Des Maux et des mots - article ; n°3 ; vol.20, pg 85-107
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Description

L'Homme - Année 1980 - Volume 20 - Numéro 3 - Pages 85-107
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1980
Nombre de lectures 10
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Marine Carrin-Bouez
Des Maux et des mots
In: L'Homme, 1980, tome 20 n°3. pp. 85-107.
Citer ce document / Cite this document :
Carrin-Bouez Marine. Des Maux et des mots. In: L'Homme, 1980, tome 20 n°3. pp. 85-107.
doi : 10.3406/hom.1980.368101
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1980_num_20_3_368101DES MAUX ET DES MOTS
par
MARINE CARRIN-BOUEZ
Les Santal1, au moment de la fête des rieurs qui a lieu au printemps, déplorent
dans leurs chants la lutte qui opposa jadis deux clans adverses ; ils disent que leurs
ancêtres soufflèrent en vain dans la corne de cuivre pour couvrir le bruit de l'épi-
lepsie mirgi qui résonnait dans la forêt, puis, qu'étant arrivés à l'endroit où ils
abandonnèrent leurs anciennes coutumes, ils furent eux-mêmes frappés d' épilepsie
et s'entretuèrent.
L' épilepsie survient ici comme un bouleversement de l'ordre du monde, consé
quence de l'abandon des anciennes coutumes. Lorsque les Santal évoquent un
trouble similaire frappant un individu, ils disent seulement que ce dernier a ren
contré l'ombre de la divinité de la folie, Konko, sur la colline. Cependant, nil'épi-
lepsie ni le délire provoqué par Konko ne sont des maladies. Mais si on peut conjurer
la folie par l'exorcisme, l'épilepsie est ressentie comme un malheur mythique qui
la place au delà de la maladie.
I. — Causes et représentation des maladies
Dans la vie quotidienne, on attribue au malheur, dukh, tout désordre qui frappe
le corps et devient alors une maladie. Celle-ci est imprévisible car les Santal, à
l'encontre de leurs voisins hindous2, ne lient pas leur destin personnel au mouve
ment des planètes. Pour se protéger du malheur en général, le groupe agnatique
ou l'individu célèbrent des rites de prospérité. A cette fin aussi les ancêtres sont
l'objet d'un culte régulier ; en outre, tout individu peut rendre sur son autel
ancestral un culte à une divinité protectrice. Mais quand le malheur se précise et
1. Les Santal, groupe austroasiatique, sont aujourd'hui plus de trois millions ; on les
rencontre en Inde dans les États du Bihar, du Bengale et de l'Orissa. C'est au nord de cette
dernière région qu'ont été recueillis les matériaux qui ont servi de base au présent travail,
2. Dans l'hindouisme populaire, les maladies sont dues soit à un châtiment des dieux, soit
à une mauvaise conjonction astronomique.
L'Homme, juil.-sept. iç8o, XX (3), pp. 85-107. 86 MARINE CARRIN-BOUEZ
atteint le corps ou l'ombre3, on a affaire à la maladie, dont les multiples formes
constituent un domaine spécifique qui relève d'un spécialiste : le prêtre-devin,
ojha.
La maladie est ressentie d'abord comme une situation, hasu mina (litt. « il y a
un mal »), à partir de laquelle se développe un discours étayé : (i) par les concep
tions relatives à l'origine des maladies — elles sont attribuées aux agissements des
divinités ou des sorcières, à la transgression d'un interdit ou encore à une négli
gence en matière rituelle ; (2) par une théorie de la pathogénèse et des symptômes.
