Amérique latine : la  philosophie de la subversion  créatrice et le développement théorique - article ; n°90 ; vol.23, pg 407-417
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Description

Tiers-Monde - Année 1982 - Volume 23 - Numéro 90 - Pages 407-417
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 31
Langue Français

Extrait

Edgar Montiel
Amérique latine : la philosophie de la subversion créatrice et le
développement théorique
In: Tiers-Monde. 1982, tome 23 n°90. pp. 407-417.
Citer ce document / Cite this document :
Montiel Edgar. Amérique latine : la philosophie de la subversion créatrice et le développement théorique. In: Tiers-Monde.
1982, tome 23 n°90. pp. 407-417.
doi : 10.3406/tiers.1982.4129
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1982_num_23_90_4129AMÉRIQUE LATINE :
LA PHILOSOPHIE
DE LA SUBVERSION CRÉATRICE
ET LE DÉVELOPPEMENT THÉORIQUE
par Edgar Montiel*
PROBLEMATIQUE
Certains intellectuels européens s'étonnent de voir que les intellec
tuels latino-américains s'occupent sans cesse de politique. Selon eux,
nous politisons tout. Ainsi, lorsque nous parlons ď « anti-impérialisme »,
ď « anti-oligarchie », ď « antidictature », des écrivains comme Jean-
François Revel pensent que nous le faisons par pure manie, par manque
ď « esprit constructif » tout simplement1. Et lorsque Garcia Marquez
publia U Automne du 'Patriarche, Carpentier Le Recours de la Méthode et
Roa Bastos Moi, le Suprême, œuvre mettant toutes en scène un dictateur,
il se trouva d'autres critiques encore pour nous accuser de souiller
l'esthétique avec notre politique. Comme si l'esthétique était toute
pureté et innocence.
Quelle erreur de jugement ! Si les Pinochet, les Viděla, les Stroess-
ner ou les Duarte ne s'en prenaient à personne, les intellectuels s'occu
peraient-ils d'eux ? Mais c'est que personne n'échappe à leur vindicte ;
et les intellectuels sont leur cible favorite : censure, poursuites, exil,
torture, enlèvement, « disparition », voilà leur lot quotidien2. S'occuper
de politique ne signifie rien d'autre que de s'occuper du quotidien.
* Philosophe et sociologue péruvien. Auteur de i Una Filosof {a de la Subversion Creadora?
(« Cuadernos Americanos », Mexico). Chercheur au Centre d'Etudes du Tiers Monde
(ceestem, Mexico). Il prépare une thèse d'Etat à l'Université Panthéon-Sorbonne.
1. Hebdomadaire Care tas, Lima, octobre 1979.
2. Sur le traitement que réservent les régimes dictatoriaux aux intellectuels et à l'univers
ité, se référer à l'article Dans la clandestinité l'université survit à la guerre à la pensée,
paru dans l'hebdomadaire Proceso, Mexico, 3 août 1981.
Revue Tiers Monde, t. XXIII, n» 90, Avril-Juin 1982 4O8 EDGAR MONTIEL
Participer par la pensée à la lutte politique est donc une forme d'auto
défense car, face à la manu militari du pouvoir politique, le premier
refuge n'est-Д pas la conscience critique, le second étant l'action ?
l'itinéraire imitateur des classes dominantes
La philosophie suscite une crainte supersticieuse chez les dictateurs.
Elle est pour eux l'une de ces sciences occultes aux pouvoirs maléfiques.
Doit-on s'en étonner ? Leur dépendance caractéristique a toujours
empêché l'oligarchie et la bourgeoisie de se constituer une doctrine
propre. L'oligarchie, comme nous le disait Mariátegui, « prise au piège
de son rôle économique » dut « faire fonction » de classe dirigeante3. Or
elles n'ont, ni l'une ni l'autre, pleinement assumé leur rôle; elles ne se sont
jamais défaites de leurs gènes d'autorité seigneuriale. Et sur le plan idéo
logique, elles n'ont jamais produit un corps d'idées qui légitime leur action
politique. Elles étaient (et sont encore) des bourgeoisies incomplètes,
doctrinairement castrées. Il n'est donc pas étonnant qu'elles aient tou
jours été à l'avant-garde de la dodlité dans le domaine de la pensée. Car,
comme elles ne produisent pas leurs propres concepts, elles reprennent
à leur compte les concepts élaborés par les intellectuels étrangers.
Or cette situation se perpétue de décennie en décennie. Déjà des
philosophes comme Augusto Salazar Bondy, Leopoldo Zea ou Abelardo
Villegas ont retracé, dans leurs ouvrages sur l'histoire des idées, l'it
