Deux amis : ?echov et Levitan - article ; n°1 ; vol.41, pg 135-149
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Description

Revue des études slaves - Année 1962 - Volume 41 - Numéro 1 - Pages 135-149
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1962
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Sophie Laffitte
Deux amis : Čechov et Levitan
In: Revue des études slaves, Tome 41, fascicule 1-4, 1962. pp. 135-149.
Citer ce document / Cite this document :
Laffitte Sophie. Deux amis : Čechov et Levitan. In: Revue des études slaves, Tome 41, fascicule 1-4, 1962. pp. 135-149.
doi : 10.3406/slave.1962.1795
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1962_num_41_1_1795DEUX AMIS :
ČECHOV ET LEVITAN
PAR
SOPHIE LAFFITTE
Plus on scrute la vie de Čechov, plus nettement on sent que l'amour et
l'amitié n'y ont eu que peu de part, que sa solitude a été, bien plus que
matérielle, une solitude d'ordre métaphysique.
Il a été le meilleur des fils, le meilleur des frères, le plus attentif et le plus
fidèle des amis. Mais il avait tracé autour de lui une invisible barrière que
personne ne franchissait jamais. A l'intérieur de ce cercle, il était seul, face
à son art qui a été la seule chose qu'il ait réellement aimée, la seule qui ait
vraiment compté pour lui. Il savait qu'il avait reçu un don exceptionnel.
A ce don, il était décidé à tout sacrifier. N'avait-il pas écrit à son frère Nicolas,
peintre de talent mais instable et agité, alcoolique par surcroît : « Tu as
« reçu du ciel ce que d'autres n'ont pas : le talent. Ce talent te met au-dessus
« de millions d'hommes car, sur cette terre, on compte à peine un artiste
« pour deux millions d'humains. Le talent te met dans une situation parti-
« culière... N'oublie pas que les vrais talents restent toujours dans l'ombre,
« cachés dans la foule, loin du bruit et de la cohue... Ils respectent leur propre
« don, lui sacrifient tout, le repos, les femmes, le vin, la vaine agitation » ^K
Anton Čechov, lui, était bien décidé à sacrifier tout cela. La nature l'avait
doué d'une volonté peu commune et d'une lucidité qui, très tôt, lui avait
permis de voir les véritables dessous de l'existence et les mobiles qui régissent
les actes des hommes. En fait, il n'aimait pas spontanément les hommes.
Ses semblables étaient pour lui avant tout une catégorie esthétique. Il appréc
iait et admirait des êtres exceptionnels ou pittoresques : un Tołstoj, un
Suvorin, un Gor'kij, un Levitan, ou tel pauvre paysan dont lui plaisaient
la verdeur, l'humour, la naïveté, la pureté de cœur. Mais tous ceux qui ne
flattaient pas son sens esthétique ou qui ne satisfaisaient pas son sens moral
í1' Lettre à Nicolas Čechov, mars 1886. SOPHIE LAFFITTE 136
particulièrement exigeant, ceux-là le rebutaient, l'indignaient, l'ennuyaient :
« Je n'aime pas les hommes. Il y a longtemps que je n'aime plus personne...
« Les paysans se ressemblent tous, sont arriérés, vivent dans la saleté ; quant
« aux intellectuels, il est difficile de s'entendre avec eux. Ils sont fatigants.
«Tous nos bons amis sont mesquins, de pensées, de sentiments, ne voient
« pas plus loin que leur nez, sont tout simplement bêtes. Et ceux qui sont
« plus intelligents, ceux-là geignent, sont haineux, maladivement médisants »,
fera-t-il dire à son porte-parole, le Dr Astrov, dans Oncle Vanja ^K
Le premier mouvement de Čechov est un mouvement de recul et de défense :
il se retranche dans un univers dont il n'ouvre jamais l'accès à personne
et au sein duquel il se sent seul, irrémédiablement. Son cachet portait :
« Pour l'homme seul, le monde entier est un désert ». « Et chez lui ce n'était
pas de la pose », écrira plus tard Gor'kij.
Son camarade de lycée, P. A. Sergeenko, s'étonnait de constater que le
si populaire écrivain était en fait un solitaire; qu'il avait beaucoup d'amis,
« mais qu'il n'était, lui, l'ami de personne, n'était attiré vers personne au
« point de s'oublier lui-même ». Les témoins de ses années de maturité,
des admirateurs et des disciples tels que Gor'kij, Bunin et Kuprin, profon
dément attachés à Čechov et doués d'un sens psychologique affiné, apportent
sur ce point des témoignages concordants.
