Alexandre Herzen à la croisée des chemins (1842-1846) - article ; n°1 ; vol.35, pg 57-76
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Description

Revue des études slaves - Année 1958 - Volume 35 - Numéro 1 - Pages 57-76
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1958
Nombre de lectures 35
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Henri Granjard
Alexandre Herzen à la croisée des chemins (1842-1846)
In: Revue des études slaves, Tome 35, fascicule 1-4, 1958. pp. 57-76.
Citer ce document / Cite this document :
Granjard Henri. Alexandre Herzen à la croisée des chemins (1842-1846). In: Revue des études slaves, Tome 35, fascicule 1-4,
1958. pp. 57-76.
doi : 10.3406/slave.1958.1692
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1958_num_35_1_1692ALEXANDRE HERZEN
À LA CROISÉE DES CHEMINS
(1842-1846)
PAR
HENRI GRANJARD
Toute doctrine politique ou sociale fixe les rapports de l'individu et de la
communauté, la part de liberté personnelle à laquelle renonce le citoyen,
les droits plus ou moins réels en échange desquels on lui impose des devoirs,
des contraintes fort précises. La pensée politique de Herzen oscille toujours
entre ces deux pôles : individu (ličnost' ou individualnost') et la société
(obščestvo, puis obščina). Mais lui, comme les intellectuels des années quarante
qui rêvaient de l'émancipation des millions de serfs, leurs « frères inférieurs »,
devait répondre à une autre question : que devons-nous aliéner de notre
liberté, à quelle part de bonheur personnel renoncer pour mener
les luttes politiques nécessaires? En l'occurrence il ne s'agissait plus pour Her
zen de discussions théoriques, de renoncements futurs, mais de retranchements
immédiats, de dangers réels auxquels il s'exposait et exposait sa femme et ses
enfants. Pendant les années quarante, il a cherché la voie qui le conduira au
socialisme populiste (narodničestvo) dans la décade suivante. Il a ainsi prononcé
ses vœux de militant politique, franchi la porte étroite du sombre édifice
devant lequel Turgenev voyait en songe la jeune nihiliste du « Seuil »
(Porog) ; il a descendu les premiers degrés de l'escalier souterrain d'où mont
aient vers lui « des vapeurs opaques et glacées »(1). Sur ces années d'hésitations
parfois angoissées, d'élaboration souvent fébrile d'une doctrine politique, sur
cette période de choix pénibles et irrévocables nous sommes renseignés par
(1) Poèmes en prose, édition A. Mazon (la première édition complète), traduction de Charles
Salomon, Paris, 1946, p. 107 : Porog. 58 HENRI GRANJARD.
un témoignage de première main : le Journal qu'il tint de 1842 à 1845 (du
25 mars 1842 au 29 octobre 1845) W. Ce document est autrement sincère et
révélateur que « Passé et pensées » (Byloe i dumy), écrit avec dix ou quinze
ans de recul et qui est moins un récit du passé qu'une méditation sur ce passé,
que Herzen transfigure et même défigure en songeant aux luttes politiques
qu'il mène. Il est aussi plus direct et complet que les traités théoriques contemp
orains tournés encore vers Hegel : Le dilettantisme dans les sciences et les
Lettres sur l'étude de la nature &\ plus complet encore que les œuvres litté
raires de la même période A qui la faute?, La pie voleuse, Le docteur Krupov
et le Devoir avant tout ^z\ qui ne donnent souvent que l'aspect négatif de sa
doctrine.
Herzen commence son Journal à la date de son trentième anniversaire :
le 25 mars 1842. Depuis juillet 1841, il se trouve de nouveau en exil, à Nov-
gorod-le-Grand cette fois, qu'il quittera en mai 1842, quand on lui aura par
donné ses écarts de langage et de plume, un pardon auquel il répondra de façon
assez impertinente en demandant sa mise en disponibilité.
