Diderot. Correspondance et morale - article ; n°1 ; vol.20, pg 21-37
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Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie - Année 1996 - Volume 20 - Numéro 1 - Pages 21-37
Geneviève Cammagre : Diderot, correspondence and morality.
Diderot was haunted by the dream of writing a moral treatise. The impossibility of this undertaking may have led him to envisage publishing his private correspondence as an edifying account of his own moral experience. For the letter writer stages in this apparently changing relationship, behaviour which is dictated by his ethical reflection and mainly consists of sentimental utilitarianism. The letters are a theatre for the representation of the self, dressed as a father, lover, friend, philosopher. They help to create an exemplary life ; the appearance gives form to the being, and the recipient is called on to be, like the sender, a seductive and seducced model who will influence posterity. Yet this model is built on unstable und complex foundations which the writer explores in an indirect way, for the feeling of what escapes him is food for reflection on the complexity of the human being.
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Geneviève Cammagre
Diderot. Correspondance et morale
In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 20, 1996. pp. 21-37.
Abstract
Geneviève Cammagre : Diderot, correspondence and morality.
Diderot was haunted by the dream of writing a moral treatise. The impossibility of this undertaking may have led him to envisage
publishing his private correspondence as an edifying account of his own moral experience. For the letter writer stages in this
apparently changing relationship, behaviour which is dictated by his ethical reflection and mainly consists of sentimental
utilitarianism. The letters are a theatre for the representation of the self, dressed as a father, lover, friend, philosopher. They help
to create an exemplary life ; the appearance gives form to the being, and the recipient is called on to be, like the sender, a
seductive and seducced model who will influence posterity. Yet this model is built on unstable und complex foundations which the
writer explores in an indirect way, for the feeling of what escapes him is food for reflection on the complexity of the human being.
Citer ce document / Cite this document :
Cammagre Geneviève. Diderot. Correspondance et morale. In: Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 20, 1996.
pp. 21-37.
doi : 10.3406/rde.1996.1320
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rde_0769-0886_1996_num_20_1_1320Geneviève CAMMAGRE
Diderot, Correspondance et morale
« Si les principes de la morale étaient une fois bien posés, il sorti
rait de ce tronc une infinité de petites branches qui y ramèneraient et y
rattacheraient les vertus les plus minutieuses [...] Si les principes du goût
étaient posés [...] Le monde a bien des années encore à durer avant que
ces deux ouvrages ne soient faits. Il n'y en a pourtant pas de plus import
ants. Ils comprendraient le code de la bonté et de la beauté dans tous ses
détails» (IV, 196)1.
Dans cette lettre à Sophie Volland, d'octobre 1762, Diderot place en
tête de la liste des ouvrages à faire pour servir le genre humain, et à côté du
traité d'esthétique, le traité de morale fixant à partir de principes l'ensemble
des règles de conduite. S'il ne s'est pas personnellement attribué la tâche
d'un fondement théorique de la morale dont on déduirait des applications,
selon le modèle de l'arbre de la connaissance cher au projet encyclopéd
ique, en revanche, dans des textes écrits à des années d'intervalle, une
lettre adressée à Jacob Vernes (II, 107) en 1759 et la Réfutation d'Helvétius
en 1773, il a formulé son désir d'écrire une apologie de la vertu heureuse
et le regret de ne pas en être capable : « Non je ne me sens pas bastant pour
ce sublime travail»2, le sentiment d'insuffisance s 'accompagnant d'une
inquiétude : celle de concourir, par maladresse, à une apologie du vice3.
Une telle inquiétude que Sade inversera en plaisir blasphématoire
prend sa source dans le bouleversement créé par les effets conjugués du
déterminisme matérialiste et de l'empirisme sensualiste. Au tournant du
siècle, l'optimisme moral des Lumières faiblit. Les mots de vice et vertu
n'ont guère de sens quand l'homme, au physique et au moral, est sous
l'étroite dépendance des lois de la nature. Si dans Y Essai sur le mérite et la
vertu Diderot avait admis avec Shaftesbury l'idée d'une loi naturelle,
rationnelle et innée, elle va être rapidement mise en question par son adhé-
1. Toutes les références à la Correspondance de Diderot sont données d'après l'édi
tion de Georges Roth et Jean Varloot aux Éditions de Minuit (1955-1970), les chiffres
romains renvoient au tome, les chiffres arabes à la page.
