L'immigration en France, une histoire en friche - article ; n°4 ; vol.41, pg 751-769

Gérard Noiriel

Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1986 - Volume 41 - Numéro 4 - Pages 751-769
Immigration in France: the Untold Story. G. Noiriel.
Over the last century immigration has played a decisive role in the renewal of the French population. For reasons having to do with political history as well as with the history of the social sciences, historians have not been interested in this subject ofstudy until quite recently.
One of the essential causes of mass immigration was French industry's inability to supply itself with the necessary labor power from the national labor market. The magnitude of its recourse to foreign workers led, in several branches of production, to a veritable substitution of one worker group for another. This article analyses the economic and political effects—very important for the social history of France—which resulted from this process, as well as the specific methodological problems posed by historical research concerning immigration.
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ANNALES_ECONOMIES_SOCIETES_CIVILISATIONS
• Publié le: 01 janvier 1986
• Nombre de lectures: 26
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Gérard Noiriel
L'immigration en France, une histoire en friche
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 41e année, N. 4, 1986. pp. 751-769.
Abstract
Immigration in France: the Untold Story.G. Noiriel.
Over the last century immigration has played a decisive role in the renewal of the French population. For reasons having to do
with political history as well as with the history of the social sciences, historians have not been interested in this subject ofstudy
until quite recently.
One of the essential causes of mass immigration was French industry's inability to supply itself with the necessary labor power
from the national labor market. The magnitude of its recourse to foreign workers led, in several branches of production, to a
veritable substitution of one worker group for another. This article analyses the economic and political effects—very important for
the social history of France—which resulted from this process, as well as the specific methodological problems posed by
historical research concerning immigration.
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Noiriel Gérard. L'immigration en France, une histoire en friche. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 41e année, N. 4,
1986. pp. 751-769.
doi : 10.3406/ahess.1986.283311
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1986_num_41_4_283311GERARD NOIRffiL
IMMIGRATION EN FRANCE UNE HISTOIRE EN FRICHE
Les statistiques données par le ministère de Intérieur indiquent que
18 millions de Fran ais entre 1880 et 1980 sont des descendants immigrants
la première deuxième ou troisième génération Plus du tiers de la population
fran aise actuelle est donc origine non fran aise Si on ajoute les étran
gers vivant hui en France 35 millions de personnes) est environ
40 des habitants de ce pays dont histoire ne peut être confondue avec celle
de la nation fran aise Avec les tats-Unis et le Canada la France est le pays
industrialisé dont la population doit le plus immigration Mais aussi surpre
nant que cela puisse paraître dans un pays où la recherche historique tient la
place que on sait le sujet guère intéressé les historiens ces der
nières années Il suffit pour en convaincre de consulter le ficher central des
thèses les bibliographies annuelles de histoire de France ou les tables décen
nales des grandes revues histoire contemporaine Les nombreuses Histoire
de France parues récemment et les manuels scolaires des écoles primaires et
secondaires accordent pratiquement aucune place ce thème La compa
raison avec historiographie américaine est édifiante
Nous voudrions montrer ici en quoi le fait de prendre au sérieux histoire de
immigration correspond une nécessité de la recherche scientifique
aujourdhui2
Un objet Ilegitime
La capacité une discipline scientifique interroger sur elle-même est un
facteur essentiel de son enrichissement Il faut donc se demander pourquoi
Annales ESC juillet-août 1986 no pp 751-769
751 SOCI PLURIELLES LES
depuis près un siècle immigration jamais été considérée comme un pro
blème digne attention par les historiens Cette question elle seule mériterait
toute une étude actuellement en chantier Aussi nous ne proposons ici que
quelques hypothèses con ues comme un point de départ
On peut tout abord rapprocher cette lacune des difficultés rencon
trées la recherche depuis le début du xixe siècle pour se dégager de
historiographie commemorative Peut-être parce que comme le note
Fran ois Furet les sociétés qui se réclament une fondation révolutionnaire
surtout si celle-ci est relativement récente ont difficulté particulière écrire