Il oublie ces servitudes en lisant et méditant Hegel auquel il s'était initié
tout d'abord par des ouvrages de seconde main : Histoire de la philosophie
allemande du Français Barchou de Penhoet et Prolegomenen zur Historio-
sophie du Polonais Cieskowski^. Ayant achevé la Phénoménologie de l'Esprit
il écrit en février 1842 : « J'ai terminé ma lecture avec un battement de cœur,
avec une sorte de solennité »(5). La même note revient sous sa plume quand
il a lu la seconde partie de ^Encyclopédie des Sciences : « Des pensées sublimes
qui vous font palpiter et vous frappent par leur simplicité, leur poésie et leur
profondeur »(e). Il est significatif que Herzen, qui cite dans son Journal
d'autres œuvres de Hegel, notamment l'Introduction à la philosophie de
l'histoire, YHistoire de la philosophie, le Cours d'esthétique, ne mentionne
qu'incidemment la Science de la logique, que Bakunin avait traduite en partie
et commentée pour Belinskij en 1840 (Turgenev s'en délectait en écoutant
à Berlin les cours de Werder). Le côté statique de la doctrine, la contemplat
ion de l'harmonie abstraite de l'univers hégélien par son créateur, n'intéresse
pas Herzen qui est attiré au contraire par les éléments concrets et dynamiques
de l'œuvre inclinant le lecteur vers l'étude de la nature, de l'homme et de l'hu-
W T. II de la nouvelle édition des Œuvres de Herzen, p. 199-416. Cette édition qui en est
actuellement au t. XII (écrits de 1852 à 1857) est plus facile à utiliser que celle de Lemke
(22 tomes, 1912-1925) : c'est elle qui sera toujours citée ici.
« Œuvres, t. IV.
W Dolg prežde vsego, fragment important d'une nouvelle inachevée écrite avait 1848, t. VI,
p. 247-312.
(*) Voir sur ce point les pages pénétrantes de Raoul Labry : Alexandre Ivanovic Herzen,
1812-1870, Paris, 1928, chap. vni.
W Lettre à Kraevskij du 3 février 1842, citée par Čiževskij, Gegeľ v Rossii, Paris, 1939,
p. 192. Cet auteur n'a donc pas raison d'écrire à la page précédente que Herzen n'étudia
Hegel qu'à Moscou, à partir de 1843.
<•> 2 juin 1844, II, p. 355. HERZEN À LA CROISÉE DES CHEMINS. 59
manité envisagés dans leur développement, dans leur essence actuelle et dans
leur avenir.
Cette tendance vers le réel apparaît dès qu'il songe à écrire le Dilettantisme
dans les sciences, dont une note du Journal précise ainsi l'idée directrice :
« Je voudrais écrire des propos propédeutiques destinés à ceux qui, désirant
entreprendre l'étude de la philosophie, ont perdu de vue le but, la raison et la
méthode des sciences »^, les gens donc qu'il appellera bouddhistes, dans le
dernier article de l'œuvre. Une autre note souligne avec force que la philoso
phie ne peut s'appliquer qu'à la réalité, à la réalité actuelle : « Le présent est la
sphère réelle de l'existence... La vie est le but de la vie... La vie sous la forme,
au stade d'évolution dans lequel est placé l'être vivant, c'est-à-dire la fin de
l'homme — c'est la vie humaine »(2). H se dégage donc des constructions arbi
traires de la logique hégélienne, dont Bakunin, ce « squelette logique », disait
Belinskij, resta longtemps le prisonnier. Il est significatif que, le jour où
il rédige cette dernière note de son Journal, Herzen relit, en guise d'antidote
à Hegel, le De rerum natura de Lucrèce. Il s'écrit : « Quelle maturité et, sous
certains rapports, quel bon sens dans ses vues! Oui, l'Antiquité savait mieux
que notre époque aimer et apprécier le Cosmos, le grand Tout, la Nature »^.
C'est à la nature que Herzen, converti dès son adolescence par le « cousin
.Alexis » au positivisme scientifique, avait consacré tous ses mémoires d'étu
diant. Malgré Hegel elle resta plus tard pour lui la réalité immédiate qu'il ne
perdit jamais de vue et qu'il prit comme matière de son autre œuvre philoso
phique de cette époque : les Lettres sur l'étude de la nature, écrites d'avril
1844 à septembre 1845, l'humanité suivie, dans son développement, faisant
d'ailleurs partie de cette «nature» qui est en fait toute la réalité concrète.
Au surplus, en 1844, Herzen redevient étudiant en biologie et en médecine.
Il assiste aux dissections, lit les traités de Sommering, le grand anatomiste
et physiologue allemand (1795-1830), et il y joint les œuvres de Cuvier, de
Geoffroy Saint-Hilaire, des chimistes Liebig et Dumas. Il veut comprendre
l'organisme humain, surprendre les secrets de. la nature. Les arguments que
lui opposa Chomjakov dans leur grand débat de décembre 1842 (4> n'ont
pas de valeur à ses yeux. Le penseur slavophile alléguait que le monde hégél
ien, dévelop

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