« Tous vergers sont faits parcs... » De Bourgueil à Psyché : éléments de métamorphoses des jardins poétiques - article ; n°1 ; vol.50, pg 59-70
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Description

Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance - Année 2000 - Volume 50 - Numéro 1 - Pages 59-70
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 31
Langue Français

Extrait

Hélène Moreau
« Tous vergers sont faits parcs... » De Bourgueil à Psyché :
éléments de métamorphoses des jardins poétiques
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°50, 2000. pp. 59-70.
Citer ce document / Cite this document :
Moreau Hélène. « Tous vergers sont faits parcs.. » De Bourgueil à Psyché : éléments de métamorphoses des jardins poétiques.
In: Bulletin de l'Association d'étude sur l'humanisme, la réforme et la renaissance. N°50, 2000. pp. 59-70.
doi : 10.3406/rhren.2000.2324
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_2000_num_50_1_2324« Tous vergers sont faits parcs... »
De Bourgueil à Psyché :
éléments de métamorphoses des jardins poétiques
Ou par ordre et compas les jardins azurez
Monstrent au ciel riant leurs carreaux mesurez.
Commencés en 1665, publiés en 1669, les Amours de Psyché et de
Cupidon de La Fontaine montrent bien que l'on eut après 1660 le
sentiment d'une surprenante métamorphose dans l'art des jardins. Un
assez long développement en vers à la fin de la première partie en
apporte le témoignage. À la suite d'Acante, « qui aimait extrêmement
les jardins, les fleurs, les ombrages », les trois amis contemplent le
parc du « fer à cheval », c'est-à-dire de l'esplanade qui domine l'axe est-
ouest1. Comme souvent, le narrateur prend ici le relais de la réflexion
des personnages :
Heureux ceux de qui l'art [a] ces traits inventez ;
On ne connoissoit point autrefois ces beautez.
Tous parcs estoient vergers du temps de nos Ancestres ; vergers sont faits parcs : le savoir de ces maîtres
Change en jardins royaux ceux des simples Bourgeois
Comme en des Dieux ils changent ceux des Roys.
On fera la part de Yencomion : l'éloge de Le Nostre et de Colbert ame
nant finalement à celui de Louis XIV encore jeune, qui préside avec
passion aux réalisations d'un ensemble, largement virtuel pour le
moment.
1. La Fontaine, Les Amours de Psyché et de Cupidon, édition critique de Michel
Jeanneret, Paris, Le Livre de Poche classique, 1991. J'utilise ici la note 150 et les
pages 129 à 132 de cette excellente édition.
2. Op. cit., p. 132.
RHR 50 -Juin 2000 60 HÉLÈNE MOREAU
Pourtant, même inachevé, le parc de Versailles est tout chargé de
prestiges imaginaires qui, peu à peu, prendront forme. Il devient en
tout cas, par le travail de l'œuvre, le lieu nécessaire du déploiement
du mythe et du parcours des quatre amis qui suivent la quête de
Psyché.
Aussi semblera-t-il un peu facile, et en tout cas disproportionné,
d'opposer au modeste jardin de Bourgueil dont Marie l'Angevine est le
centre3, Versailles tel que La Fontaine le représente dans Psyché,
avec ses canaux, ses grottes, sa ménagerie, son labyrinthe, ses
bassins, ses prestiges et ses charmes qui renvoient aux
« enchantements » des jardins de Falerine. On peut cependant mesur
er à travers cet écart la métamorphose du statut du jardin dans ces
fictions toutes deux de style maniériste, toutes deux consacrées
largement à l'Amour, et que sépare une période où la réflexion sur le
jardin français a suscité des écrits comme Le Théâtre d'Agriculture et le
Mesnage des Champs d'Olivier de Serres et Le Théâtre des plans et
jardinages de son ami Claude Mollet (publié seulement en 1652, mais
Serres et Mollet travaillèrent ensemble dès 1615).
Revenons au texte de Psyché :
Tous parcs étaient vergers du temps de nos Ancêtres
Tous vergers sont faits parcs...
Il faut, en relisant ces vers, faire la place de l'encomion, mais aussi
celle de l'évolution de la langue : le mot « verger » est quelque peu
tombé en désuétude dans la langue du XVIIe siècle ; il a perdu en
tout cas le sens large de «jardin » en même temps que le prestige et le
mystère dont il jouissait dans la poésie médiévale comme dans le