Chacun sans doute peut donner sa propre interprétation des maladies aux
quelles il est confronté, mais le ojha fonde la sienne sur un ensemble de principes
heuristiques qui en font une vérité objective pour les autres. Il a en effet reçu sa
connaissance au terme d'un apprentissage d'au moins trois ans auprès d'un maître,
guru, dont il est le disciple, cela. Si tout Santal connaît de façon plus ou moins
précise les rehet' ran, plantes médicinales, le ojha acquiert, au cours de longues
randonnées en compagnie d'un autre ojha expérimenté, un savoir concernant non
seulement ces plantes, mais aussi les symptômes et les différentes classes de
maladies. Il apprend en outre des techniques divinatoires4 de type chamanique
dont la plus courante consiste à extirper par morsure, ger, le mal après l'avoir
concentré à l'aide d'invocations chantées, jharni, en un seul point du corps. Par
la possession, rumu, le ojha apprend encore à connaître les divinités, bonga —
qu'aucun attribut ne définit, mais qui sont localisées dans l'espace et censées se
manifester de façon intermittente et imprévisible pour troubler les humains — et
à les apaiser, khandao, ce terme signifiant aussi « avertir » et « admonester ». Il doit
enfin connaître l'anatomie, et principalement les jiv duar « portes de la vie », seuils
les plus vulnérables par où la maladie pénètre dans le corps : oreilles, yeux, nez,
bouche, foie, sexe. Les ojha affirment également pouvoir sentir le pouls en ci
nquante-cinq points différents, qu'ils ne peuvent nommer mais où ils localisent plu
sieurs divinités au cours de la cure. Sans entrer ici dans les détails de la conception
du corps proprement dite, précisons que pour les Santal celui-ci fonctionne grâce
à l'activité des sir, qui sont à la fois des muscles, des nerfs et des veines ; la façon
dont ils se tordent, se tendent ou se disloquent provoque divers symptômes dont
certains peuvent annoncer la mort. Cependant, c'est le sacrifice qui confère à ce
savoir son efficacité symbolique : le ojha prouve qu'il le maîtrise en allant jusqu'à
sacrifier son propre sang en l'un des trente-trois points qu'il repère sur son corps.
Il identifie ainsi son corps à celui du patient. Il peut aussi faire tourner la volaille
sacrificielle autour de chacune de ses jambes, puis la mettre en contact avec la
3. umul en santal ; ce terme désigne plus précisément le reflet de l'homme dans l'eau.
4. Les divinités le plus souvent mises en cause au cours des séances de divination sont
Daini, divinité des sorcières, Bhulari, divinité de l'ombre néfaste, Najom, divinité du mauvais
œil. Un trou apparaît sur la feuille à l'endroit de la tache d'huile sur laquelle le ojha a pro
noncé le nom de la divinité. DES MAUX ET DES MOTS 87
tête, les mains ou les genoux du patient. Dans les cas graves il extrait par morsure
le mal sous la forme d'un caillou auparavant dissimulé dans sa propre bouche
ou dans un emplâtre qu'il a confectionné ; il transfère alors le mal dans une
statuette de terre censée représenter le patient lui-même, puis détruit la sta
tuette et d'autres objets de terre qui symbolisent les biens du patient, simulant
ainsi la mort de ce dernier et l'annonçant à haute voix à la divinité. Celle-ci,
dupée, doit dès lors s'estimer comblée ; libéré par la mort de son substitut, le
patient vivra. C'est là une logique de substitution que le ojha est seul à pouvoir
mettre en pratique, soit en se substituant lui-même au patient, soit en simulant
la mort de ce dernier.
Lorsque le savoir du ojha est mis en échec, on conclut, non pas que le diagnostic
était erroné, mais qu'il y a eu interférence de divinités plus redoutables que celles
d'abord tenues pour responsables : la cure ne comporte pas d'erreur mais seul
ement des rapports de force entre le prêtre-devin et les causes surnaturelles de la
maladie. Ces rapports de force ont pour modèle ceux qui sont à l'œuvre dans la
société, où le principal antagonisme est celui des sexes. La plupart des fauteurs de
maladies sont en effet de sexe féminin, depuis les divinités qui ont directement le
pouvoir de causer la maladie et leurs disciples et intermédiaires, jusqu'aux sor
cières, aux femmes mortes en couches et aux victimes de la malemort en général.
Si fort est ce conflit entre les sexes qu'il n'est pas rare que la mère ou la tante
paternelle d'un homme soit soupçonnée de le « dévorer » ; l'une de ces parentes peut
également chercher à s'attirer comme complice la propre épouse du malade. Si
cette dernière ne consent pas à devenir sorcière à son tour, elle sombre, dit-on,
dans la folie. Les Santal se plaisent d'ailleurs à souligner la ressemblance entre les
sociétés de sorcières, si informelles qu'elles soient, et la relation entre un prêtre-
devin et ses disciples, en disant que la femme du premier ojha a volé la connais
sance et l'a détournée de son vrai but. La sorcellerie apparaît donc comme une
science dévoyée par les femmes. La sorcière atteint sa victime en s' emparant d'une
partie de sa substance corporel

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