Y a-t-il une mutation politique en Grande-Bretagne ? - article ; n°4 ; vol.19, pg 773-792

Jean Blondel

Description

Revue française de science politique - Année 1969 - Volume 19 - Numéro 4 - Pages 773-792
Is the system in question in Great-Britain? by Jean Blondel Certain signs seem to indicate that the British political regime is going through a transitory period. The period 1964-1969 was first marked by a confusion of political models. The traditional model of a responsible two-party system of government is questioned. The Labour government of Mr. Wilson, enthusiastically elected, has been a failure. Yet it has not fallen. The Government has been almost reluctantly contested by the Opposition and the left wing of the Labour party and neither has taken any action. Public opinion tends to render the party system, and not merely the Labour party, responsible for the state of the country. Dissatis faction with Mr. Wilson has not led to the reinforcement of the Conservatives or the Liberals. The attraction of the two major parties, clearly manifest in 1950-51, has decreased. Political options do not seem to follow partisan lines, they divide the supporters within each party. The 1964-69 period has also been marked by a progressive decline of the government in several fields, where a new schema of decision-making has become apparent. The government tends to practise a policy of corporate democracy, of concertation rather than to follow a defined ideological line. It is open to external pressures. The well-known model of the responsible government of the two parties must either regain importance or give way to a form of democracy in which elections no longer play the fundamental role of regulator.
Y a-t-il une mutation politique en Grande-Bretagne ? par Jean Blondel Certains indices font penser que le régime politique britannique vit bien une période transitoire. La période 1964-1969 est marquée d'abord par la confusion des modèles politiques. Le modèle traditionnel du gouvernement responsable de deux partis est mis en question. Le gouvernement travailliste de M. Wilson, élu dans l'enthousiasme, représente un échec. Pourtant, il n'est pas tombé. La contestation de ce gouvernement de la part de l'opposition comme de l'aile gauche du Parti travailliste est faible et ne passe pas aux actes. Le mécontentement de la population tend à porter sur le système, comme si l'ensemble des partis, et non le Parti travailliste seul, étaient considérés comme responsables de la situation du pays. A l'insatisfaction vis-à-vis de M. Wilson ne répond un renforcement ni des conservateurs ni des libéraux. La polarisation par rapport aux deux grands partis, très nette en 1950-1951, diminue. Les clivages en matière politique ne suivent pas les lignes partisanes et divisent les supporters de chaque parti. La période 1964-1969 a été aussi marquée par un recul progressif du gouvernement dans un ensemble de secteurs au profit d'un nouveau schéma de décision : le gouvernement tend à pratiquer une politique de démocratie corporative ou de concertation, plutôt qu'un programme ou une ligne idéologique. Il est apparu ouvert aux pressions extérieures. Le modèle classique de gouvernement responsable de deux partis devra, soit prévaloir à nouveau, soit faire place à une forme de démocratie dans laquelle les élections cesseront d'avoir le rôle fondamental de régulateur.
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