inéraire imitateur des classes dominantes latino-américaines. Et ce n'est
pas que de l'histoire ancienne : ces deux dernières années nous offrent
deux cas d'anthologie. Qu'il nous soit permis d'en conter ici le détail.
En 1978, en plein débat électoral, les « nouveaux philosophes » font
leur apparition en France. Six mois plus tard, Г « initiative privée » mexi
caine invite Bernard Henri-Levy et sa cour à se rendre au Mexique, où
ils sont reçus avec tous les honneurs de la presse, de la radio et de la
télévision (seule l'université se démarque). Ce qui nous préoccupe, ce
n'est pas la venue de ces philosophes au Mexique, mais bien sûr le fait
— aussi symptomatique que grotesque — que les élites dominantes
locales, comme mues par un réflexe conditionné, aient alors introduit
dans les débats nationaux les arguments que les « nouveaux philosophes »
avaient mis au point pour la polémique politique parisienne.
Le second cas digne d'être conté met en scène Jean-François Revel.
3. José Carlos Mariátegui. Cf. le Troisième Essai des 7 Essais pour une interprétation de
la réalité péruvienne, Lima, Ed. Amauta. AMERIQUE LATINE 409
En 1976 paraît le livre Du bon sauvage au bon révolutionnaire du Vénézuélien
Rangel, dont Jean-François Revel rédige le prologue. Or à Lima, un
illustre conservateur, Haya de La Torre, voulant certainement passer
pour un intellectuel de bon goût, cite de larges passages de ce livre au
cours d'une réunion de masse. Le doctrinaire français acquiert alors
une réelle popularité; et les intellectuels de gauche, eux-mêmes, croient
de bon ton — et à la mode — de parler du « plus célèbre philosophe
français contemporain ». Comme il se doit, on l'invite à Lima en 1979,
à l'occasion d'un colloque sur la Démocratie sociale de Marché, organisé
par un institut proche du Parti populaire chrétien (de droite) et dont il
doit être l'un des éminents participants. Reçu, lui aussi, avec tous les
honneurs de la presse, de la radio et de la télévision, Revel publie — afin,
sans doute, de donner une preuve de son envergure intellectuelle — un
article pontifiant sur le développement économique, politique et culturel
en Amérique latine. C'est un fiasco ! Tout lecteur quelque peu attentif
peut en effet se rendre compte de l'ignorance monumentale de Revel
dans ce domaine. (Et les philosophes français connaissent fort bien la
modestie de ses travaux philosophiques.) Quoi qu'il en soit, on ferme
les yeux sur cette évidence et Revel continue à donner le ton aux niais
et à la droite liménienne.
Ces faits — que l'on a parfois tendance à laisser passer avec indul
gence — devraient nous préoccuper, car ils ne sont pas qu'anecdotes.
L'ignorance des dictateurs est aussi grotesque que dramatique. Alej o
Carpentier nous racontait, par exemple, que le dictateur Machado (1928)
donna un jour l'ordre de saisir tous les « livres rouges ». Et c'est ainsi
que l'on saisit notamment — le rapport du Procureur général en fait
foi — Le Rouge et le Noir de Stendhal, Le Chevalier de Maison Rouge
d'Alexandre Dumas, Le Lys Rouge d'Anatole France et... Le Petit Cha
peron Rouge. Quant à La Sainte Famille d'Engels, on n'y toucha pas puis
qu'il s'agissait d'un « livre religieux »4. Cet épisode non plus n'est pas
de l'histoire ancienne. Cinquante ans plus tard, les sinistres services
d'intelligence (sic) de Pinochet donnaient l'ordre de saisir tous les
livres sur le « cubisme » puisque, selon eux, il s'agissait d'un mouvement
de « peintres castristes »...
Comment des hommes d'une ignorance aussi évidente pourraient-ils
donc distinguer un intellectuel d'un autre ? Comment
faire la différence entre un Plotin et un Epicure, un Nietsche et un Marx,
un Borges et un Garcia Marquez ? Par la lecture ? Par ouï-dire ? Par
4. Edgar MoNTiEL, Le dictateur et le romancier. Un entretien inédit avec Alejo Carpent
ier, hebdomadaire Le Nouvel Observateur, n° 810, du 19 mai 1980, Paris. 4IO EDGAR MONTIEL
instinct ? Il semble, en fait, qu'ils soient dotés d'une espèce d'instinct
politique. Instinct que développe, chez eux, l'exercice du pouvoir. Les
messages int

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