Thanatos et Éros amérindiens - article ; n°1 ; vol.19, pg 259-273
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Description

Dialogues d'histoire ancienne - Année 1993 - Volume 19 - Numéro 1 - Pages 259-273
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 19
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Silvia M.s. Carvalho
Michel Ralle
Thanatos et Éros amérindiens
In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 19 N°1, 1993. pp. 259-273.
Citer ce document / Cite this document :
Carvalho Silvia M.s., Ralle Michel. Thanatos et Éros amérindiens. In: Dialogues d'histoire ancienne. Vol. 19 N°1, 1993. pp. 259-
273.
doi : 10.3406/dha.1993.2086
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/dha_0755-7256_1993_num_19_1_2086DHA 19,1 1993 259-273
THANATOS ET EROS AMERINDIENS
Mode de production et mode de pensée
dans les sociétés amérindiennes
Silvia M.S. CARVALHO i
Traduction : Michel Ralle
1. THANATOS
La première question qui se pose est de savoir si l'on peut
établir avec des critères scientifiques, une correspondance entre
certaines données d'un mode de production et des formes de penser ;
ou, si l'on veut, s'il y a une correspondance entre la praxis et la
"pensée sauvage". On se souvient que, pour Lévi-Strauss la "pensée
sauvage" s'oppose à la pensée domestiquée pour l'accumulation.
Ainsi, même si Lévi-Strauss n'exploite pas cette voie, il établit,
avec cette distinction fondée sur une praxis (accumuler ou non
[Nous sommes heureux de donner ici le texte du séminaire tenu par
Silvia M.S. Carvalho, lors de sa mission à Besançon en 1990.
La Rédaction].
Centro de Estudos Indigenas "Miguel A. Menendez"
UNESP/C. Araraquara - SP. Brésil. 260 Silvia Carvalho
accumuler) une correspondance claire entre le manque d'intérêt pour
une accumulation et la pensée sauvage. Pendant le temps que j'étais
étudiante, dans les années 50, on insistait trop sur l'impossibilité de
comprendre les sociétés dites "primitives" en les soumettant à une
analyse marxiste. Je me suis donc appliquée d'abord à étudier la
mythologie des chasseurs-récolteurs et d'autres groupes amérindiens
à économie plus complexe, sociétés qui mènent en même temps la
chasse, la récolte, la pêche, mais aussi la polyculture en de petits
défrichements dans la forêt. Et, depuis quelques années, je suis
parvenue à la constatation que c'est bien la praxis qui crée la société
humaine et son imaginaire ; et que Marx n'avait pas tort d'affirmer
que l'on doit étudier la praxis, pour en arriver à la compréhension du
monde des idées. On doit penser surtout que, pendant la plus grande
partie de son histoire, l'humanité entière n'a vécu que de la chasse et
de la récolte. L'"Homo Sapiens" est devenu une espèce répandue sur
la planète entière (sauf dans l'Antarctique). Au temps des grandes
découvertes il y avait encore beaucoup de chasseurs-récolteurs
partout dans le nouveau monde (Amérique, Australie, Océanie). Cela
veut dire que le système de chasse et récolte n'a épuisé ni le gibier, ni
la forêt. Et ces données ne peuvent être expliquées qu'en reconnaissant
que l'humanité primitive, pour garantir la reproduction de son
système, a su développer une praxis, une pratique réglée, contrôlée,
bien structurée en tant que censée par tous être l'unique praxis logique
et viable pour la continuité de l'espèce.
On doit donc chercher à saisir quels sont les besoins (ou
"contraintes", comme écrit Godelier) du système comme un tout, non
seulement pour le bon fonctionnement d'une communauté qui l'a
adopté, mais aussi pour la reproduction même de ce système. Ce qui
caractérise les systèmes de chasse-récolte c'est qu'ils n'ont pas de
reproduction assurée par le réinvestissement dans le sol des semences
ni par les soins apportés au bétail par l'élevage. Ce sont des systèmes
à "ponction" (pour reprendre une expression de Claude Meillassoux).
