Conflits fonciers à Mokerang, village matankor des îles de l Amirauté - article ; n°2 ; vol.6, pg 32-52
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Conflits fonciers à Mokerang, village matankor des îles de l'Amirauté - article ; n°2 ; vol.6, pg 32-52

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Description

L'Homme - Année 1966 - Volume 6 - Numéro 2 - Pages 32-52
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1966
Nombre de lectures 7
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Lola ROMANUCCI Schwartz
Conflits fonciers à Mokerang, village matankor des îles de
l'Amirauté
In: L'Homme, 1966, tome 6 n°2. pp. 32-52.
Citer ce document / Cite this document :
Schwartz Lola ROMANUCCI. Conflits fonciers à Mokerang, village matankor des îles de l'Amirauté. In: L'Homme, 1966, tome 6
n°2. pp. 32-52.
doi : 10.3406/hom.1966.366784
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1966_num_6_2_366784CONFLITS FONCIERS A MOKERANG,
VILLAGE MATANKOR DES ILES DE L'AMIRAUTÉ
par
LOLA ROMANUCCI SCHWARTZ
Nous nous proposons d'étudier dans cet article la façon dont les habitants
de Mokerang, village des Iles de l'Amirauté, utilisent les mythes, les traditions
historiques et les généalogies pour résoudre leurs conflits fonciers.
L'archipel de l'Amirauté, en Mélanésie du nord, comprend la Grande Amir
auté, ou Manus, et une frange d'îlots dont certains sont volcaniques et d'autres,
la plupart, des bancs de corail sablonneux. La Grande Amirauté mesure environ
80 kilomètres d'est en ouest et 25 du nord au sud. La population est évaluée
à près de 19 000 âmes.
Les insulaires de l'Amirauté se répartissent eux-mêmes en types écologiques :
les Manus, ou gens « d'eau salée », étudiés par Mead (1930, 1934, 1956, 1961) et
Fortune (1935) ; les Usiai, population de jardiniers qui occupent l'intérieur de
l'île ; enfin les Matankor, disséminés sur les îlots alentour. Les Manus « d'eau
salée » vivaient de pêche et de commerce ; habiles constructeurs de pirogues et
navigateurs intrépides, ils s'aventuraient en haute mer. Les Usiai cultivaient des
jardins ; craignant la mer, ils ne péchaient pas et ne possédaient pas de pirogues.
Avec les Manus et les Matankor, ils entretenaient des relations traditionnelles
d'échange. Comme certains groupes matankor, ils étaient cannibales. Les Matan
kor vivaient en économie mixte : culture de fruits et de tubercules dans les jar
dins, construction de pirogues et pêche en mer ; ils étaient adroits sculpteurs et
artisans. Chaque îlot avait sa spécialité : lits sculptés, perles de coquillage, pointes
de flèches en obsidienne. Fréquemment en guerre les uns contre les autres, les
trois groupes étaient en outre déchirés par des luttes intestines.
En 1884, l'Allemagne prit sous protectorat l'archipel Bismarck, qui compren
ait les îles de l'Amirauté, où elle établit en 1912 une administration locale et
un poste de police. Presque toutes les plantations encore exploitées furent créées
par des colons allemands. En 1914, les Australiens occupèrent l'Archipel qui CONFLITS FONCIERS A MOKERANG 33
passa définitivement sous leur tutelle en 1921, en vertu du mandat de la Société
des Nations qui attribua la Nouvelle-Guinée à l'Australie.
Les revendications foncières sont actuellement au premier plan des préoccupat
ions indigènes ; individus et villages s'efforcent de faire reconnaître officiell
ement et inscrire sur les registres de l'administration d'anciens droits de pro
priété et d'usufruit. Les gens « d'eau salée », dépourvus de terre, essayent de
prendre pied dans l'intérieur du pays où ils se heurtent à l'opposition des Usiai.
On songe à la fin du statut actuel, mais sans pouvoir dire si et quand elle aura
lieu. Des vicissitudes de l'occupation européenne, on a tiré au moins une leçon :
la propriété de la terre doit être authentifiée par une autorité qui transcende les
parties en présence, et non par le droit du plus fort affirmé dans la lutte armée.
Toutefois, la manière de poser les revendications demeure strictement traditionn
elle, et il y a fort à penser qu'en l'absence d'un gouvernement central énergique,
le recours à la violence — ou à d'interminables litiges — se généraliserait de
nouveau.
Le prix des denrées tropicales ne cessant de s'avilir, tandis que croissent les