Et pourtant, Čechov a eu tout au moins deux amis, Alexis Suvorin et
Isaac Levitan, tous deux, il est vrai, amis de jeunesse. Plus il avancera dans
la vie, moins Čechov aura le désir de se livrer ou même simplement de
s'exprimer même sur le plan intellectuel. L'obscur travail intérieur qui se
fait inlassablement en lui l'absorbe au point qu'il se lève de table pour aller
jeter une note sur son carnet, que ses yeux semblent toujours regarder au-
delà de l'interlocuteur qu'il écoute cependant avec une merveilleuse patience,
que de plus en plus il est ailleurs, même au sein du cercle le plus animé.
Ce travail incessant de création l'habite tout entier et ne laisse que peu de
place aux désirs, aux sentiments, aux préoccupations personnelles. Il ne
s'appartient pas. Et il sent obscurément que le temps presse, que la mort
est toute proche et qu'il reste encore tant et tant à faire. Mais dans sa jeu
nesse, pendant la période insouciante où il aimait à rire, à boire du vin, à
fleureter avec de belles filles, où la vie ne faisait que commencer et où il
n'éprouvait pas encore le besoin d'ascétisme, de concentration, de sacrifice
total à son art qui constituera le climat de son âge mûr, Čechov s'épanchera
auprès de deux êtres : intellectuellement, auprès d'Alexis Suvorin; sent
imentalement, auprès d'Isaac Levitan.
Čechov aimait l'amitié. Si l'amour ne lui avait jamais paru être un « sen
timent honorable » (Colette), l'amitié en revanche lui plaisait par ce qu'elle
a de franc, de viril, de pur, d'exaltant pour l'âme. « L'amitié est supérieure
« à l'amour. Mes amis m'aiment, je les aime et, à travers moi, ils s'aiment
« les uns les autres. Tandis que l'amour rend ennemis ceux qui aiment la
(Ч Acte II, scène 1. ČECHOV ET LEVITAN 137
« même femme... L'amitié ne connaît pas cette jalousie. C'est pourquoi,
« dans le mariage, l'amitié est préférable à l'amour », disait-il à Alexis
Suvorin (Suvorin, Journal).
Il n'avait que vingt ans ^ quand il fit, en 1880, la connaissance d'un
bel adolescent brun et bouclé, ami et condisciple de son frère Nicolas à
l'École de peinture, de sculpture et d'architecture de Moscou. Isaac Levitan
devint rapidement le meilleur élève de l'atelier dirigé par le fameux paysag
iste Savrasov ^. Le nom d'Alexis Kondraťevič était devenu populaire
depuis 1871 et la première « Exposition itinérante » où son paysage prin-
tanier Grači prileteli! avait fait sensation à côté d'autres œuvres considérées
comme révolutionnaires, celles d'un Perov, d'un Kramskoj ou d'un Gay ^K
Dirigée par le peintre Vasilij Grigor'evič Perov, l'École de peinture de
Moscou, cette libre académie des beaux-arts, était l'une des institutions les
plus libérales de la Russie. Isaac Levitan en était, avec les frères Serge et
Constantin Korovin, l'un des espoirs les plus brillants.
Né dans une pauvre famille juive, orphelin de bonne heure, Levitan eut
une enfance et une adolescence si pénibles qu'il refusa toujours d'en parier,
même à ses intimes. A toutes les questions, il opposait le même silence
obstiné, le même geste las et désespéré. Son frère aîné, Abel Levitan, peintre
médiocre, totalement éclipsé par la gloire de son cadet, observa tout au
long de sa vie la même consigne de silence. Même le nom de la mère de
Levitan nous est resté inconnu. Inconnues également les circonstances de son
enfance et de ses premières années à Moscou. On sait seulement que le jeune
Isaac, âgé de 13 ans, entra en 1873 à l'École de peinture de Moscou dont
son frère Abel était déjà élève. On sait aussi que sa vocation fut étonnamment
précoce. Depuis toujours, le petit Levitan adorait la nature et savait qu'il
serait paysagiste. Emportant un quignon de pain, il fuyait, dès l'apparition
du printemps, vers les faubourgs de Moscou, Sokol' niki, Ostankino ou les
monts des Moineaux. Là, il peignait. Il travaillait avec une fougue, un enthou
siasme, une passion, un talent qui attirèrent sur lui l'attention de l'homme

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