Ainsi, pour garantir la reproduction de leur système, les chasseurs-
récolteurs doivent compter avec les forces productives de la nature et
tout faire pour ne pas couper les cycles reproductifs des animaux et
des plantes. Cette préoccupation, essentielle à leur vie, amène à
l'exploitation du milieu par étapes, chaque ponction se faisant au
moment même où l'homme peut prendre l'essentiel pour sa vie, mais
sans menacer la reproduction des espèces qu'il chasse ou récolte. Le
cynégétisme annuel devient, ainsi, une activité strictement réglée et
fondamentale pour le système, en permettant le recours échelonné à D'HISTOIRE ANCIENNE 261 DIALOGUES
des produits divers et le rétablissement de l'équilibre de
l'environnement à la fin de chaque cycle de parcours du territoire.
Même l'horticulture de forêt change peu ce schéma fondamental,
parce qu'elle suit le mouvement cynégétique, une fois que l'on déplace
de trois en trois années les plantations. D'un côté, pour exiger
l'observance des règles, les sociétés sans écriture ont besoin
d'instituer un système complexe de tabous. D'autre part, pour ne pas
rompre l'équilibre entre le gibier (ou la nature entière) et la
communauté humaine, il faut aussi éviter une croissance démesurée
de la population : chez les chasseurs on trouve souvent des
institutions telles la mise-à-mort ou l'abandon de personnes âgées ou
malades sans espoir de guérison. On pratique aussi - outre tout moyen
d'éviter les naissances - l'infanticide par exposition. Comme dans le
cas du système des tabous, le contrôle de la population est tellement
essentiel à la vie du groupe que les pratiques d'abandon ou de mise-à-
mort se constituent en des véritables sacrifices religieux. Il ne s'agit
pas de sacrifices pour une divinité, mais de compensations envers la
nature.
J'examine d'abord ces pratiques que l'on peut appeler des
manifestations du "facteur Thanatos" de la société humaine. Effectif
ou dramatisé, le sacrifice humain est présent dans les mystères
religieux un peu partout dans le monde et au cours de l'histoire de
toutes les civilisations. On reconnaît le thème de l'enfant sacrifié -
et pour cela sacré, divin - dans des civilisations si éloignées dans le
temps et dans l'espace qu'on ne le peut comprendre que comme lié à un
mécanisme rituel autrefois universel. On peut l'inclure dans la
catégorie "bouc émissaire", comme le veut René Girard, mais en
observant tout de suite que c'est le bouc, l'agneau, ou d'autres
animaux domestiqués plus tard, qui ont remplacé l'être humain
sacrifié, une fois que dans l'économie de "ponction" (de chasse-
récolte) la logique veut que ce soit à la vie humaine de payer la vie
animale, laquelle n'appartient pas à l'homme (les chasseurs-
récolteurs ne développent pas un vrai concept de propriété sur la
nature).
Il est difficile de prévoir - d'une société à l'autre - quelles sont
les caractéristiques choisies par la culture pour déterminer ceux qui
doivent être sacrifiés. Les jumeaux le sont presque toujours. Plusieurs
sociétés sacrifient aussi l'enfant qui naît par les jambes, celui qui a
les jambes gonflées et d'autres caractéristiques considérées comme non
normales. Des adultes évidemment ne peuvent être sacrifiés, une fois
que ce sont eux qui doivent nourrir et protéger le groupe, mais à la 262 Silvia Carvalho
guerre les hommes se sacrifient souvent pour les autres. Des personnes
atteintes par la foudre ou noyées sont représentées comme des
victimes choisies directement par la nature pour compenser
l'agression humaine. Dans certaines tribus, comme les Bororo du
Brésil central, on trouve aussi la croyance aux rêves prémonitoires.
Une mère qui a très envie d'élever son enfant à naître, cherchera à ne
pas s'endormir à la veille de l'accouchement, de peur d'avoir un
mauvais songe. Si dans le rêve elle voit des choses étranges par
rapport à son bébé, elle doit le raconter au Conseil des Anciens. Ce
sera ce Conseil qui se chargera de l'interprétation du rêve. Il peut
arriver à la conclusion qu'il n'y a rien à craindre et le nouveau-né
sera élevé comme les autres. C'est justement et toujours par un
mécanisme semblable que la

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