Enquêtes sur l histoire et sur l au-delà. Rwanda, 1800-1970 - article ; n°3 ; vol.24, pg 61-82
23 pages
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Enquêtes sur l'histoire et sur l'au-delà. Rwanda, 1800-1970 - article ; n°3 ; vol.24, pg 61-82

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Description

L'Homme - Année 1984 - Volume 24 - Numéro 3 - Pages 61-82
22 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 13
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Claudine Vidal
Enquêtes sur l'histoire et sur l'au-delà. Rwanda, 1800-1970
In: L'Homme, 1984, tome 24 n°3-4. pp. 61-82.
Citer ce document / Cite this document :
Vidal Claudine. Enquêtes sur l'histoire et sur l'au-delà. Rwanda, 1800-1970. In: L'Homme, 1984, tome 24 n°3-4. pp. 61-82.
doi : 10.3406/hom.1984.368514
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1984_num_24_3_368514D'f
ENQUlTES SUR L'HISTOIRE ET SUR L'AU-DELA
RWANDA, 1800-1970
par
CLAUDINE VIDAL
A la mémoire d'Alexis Kagame,
historien du Rwanda
Comment restituer ce que pouvait être, au Rwanda, la présence des ancêtres ?
S'ils sont dangereux, c'est en raison d'épisodes biographiques précis - — qu'il faut
remémorer — , et en raison d'un état civil lignager. Un défunt n'a pas de psy
chologie, il demeure le thème d'un savoir qui passe dans l'échange verbal,
notamment entre devin et consultant, lorsqu'ils procèdent ensemble à un déchif
frage de l'histoire familiale. L'ancêtre n'est ni absent, ni existant, ni existant
ailleurs : il attend, présent au passé — « comme événement réel à la retraite n1.
Quelle intrigue historique a fait que les vivants attribuent cette sorte d'existence
et de férocité à leurs ancêtres ?
Les voies de l'absolutisme
i. Le Rwanda ancien: périphérie et royaume central
La société rwandaise telle qu'au tournant du XXe siècle et jusqu'aux années
vingt la découvrent témoignages européens et traditions orales : deux millions
d'habitants formant une entité politique et culturelle certes — langue commune,
souverain unique — -, mais qui vivaient dans un état constant de violence.
La périphérie et le centre : deux mondes inégalement soumis à l'autorité souver
aine. Prêtes en permanence à livrer bataille aux armées royales, les régions
septentrionales maintiennent l'autonomie de leurs territoires et de leurs clans. Au
cœur du pays, là où s'exerce le plus rigoureusement le pouvoir dynastique, le parti
r. Sartre 1940 : 349.
L'Homme, juil.-déc. 1984, XXIV (3-4), pp. 61-82. CLAUDINE VIDAL 62
des puissants, bien nés de familles illustres, domine sans autre frein que les rivalités
qui le déchirent et la versatilité, irritée en permanence par les complots, du couple
régnant — le roi et la reine-mère — dont la faveur comble et la haine tue.
En 1896, le jeune roi, légitimement intronisé, était assassiné, ses partisans et
ceux de l'usurpateur s'entretuèrent et, des années durant, continuèrent meurtres
et proscriptions : le mwami Musinga et sa mère, entourés de leurs fidèles, impos
aient leur volonté. La résistance n'aurait pu venir que des grands qu'avait dépos
sédés le coup d'État, mais ils étaient presque tous morts et leurs proches risquaient
sans cesse d'être menés au supplice. La population respectait le tambour sacré,
symbole de la royauté, et ne prenait pas parti : que l'un ou l'autre commandât
ne changeait rien à son sort. Les témoins européens qui ont dépeint une paysann
erie s'échinant à entretenir la cour et les dignitaires, à nourrir une noblesse
inactive, ne comprenaient pas que cette majorité, écrasante en nombre, ne se
rebiffât pas, à l'instar des gens du Nord, dont l'allégeance à la dynastie se bornait
à l'envoi annuel de tributs symboliques et à l'accomplissement de fonctions
rituelles. Les premiers observateurs du Rwanda central ne se préoccupèrent guère
d'analyser comment des rapports de force initiaux avaient frayé la voie au despo
tisme et à son corollaire : l'oppression de la multitude par quelques-uns. Les
Européens, pour conquérir, visaient la tête ; aussi braquèrent-ils leur attention
sur l'omnipotence royale et sur la partition de la société en deux blocs : les Tutsi,
les Hutu.
Cette partition se manifestait avec vigueur : les étrangers y virent l'idée fixe