frais d'exploitation des vieilles plantations (Crocombe, 1964), les colons austra
liens cherchent à vendre leurs terres. Les indigènes, qui bénéficient de prêts ou
d'aide à la formation de coopératives, sont disposés à les acheter. Ceux qui peuvent
faire valoir des droits traditionnels ont tendance à considérer qu'une priorité
d'achat devrait leur être accordée, mais l'administration donne volontiers la pré
férence à ceux qui ne possèdent aucune terre.
Dans l'esprit des propriétaires traditionnels, il n'y a d'ailleurs jamais eu ali
énation légitime des terres, celles-ci ayant été acquises par les Allemands pendant
les hostilités. Les occupants furent expulsés soit à la suite d'expéditions punit
ives, soit par simple installation de colons. Comme presque personne, à cette
époque, ne parlait le pidgin-english, nombreux furent les indigènes qui apprirent
avec stupeur qu'ils s'étaient dépouillés de leurs terres en échange de biens de
consommation courante. On accusa certains colons et certains postes mission
naires d'avoir au fil des ans démesurément étendu leur emprise territoriale aux
dépens des indigènes qui se réfugiaient aux alentours afin de rester en vue de
leurs terres, et ceci parfois durant un demi-siècle. Quant à ceux qui travaillaient
pour les planteurs ou leurs intendants, ils se voyaient souvent éliminés au profit de
travailleurs sous contrat importés de régions fraîchement colonisées. C'est en
fonction des groupes actuels que les insulaires ordonnent leur histoire qui porte
en effet sur des unités sans consistance durable. La répartition en unités résident
ielles distinctes se modifiant environ tous les dix ans, les groupes dont il est fait
état dans les récits d'origine ont depuis lors fusionné.
Ce processus de fusion prend diverses formes. L'une d'elles est illustrée par
l'intégration des gens de Papitalai et de Mokerang que nous examinerons en détail
plus loin. La fusion des Manus et de leurs hôtes de l'intérieur en révèle une autre.
3 LOLA ROMANUCCI SCHWARTZ 34
De nombreux récits manus se réfèrent à un thème historico-mythique fort
ement stéréotypé ; on y voit les Manus se présenter chez les Matankor, qui les
invitent à demeurer et leur attribuent des terres. On raconte par exemple que
des Manus sont arrivés à Mbuke, où on leur a octroyé des terres et des droits
de pêche ; on dit aussi que d'autres Manus sont allés à Baluan et à Rambutjon.
Les groupes matankor s'éteignent parfois, laissant les visiteurs manus maîtres
du pays. Les récits ne mentionnent jamais de difficultés linguistiques entre les
nouveaux arrivants et leurs hôtes, et l'on cite toujours les termes exacts employés
lors du don de la terre. C'est sur des récits de ce genre que les gens de Mbuke
fondent leur revendication concernant Mulitau (les îles Purdy) qu'ils sont sur
le point d'acquérir : cet endroit leur a été donné, disent-ils, par les Matankor ;
il s'agit là, en fait, de l'aboutissement d'un conflit semi-historique, semi-mythique
avec Bipi1.
A Lengau (Rambutjon) le conflit Lagandrowa concerne une plantation qui
fut morcelée et redistribuée par le gouvernement. Les premiers occupants matan
kor étaient les Seye, les Gahau et les Mouks ; ces derniers firent valoir auprès du
gouvernement leur pénurie en terres. Les Manus affirmèrent tenir ces terres des
Seye qui les auraient engagés à demeurer ; les actuels propriétaires déclarèrent
avoir acheté ces terres aux Manus.
A l'encontre de la revendication manus, d'ordre purement historique, les
Gahau-Seye ont recours aux généalogies et aux mythes, dont certains sont asso
ciés à des noms de lieux, pour établir leurs liens de filiation directe avec les pre
miers occupants. Selon l'un de ces récits, les Gahau-Seye sont descendants toté-
miques du poisson bleu qu'ils mangèrent, d'où la vie de peines et de misères
qu'ils ont menée depuis lors.
En fait, nul ne conteste aux Gahau-Seye la possession initiale de la terre, ni
aux Manus la vraisemblance historique de leur revendication. Ces invitations
réitérées aux Manus, pour étranges qu'elles paraissent, s'expliquent si l'on admet
qu'ils traversaient alors une phase belliqueuse et conquérante de leur histoire :
cert

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