de la sainteté au Moyen Âge, l'auteur avait cru discerner une évolution de l'hagiographie occidentale allant dans le sens d'une imitabilité croissante des modèles proposés au clergé et aux fidèles dans les Vies de saints, entre le XIIe et le XVe siècle. Il lui paraît aujourd'hui difficile d'affirmer aussi nettement que, pendant la période considérée, les saints ont cessé d'être des objets d'admiration et des intercesseurs pour devenir avant tout des modèles de comportement et de vertu. En fait, le véritable clivage se situe plutôt au niveau des formes du merveilleux qui, selon les auteurs et les publics visés, oscille entre la recherche d'une perfection héroïque purement sacrificielle et celle d'une identification aussi poussée que possible à la personne du Christ.
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Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 203
Langue Français

Extrait

André Vauchez
Saints admirables et saints imitables : les fonctions de
l'hagiographie ont-elles changé aux derniers siècles du Moyen
Âge?
In: Les fonctions des saints dans le monde occidental (IIIe-XIIIe siècle). Actes du colloque de Rome (27-29 octobre
1988). Rome : École Française de Rome, 1991. pp. 161-172. (Publications de l'École française de Rome, 149)
Résumé
Dans des travaux antérieurs relatifs à l'histoire de la sainteté au Moyen Âge, l'auteur avait cru discerner une évolution de
l'hagiographie occidentale allant dans le sens d'une imitabilité croissante des modèles proposés au clergé et aux fidèles dans les
Vies de saints, entre le XIIe et le XVe siècle. Il lui paraît aujourd'hui difficile d'affirmer aussi nettement que, pendant la période
considérée, les saints ont cessé d'être des objets d'admiration et des intercesseurs pour devenir avant tout des modèles de
comportement et de vertu. En fait, le véritable clivage se situe plutôt au niveau des formes du merveilleux qui, selon les auteurs
et les publics visés, oscille entre la recherche d'une perfection héroïque purement sacrificielle et celle d'une identification aussi
poussée que possible à la personne du Christ.
Citer ce document / Cite this document :
Vauchez André. Saints admirables et saints imitables : les fonctions de l'hagiographie ont-elles changé aux derniers siècles du
Moyen Âge?. In: Les fonctions des saints dans le monde occidental (IIIe-XIIIe siècle). Actes du colloque de Rome (27-29
octobre 1988). Rome : École Française de Rome, 1991. pp. 161-172. (Publications de l'École française de Rome, 149)
http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1991_act_149_1_4194ANDRE VAUCHEZ
SAINTS ADMIRABLES ET SAINTS IMITABLES :
LES FONCTIONS DE L'HAGIOGRAPHIE ONT-ELLES
CHANGÉ AUX DERNIERS SIÈCLES DU MOYEN ÂGE?
Si la continuité du genre hagiographique depuis les origines
chrétiennes jusqu'à l'époque moderne est un fait indiscutable, il ne
s'ensuit pas pour autant que le message véhiculé et transmis par les
Vies de saints soit demeuré identique au fil des temps. L'historien,
lorsqu'il étudie ces textes dans la longue durée, peut même repérer,
d'une période à l'autre, des inflexions considérables. Ainsi, alors que
les hagiographes du haut Moyen Âge mettaient l'accent sur le fait
qu'on n'avait guère de chance de devenir un saint en restant dans le
monde et que Dieu ne destinait à la perfection que des personnes de
haut rang et de noble extraction, un certain nombre d'auteurs, à part
ir du XIIe siècle, ont développé au contraire l'idée qu'il était parfai
tement possible d'atteindre les sommets de la perfection morale et de
l'expérience religieuse sans avoir passé son existence à l'intérieur
d'un monastère, et que les mérites des humbles n'étaient pas moins
dignes d'être couronnés par la Grâce que ceux des puissants1. De
même, au niveau des représentations de la sainteté, on ne peut man
quer d'être frappé par le contraste qui existe entre les Vies de saints
de l'époque mérovingienne et carolingienne, et d'autre part celles qui
sont postérieures aux mutations sociales et culturelles du XIIe siècle.
Pendant le haut Moyen Âge en effet, comme l'a bien montré J.-Ch.
Picard, «le saint manifeste sa perfection dès l'enfance. Insinuer que
la conquête de la sainteté est progressive, ce serait minimiser son
mérite et laisser penser que ses pouvoirs surnaturels sont moindres
1 J'ai étudié cette évolution de façon détaillée dans mon livre Les laïcs au Moyen