roman. Les romanciers, après 1650, le remplacent volontiers par « clos
de fruitiers »4. Le mot « parc », lui, est à un moment de transformation
important : il est défini en 1664 comme « une grande étendue de terre
et de bois clôturée et aménagée pour la décoration, le jardin et la
promenade... De son origine seigneuriale, le parc conserve une idée de
grandeur, tandis que le jardin est un espace limité et plus aimable »5.
3. Ronsard, Le Second Livre des Amours, édition critique d'Alexandre Micha,
Paris, Droz, 1951.
4. Comme le signale Isabelle Trivisani-Moreau, Dans l'Empire de Flore, à paraître
dans la collection Biblio 17, Tubingen, 2000.
5. D'après le Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, Paris,
1995, article « parc », t. II, p. 1426. « TOUS VERGERS SONT FAITS PARCS... » 61
II n'est d'ailleurs question ni de verger ni de parc à Bourgueil,
Bourgueil la patrie un peu bien provinciale de Marie l'Angevine,
héroïne des deux Continuations des Amours de 1555, 1556, puis du
Second Livre des Amours de Ronsard, qui devient en 1578, avec
l'adjonction de la seconde partie, « sur la mort de Marie », une repro
duction marquée du Canzoniere de Pétrarque. Le jeu des variantes
montre clairement que c'est à partir de cette édition que Bourgueil
prolifère dans le texte6. Tantôt il est décrié comme rustique et
impropre à la poésie :
Quel passe temps prends-tu d'habiter la valée,
De Bourgueil, où jamais la Muse n'est allée ?**
Tantôt il est l'objet d'une célébration - peut-être légèrement ironique
— dans les chants des amoureux futurs issus du « Vandomois » :
Nostre Ronsard quittant son Loir et sa Gastine,
A Bourgueil fut espris d'une belle Angevine...8
Il est très présent en tout cas, si puissamment lié à Marie qu'on en
retrouve encore l'écho dans les Sonnets pour Hélène qui sont édités,
eux aussi, en 1578 :
Adieu belle Cassandre et vous belle Marie
Pour qui je fus trois ans en servage à Bourgueil... ^
Les deux syllabes sont devenues familières. À la rime, elles font
merveille avec « bel œil », « bon vueil », « orgueil », mais aussi avec
« cercueil » et « deuil », fortement liés, surtout dans le recueil de
6. Le nom de Bourgueil apparaît pour la première fois dans la Nouvelle
Continuation des Amours de 1556 dans Yincipit d'un sonnet, « si quelque
amoureux passe en Anjou par Bourgueil... » (repris dans le Second Livre des
Amours au s. 52, éd. Micha, p. 66). Il réapparaît en 1560 dans le Voïage de Tours
(repris dans le Second Livre des Amours, éd. Micha, LIV, p.70-83) ainsi que dans
La Quenoille des Meslanges de 1559 (repris LC XCVII, v. 31, p. 129). En 1578 le jeu
des variantes et le rassemblement des poèmes l'introduit massivement dans le
Second Livre des Amours (cf. notamment les variantes s. 8 v. 11, s. 23 v. 1-2, s. 41 v.
6. Elégie à Marie, 102, v. 99-100...).
7. Le Voyage de Tours, v. 289-290.
8. Élégie à Marie, v. 99-100.
9. Le second livre des Sonnets pour Hélène, s. X, v. 1-2, in Pierre de Ronsard,
Œuvres complètes, t. XVII, 2e partie, p. 255, édition critique par Paul Laumonier.
C'est dans cette édition que je cite les poèmes de Ronsard, sauf ceux du Second
Livre des Amours. 62 HÉLÈNE MOREAU
1578, au destin de Marie et à son ultime figure : celle de la jeune
morte.
Mais Bourgueil, c'est aussi un jardin, celui où l'on contemple la
« douce, belle, amoureuse et bien-fleurante Rose » :
[...] Hé Dieu, que je suis aise alors que je te voy
Esclorre au point du jour sur l'espine à requoy,
Aux jardins de Bourgueil, près d'une eau solitaire***,
où, d'un coup d'oeil décisif, toute l'histoire est née :
J'aurai toujours le front pensif et blême
Quand je voirray ce bocage ennuieus,
Et ce jardin de mon aise envieus,
Où j'avisay cette beauté suprême.**
À cette femme-paysage, cette femme-jardin dans laquelle on peut voir
une sorte de génie de la végétation, correspond naturellement un
jardin. Celui de la rencontre, celui de la contemplation, celui de la
mort enfin puisque le jardin apparaît encore dans la seconde partie
« sur la mort de Marie », au moment où cette femme-fleur atteint son
acmé avant d'être fr

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