• Publié par: REVUE_FRANCAISE_DE_SCIENCE_POLITIQUE0
• Publié le: 01 janvier 1969
• Nombre de lectures: 16
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Monsieur Jean Blondel
Y a-t-il une mutation politique en Grande-Bretagne ?
In: Revue française de science politique, 19e année, n°4, 1969. pp. 773-792.
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Blondel Jean. Y a-t-il une mutation politique en Grande-Bretagne ?. In: Revue française de science politique, 19e année, n°4,
1969. pp. 773-792.
doi : 10.3406/rfsp.1969.393180
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1969_num_19_4_393180Résumé
Y a-t-il une mutation politique en Grande-Bretagne ? par Jean Blondel
Certains indices font penser que le régime politique britannique vit bien une période transitoire. La
période 1964-1969 est marquée d'abord par la confusion des modèles politiques. Le modèle traditionnel
du gouvernement "responsable" de deux partis est mis en question. Le gouvernement travailliste de M.
Wilson, élu dans l'enthousiasme, représente un échec. Pourtant, il n'est pas tombé. La "contestation" de
ce de la part de l'opposition comme de l'aile gauche du Parti travailliste est faible et ne
passe pas aux actes. Le mécontentement de la population tend à porter sur le système, comme si
l'ensemble des partis, et non le Parti travailliste seul, étaient considérés comme responsables de la
situation du pays. A l'insatisfaction vis-à-vis de M. Wilson ne répond un renforcement ni des
conservateurs ni des libéraux. La polarisation par rapport aux deux grands partis, très nette en 1950-
1951, diminue. Les clivages en matière politique ne suivent pas les lignes partisanes et divisent les
supporters de chaque parti. La période 1964-1969 a été aussi marquée par un recul progressif du
gouvernement dans un ensemble de secteurs au profit d'un nouveau schéma de décision : le tend à pratiquer une politique de démocratie corporative ou de concertation, plutôt qu'un
programme ou une ligne idéologique. Il est apparu ouvert aux pressions extérieures. Le modèle
classique de gouvernement "responsable" de deux partis devra, soit prévaloir à nouveau, soit faire
place à une forme de démocratie dans laquelle les élections cesseront d'avoir le rôle fondamental de
régulateur.
Abstract
Is the system in question in Great-Britain? by Jean Blondel
Certain signs seem to indicate that the British political regime is going through a transitory period. The
period 1964-1969 was first marked by a confusion of political models. The traditional model of a
responsible two-party system of government is questioned. The Labour government of Mr. Wilson,
enthusiastically elected, has been a failure. Yet it has not fallen. The Government has been almost
reluctantly contested by the Opposition and the left wing of the Labour party and neither has taken any
action. Public opinion tends to render the party system, and not merely the Labour party, responsible for
the state of the country. Dissatis faction with Mr. Wilson has not led to the reinforcement of the
Conservatives or the Liberals. The attraction of the two major parties, clearly manifest in 1950-51, has
decreased. Political options do not seem to follow partisan lines, they divide the supporters within each
party. The 1964-69 period has also been marked by a progressive decline of the government in several
fields, where a new schema of decision-making has become apparent. The tends to
practise a policy of corporate democracy, of concertation rather than to follow a defined ideological line.
It is open to external pressures. The well-known model of the "responsible" government of the two
parties must either regain importance or give way to a form of democracy in which elections no longer
play the fundamental role of regulator.Y A-T-IL UNE MUTATION POLITIQUE
EN GRANDE-BRETAGNE ?
JEAN BLONDEL
Bien que l'analyse politique permette d'évaluer certaines évolu
tions à court terme avec précision et rigueur par l'intermédiaire
des sondages d'opinion, la portée exacte de tels changements
reste encore très obscure. Le politicologue ne dispose pas (ou pas
encore) d'indicateurs généraux analogues à ceux que constitue pour
l'économiste l'évolution de la productivité, de la balance des paiements,
de l'emploi ou de l'inilation. C'est pourquoi il est souvent conduit à
des généralisations hâtives, par là même superficielles et quelque peu
journalistiques, fondées sur des « cas » dont la valeur représentative
restera douteuse tant qu'il ne sera pas possible de mesurer l'im
portance des décisions politiques et d'en faire la « somme ».
Au premier abord, certes, les données du problème posé par
l'évolution politique britannique au cours de la période qui couvre
les cinq dernières années sont assez simples. Le gouvernement tra
vailliste représente un échec : il n'y a eu ni réformes de structure
ni gestion réussie de l'économie. Alors que le parti avait été élu
dans l'enthousiasme en 1964 et réélu triomphalement en 1966 sur
la base du slogan « Vous savez que le gouvernement travailliste
fonctionne », la majorité des Britanniques paraissait convaincue,
dès 1967, que l'expérience travailliste avait échoué et commençait
à renvoyer régulièrement des conservateurs à la Chambre des com
munes à chaque élection partielle. Mais l'obstination avec laquelle le
gouvernement de M. Wilson a maintenu sa politique a constitué un
élément politique important et nouveau depuis 1968 : on s'attendait
à un nouveau « 1931 » et à une chute du gouvernement provoquée
par une désagrégation interne ; celle-ci ne s'est pas produite. Il
importe donc d'essayer d'apprécier si cette obstination permettra à
la longue au parti de surmonter « l'épreuve » ou si elle contribuera
au contraire à une crise politique plus profonde, parce que retardée.
773 Jean Blondel
C'est lorsqu'on se pose de telles question que l'on est contraint
de reconnaître que les données — provenant de sondages ou glanées
parmi les réactions des leaders politiques — sont encore des indica
teurs fort imprécis du comportement politique futur. Certes, quand
une nation a subi des explosions successives, il est relativement facile
de prévoir le degré de probabilité d'une nouvelle explosion : toutes
choses égales d'ailleurs, et en particulier le niveau de développement
économique étant supposé constant, un pays qui a été l'objet de
tentatives de coup d'Etat militaire a plus de chances d'être l'objet
de nouvelles tentatives de coup d'Etat dans l'avenir. Mais lorsqu'on
considère un pays comme la Grande-Bretagne, qui n'a été marquée
que par un seul changement politique de structure au cours d'un
demi-siècle — le remplacement du Parti libéral par le Parti tra
vailliste — et où les mécanismes de la vie gouvernementale n'ont pra
tiquement pas varié, il devient très difficile de distinguer entre de
faibles oscillations à court terme et les prodromes d'une transfor
mation politique fondamentale.
L'analyse que nous présentons ici n'est donc qu'une exploration.
Pour examiner et décrire certains phénomènes, nous sommes tentés de
les isoler et par là même d'en exagérer la portée. Nous ne préten
dons pas prédire l'évolution de la Grande-Bretagne. Nous ne pré
tendons surtout pas déterminer la durée de la période transitoire,
si c'est de cela qu'il s'agit. Mais il n'en reste pas moins que certains
indices contribuent à faire prévaloir l'idée que le régime politique
britannique vit effectivement une période transitoire et qu'il est im
portant d'en examiner la nature, aussi bien pour le régime politique que pour d'autres pays occidentaux. Pour essayer de
donner à chacun de ces éléments la portée qu'il mérite, il nous faut
toutefois revenir quelque peu en arrière : le gouvernement travailliste
de 1964 est en effet arrivé au pouvoir au milieu de ce qu'on pourrait
appeler une confusion des modèles politiques, confusion que l'on
a toujours tendance à minimiser, aussi bien en Grande-Bretagne
qu'ailleurs, lorsqu'on parle de la vie politique britannique. Ensuite,
il nous faudra tenter de préciser la nature des réactions que le gou
vernement travailliste a suscitées, aussi bien parmi les militants
« politisés » que dans l'ensemble de la population. Enfin, nous
pourrons nous demander si ces réactions permettent de prévoir une
transformation ou pour le moins des