Âge. Pratiques et expériences religieuses, Paris, 1987, en particulier aux p. 49-92. 162 ANDRÉ VAUCHEZ
que ceux des autres»2. Après 1150 en revanche, on voit se multiplier
les figures de saints ou de saintes - anciens ou récents - qui ne sont
devenus tels qu'après avoir vécu plus ou moins longtemps dans le
péché. Dans ce nouveau contexte, la sainteté n'est plus donnée dès
l'origine, comme par un décret de la Providence. Elle s'acquiert au
prix d'une conversion qui certes s'effectue sous une impulsion divine,
mais résulte aussi pour une part de l'initiative du sujet3.
Faut-il aller plus loin et opposer terme à terme une hagiographie
du haut Moyen Âge qui, à force d'attribuer aux saints toutes les carac
téristiques de la puissance surnaturelle à commencer par le pouvoir
thaumaturgique, aurait fait d'eux des êtres d'exception, à celle du bas
Moyen Âge, davantage soucieuse de rapprocher ses héros des fidèles en
mettant l'accent sur ce qu'ils avaient en commun avec l'humanité
moyenne? Si l'on admet cette hypothèse, comme je l'ai fait moi-même
dans mes travaux antérieurs, il paraît justifié de situer le renversement
de tendance dans le courant du XIIe siècle4. En effet saint Bernard
paraît bien refléter encore la conception traditionnelle lorsqu'il s'écrie,
dans un de ses sermons :
«Ainsi donc, lors des fêtes des saints, nous devons à la fois nous réjouir
et être confondus : nous réjouir parce que nous avons devant (= au
Ciel) des patrons ; être confondus que nous ne pouvons pas les imi
ter»5
Pour l'abbé de Clairvaux les saints, amis de Dieu, sont donc trop
grands pour que nous puissions espérer suivre leurs traces : la voie
étroite qui mène au Ciel n'est réellement praticable que par quelques
prédestinés. Aussi les fidèles devaient-ils se contenter de les invoquer
«comme des intercesseurs dans leur faiblesse»6, selon l'expression que
saint Ambroise avait déjà employée au IVe siècle à propos du culte ren-
2 J.-Ch. Picard, 5.v. Saints dans l'Église latine. Des origines au 9e siècle, dans Diction
naire de spiritualité, XIV, Paris, 1988, c. 207-212.
3 Cf., à ce sujet, A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen
Âge, 2e éd., Rome, 1988, en particulier p. 223-243.
4 Id., ibid., p. 614-622.
5 S. Bernard, Sermo in vigilia sanctorum Apostolorum Pétri et Pauli, cité ibid.,
p. 619.
6 S. Ambroise, De viduis, IX, 55 : «ils peuvent demander grâce pour nos péchés, eux
qui ont lavé leurs péchés, s'ils en avaient, dans leur propre sang. Ils sont les martyrs de
Dieu, les chefs, les témoins de notre vie et de nos actions. Ne rougissons pas de les pren
dre comme intercesseurs dans faiblesse ». SAINTS ADMIRABLES ET SAINTS IMITABLES 163
du aux martyrs. Ce langage rigoriste était d'autant mieux compris et
reçu qu'il répondait à une conviction largement répandue. La quasi-
totalité des hommes de ce temps n'attendaient en effet des saints que
des manifestations concrètes de leur pouvoir surnaturel, à savoir des
guérisons, des victoires ou, à tout le moins, une protection contre les
difficultés concrètes de l'existence. Peu leur importait au juste de
savoir quand avait vécu celui dont ils imploraient l'intercession, ni
quelles avaient été ses vertus. Il leur suffisait d'avoir l'assurance qu'il
faisait bien partie de la cour céleste et qu'il y jouissait d'une large
influence, attestée par les miracles qui se produisaient en grand nomb
re à l'invocation de son nom.
L'attitude des contemporains de saint Bernard était d'autant plus
compréhensible que la plupart des textes hagiographiques qui circu
laient alors, à supposer qu'ils les aient connus, offraient une image des
saints qui ne pouvait que les conforter dans leurs convictions. Ceux-ci y
étaient en effet généralement présentés comme des héros ayant accomp
li sur terre des actions surhumaines, en vertu d'un lien personnel qui
les unissait à Dieu, comme le vassal à son seigneur dans le pacte féodal.
Dieu demandait à ses amis et serviteurs de le servir fidèlement, c'est-
à-dire de se comporter ici-bas de la façon la plus différente possible de
celle des hommes ordinaires : prier au lieu d'agir, jeûner au lieu de se
nourrir, veiller au lieu de se reposer, rechercher la souffrance et non le
plaisir etc. Dans cette perspective qui est celle qui domina dans la litt
érature hagiographique jusqu'au XIIe siècle et parfois même bien au-
delà, le saint apparaît avant tout comme un être céleste, ayant renoncé
à

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