2. Réfutation d'Helvétius, Lew., XI, pp. 535-536.
3. Ibid.
Recherches sur Diderot et sur V Encyclopédie, 20, avril 1996 22 GENEVIÈVE CAMMAGRE
sion au concept matérialiste de la nature. La Lettre sur les aveugles, les
articles Hobbisme, Modification, Vice, Volonté, la Lettre à Landois, le et
Rêve de D'Alembert, Le Neveu de Rameau, etc. ne cessent de répéter que
l'homme, comme tout phénomène, est pris dans l'enchaînement des causes
que l'idée de libre arbitre est un leurre. Le méchant est malheureusement
né ou, selon la formule de Hobbes, que Diderot trouve « sublime », il est
« un enfant robuste », doté de passions fortes.
Supposez qu'un enfant eût à six semaines l'imbécillité de jugement
de son âge, et les passions et la force d'un homme de quarante ans, il est
certain qu'il frappera son père, qu'il violera sa mère, qu'il étranglera sa
nourrice, et qu'il n'y aura nulle sécurité pour qui l'approchera4.
L'idée d'un triomphe du méchant entièrement tendu vers le succès de
ses intérêts, la négation de la responsabilité morale hantent la pensée de
Diderot. A l'automne 1760, à une période de détresse intellectuelle part
iculièrement sensible dans ses lettres, la lecture de Y Histoire Universelle de
Voltaire accentue le pessimisme de son regard5 : il ne voit partout que la
réussite de scélérats, franchement féroces ou hypocritement malhonnêtes.
De façon plus constante, il s'émeut des conséquences d'un parti pris athée.
Au temps de la Promenade du sceptique, Athéos, au nom si clair, ne trou-
ve-t-il pas « sa femme enlevée, ses enfants égorgés, et sa maison pillée »
(DPV, II, 138) vraisemblablement par l'aveugle dévot auquel il avait appris
à ne plus craindre le Ciel ?
Comment donc échapper à l'amoralisme anarchique, au choc des
égoïsmes ? On sait que, dès la lettre à Landois, Diderot affirme d'une part
que les idées de bienfaisance et de malfaisance doivent se substituer à celles
de vice et de vertu, que la bienfaisance conduit au bonheur et d'autre part
que des causes externes peuvent modifier le tempérament individuel,
l'espèce, la société: «De là les bons effets de l'exemple, des discours, de
l'éducation» (I, 214). L'évolution de sa pensée le conduit à admettre des
modifications d'origine intérieure. Prenant parti contre un déterminisme
étroit, la Réfutation d'Helvétius affirme ainsi l'existence de «causes
propres à l'homme» (Lew., XI, 490). Les Éléments de physiologie revien
nent sur ce point en ces termes :
II y a des causes qui agissent sur nous intérieurement, comme exté
rieurement. Présence du bien réjouit, désir du bien donne de l'amour.
L'attente du bien produit l'espérance.
La présence du mal donne de la tristesse, de la terreur ; la suite du
mal, de la haine : l'attente du mal de la crainte : la crainte du mal à venir:
la terreur du mal présent (DPV, XVII, 492).
4. hobbisme, Lew., XIV, 305, voir aussi la reprise de la formule de Hobbes et de la
traduction qu'en donne Diderot dans la Réfutation d'Helvétius, Lew., XI, p. 499.
5. Voir III, 204. CORRESPONDANCE ET MORALE 23 DIDEROT,
Cependant l'existence d'êtres irrépressiblement méchants et trouvant
leur bonheur dans le mal vient démentir la confiance dans l'adéquation
bienfaisance-bonheur et dans la possibilité d'une heureuse modification du
tempérament. Diderot va plus loin encore : l'énergie dans le mal a sa gran
deur et sa valeur esthétique6.
On ne s'attardera pas davantage sur les étapes de la réflexion éthique
de Diderot, elles ont été analysées, notamment par le biais de la relation
déterminisme-liberté dans l'ouvrage récent de Gerhardt Stenger Nature et
liberté chez Diderot après l'Encyclopédie7, il s'agit seulement de rappeler sa
permanence et surtout son caractère problématique. On comprend à ce compt
e que Diderot n'ait pu écrire un traité de morale universelle. Une œuvre
tardive comme V Essai sur les règnes de Claude et de Néron souligne
d'ailleurs qu'il est plus facile de vivre la morale que d'en établir la philosophie :
II n'y a pas de science plus évidente et plus simple que la morale
pour l'ignorant; il n'y en a pas de plus épineuse et de plus obscure pour
le savant. C'est peut-être la seule où l'on ait tiré les corollaires les plus
vrais, les plus éloignés et les plus hardis, avant que d'avoir pose les prin
cipes. Pourquoi cela? C'est qu'il y a des héros longtemps avant qu&#

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