de la société rwandaise. Elle imprégnait, il est vrai, le quotidien comme l'extra
ordinaire. Les Hutu, population à vocation agricole et anciens occupants du pays,
avaient laissé s'établir, voici des siècles, les Tutsi qui, eux, se consacraient exclu
sivement à l'élevage des bovins. Entre ces pasteurs et ces agriculteurs que se passa-
t-il ? Y eut-il affrontement violent ou plutôt infiltration pacifique ? Ou encore, des
batailles sporadiques suivies d'accalmies auxquelles succédaient de nouveaux
conflits ? Nous l'ignorons totalement : à ces très lointains épisodes ne font écho
que des légendes façonnées par les dialectiques de la raison mythologique.
Quoi qu'il en soit, les Tutsi demeurèrent pasteurs et les Hutu agriculteurs,
tandis que se forgeait et se développait une entité nationale rwandaise. Et non
sans combats, cela nous le savons, finit par s'imposer une dynastie tutsi. La
royauté s'identifiant passionnément à ses origines pastorales, l'univers des él
eveurs se transfigurait en un monde aristocratique. Tous les commandements
étaient tenus par des Tutsi, et bien que, tant s'en faut, tous ne fussent pas chefs,
ce groupe minoritaire qui monopolisait l'autorité politique et la richesse bovine
— richesse suprême au Rwanda — formait, malgré sa diversité interne, comme une
noblesse. Enfin, en très petit nombre, les Twa, d'origine pygmée, rigoureusement
marginalisés — ils n'avaient accès ni à la terre ni au bétail — faisaient l'unani
mité : Hutu et Tutsi les considéraient comme des sous-hommes. l'histoire et l'au-delà 63
Ce tableau du royaume central — il ne vaut pas pour les autres régions — , par
son schématisme, accentue le plus visible : la division en catégories statutairement
inégales, la toute-puissance du couple souverain. Reste le plus caché : les effets de
ce lent travail de centralisation qui institua comme sujets du pouvoir tant les
Tutsi que les Hutu. On peut faire l'historiographie de ce processus sur une période
d'environ deux siècles, la structure des traditions ne permettant pas, on le verra,
de remonter au delà du deuxième quart du xvme siècle. J'esquisserai l'ensemble
du mouvement mais en m'attachant plus précisément à l'une de ses composantes :
la dévitalisation des lignages aboutissant à l'autonomie économique, politique et
rituelle des familles nucléaires qui, si elles se reconnaissaient un ancêtre commun,
ne considéraient pas pour autant leur lignage comme une personne morale. Il en
résultait l'individualisation du père de famille, j'entends par là qu'il était seul
responsable dans la conduite de ses affaires comme devant les autorités2.
2. Les formes de la mémoire généalogique
La généalogie incorporée
Au Rwanda, lorsque naissait un garçon, la mère n'avait œuvré qu'à son
existence physique et le petit mâle restait en attente d'être social jusqu'à l'instant
où son père, le prenant dans ses bras, lui donnait un nom. Il suffisait à l'ordinaire,
mais, en ces circonstances de la vie qui requièrent pleine et sûre affirmation de la
personne, il fallait appesantir ce nom et lui souder ceux de ses père, grand-père,
arrière-grand-père, ainsi de suite jusqu'au dernier procréateur connu. Cette chaîne
de noms d'hommes se disait d'une haleine, comme si, condensée en un mot unique
et incorporée, rénumération se faisait réflexe immédiat d'identité. La ligne généa
logique ainsi construite possédait, il est vrai, une parfaite efficacité de discrimina
tion : deux frères, certes, étaient fils d'un même père — mais chacun avait son
nom et leur père se trouvait lui aussi le seul parmi ses frères à porter le nom que son
père lui avait imposé, ce dernier distingué de même par le nom qu'il avait reçu de
son propre père... La déclinaison de ces noms qui accolait le vif à un mort lointain
le différenciait de tout autre descendant de cet ancêtre, car cette chaîne de pro
créateurs, tour à tour singularisés en fils unique d'un père, opérait une coupe dans
l'amas des frères et des oncles issus de la semence originaire, interdisait toute
confusion au sein du cousinage.
Par cette énonciation — démonstration que des parentés successives avai

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