leur histoire contemporaine La tendance persistante penser le social
travers le national constitue obstacle épistémologique majeur pour la
compréhension un phénomène mettant radicalement en cause le thème de
unité nationale la fin du xixe siècle est encore histoire qui est sollicitée
avec la biologie pour légitimer les théories nationalistes que des gens comme
Barrés opposent aux valeurs républicaines enracinement la tradition et non
plus le contrat social sont mis en avant comme fondement de la nation
Avec Affaire Dreyfus se structure un clivage droite/gauche qui se main
tient tout au long du xxe siècle opposant deux conceptions de la meilleure
manière de gérer intérêt national rejeter hors de France les étrangers
considérés comme inassimilables ou au contraire faire confiance aux vertus
civilisatrices de la France pour leur inculquer les valeurs nationales et effacer
en eux toute trace de différence
De leur côté les sociologues durkheimiens font preuve une grande indif
férence Comme montré Victor Karady pour être acceptée comme science
universitaire la sociologie de la fin du xixe siècle est contrainte de se donner
des objets de recherche élevés dignes correspondant la tradition
lettrée du monde universitaire fran ais On comprend que immigration
ait pu faire figure objet légitime autant plus que pour aborder il aurait
fallu adopter des modes investigation très peu prisés par la sociologie
officielle le travail de terrain enquête de type ethnographique qui mettront
encore près un demi-siècle pour imposer en France4 Par ailleurs même
chez les fondateurs de la sociologie scientifique la réflexion sur le social est loin
être complètement dégagée de toute contamination par le national Ainsi
Durkheim justifie-t-il son opposition au courant inter-actionniste au nom de
intérêt national pour opposer érosion de la culture fran aise De
même Marcel Mauss définit avec insistance la nation comme volonté géné
rale consciente comme creuset où se fondent les anciennes souches de
population au point de former des types physiologiquement musculaire-
ment apparents sinon ostéologiquement
la première guerre mondiale seuls les juristes intéressent
immigration en publiant de nombreuses thèses sur les naturalisations et les
expulsions en particulier Dans entre-deux-guerres bien que la France ait le
taux le plus élevé du monde les choses évoluent guère6
indifférence de Maurice Halbwachs par exemple est révélatrice non seu
lement parce il fut membre du comité de rédaction des Annales mais sur
tout parce il fut des durkheimiens le plus proche du travail de terrain et
on lui doit certains concepts qui sont essentiels pour histoire sociale
contemporaine Dans son travail concernant la nuptialité en France entre 1914
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et 1930 alors même que le raffinement de analyse ne semble rien laisser au
hasard la variable immigration qui aurait pu intervenir au moins sous la
forme des mariages mixtes est totalement absente immigration inté
resse quand elle se déroule sur le sol américain où article il donne aux
Annales sur Chicago expérience ethnique les statistiques sont longue
ment examinées les nationalités étudiées par quartier la première deuxième
et troisième génération Il revient plusieurs reprises sur ces chiffres qui sem
blent le fasciner en 1920 Chicago près du tiers de la population est immi
grée Toute sa conclusion est centrée sur opposition entre cette ville
ethnique et les villes européennes comme Paris Là une population une
et homogène un cadre irrégulier et fantaisiste ...] ici un cadre un et régulier et
une population hétérogène on efforce de plier aux règles un confor
misme urbain impitoyable Pourtant si on ramène les phénomènes aux
proportions du territoire fran ais il est pas besoin aller Chicago
pour mesurer les problèmes ethniques dans toute leur ampleur En 1914 Mar
seille les Italiens eux seuls forment 20 de la population Au moment où
Halbwachs écrit son article des dizaines de nationalités coexistent dans la ville
Charles Héristal dans un livre très polémique il est vrai estime que sur 11
million habitants les Bouches-du-Rhône ne comptent que 300 000 personnes
origine fran aise8 Au même moment Grenoble compte 18 étrangers et
près de 50 nationalités différentes sans parler des cités industrielles du Nord et
de la Lorraine considérées comme des Tours de Babel
Si on se tourne maintenant vers un des autres courants majeurs de la
recherche historique fran aise cole des Annales symbolisée alors par les
noms de Lucien Febvre et Marc Bloch on ne peut pas dire non plus que la
question les ait beaucoup passionnés Le patriotisme attachement empire
colonial le traumatisme de la guerre ils ont faite tous les deux ont sans
doute là aussi contribué cette indifférence9 Par ailleurs comme nous