Inscription de la science et système unitaire : une lecture de Balzac et de Poe - article ; n°58 ; vol.17, pg 81-100
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Description

Romantisme - Année 1987 - Volume 17 - Numéro 58 - Pages 81-100
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 44
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Teresa Chevrolet
Inscription de la science et système unitaire : une lecture de
Balzac et de Poe
In: Romantisme, 1987, n°58. pp. 81-100.
Citer ce document / Cite this document :
Chevrolet Teresa. Inscription de la science et système unitaire : une lecture de Balzac et de Poe. In: Romantisme, 1987, n°58.
pp. 81-100.
doi : 10.3406/roman.1987.4903
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1987_num_17_58_4903Teresa CHEVROLET
Inscription de la science et système unitaire
une lecture de Balzac et de Poe
Dans sa représentation du conte d'Edgar Poe Révélation Magnétique,
Baudelaire rapproche les idées de l'écrivain américain de certaines ambitions
balzaciennes, notamment sur le plan de ce qu'on pourrait appeler ses « digres
sions philosophiques » :
« On connaît Séraphîtus, Louis Lambert, et une foule de passages
d'autres livres où Balzac, ce grand esprit dévoré du légitime orgueil
encyclopédique, a essayé de fondre en un système unitaire et définitif
les idées tirées de Swedenborg, Mesmer, Marat, Goethe et Geoffroy
Saint-Hilaire. L'idée d'unité a aussi poursuivi Edgar Poe, et il n'a pas
dépensé moins d'efforts que Balzac dans ce rêve caressé. Il est certain
que les esprits proprement littéraires font, quand ils s'y mettent, de sin
gulières chevauchées à travers le monde de la philosophie. Ils font des
trouées soudaines, et ont de brusques échappées par des chemins qui
sont bien à eux » 1.
Quelques années plus tard, Taine tracera lui aussi un parallèle entre
Balzac et Poe, dans une lettre qu'il adresse à Baudelaire sur Eurêka 2.
Ainsi se trouverait constituée, dans la réception du lecteur français, une
filiation philosophique entre Balzac et Poe, qu'il m'a paru intéressant d'inter
roger.
Ces résonances, en effet, n'ont qu'incidemment retenu l'attention de
la critique. Poe, dont l'œuvre a si souvent été mise en perspective, a rarement
été confronté au Balzac philosophe, dont il partage pourtant non seulement
la Weltanschauung globale de la philosophie romantique, mais aussi, nous
allons le voir, sa thématisation proprement littéraire, ses syntagmes particul
iers. Leur recours aux savoirs et à la philosophie de leur temps me paraît,
en effet, marqué principalement par une ambition commune, un fantasme
commun, qui est celui de constituer, comme le dit Baudelaire, un « système
unitaire » de la Création, en tant que support idéologique fondamental du
système esthétique et littéraire qu'ils vont élaborer sur le plan de leurs
œuvres, c'est-à-dire sur le plan de leur création.
Un autre paramètre a également retenu mon attention. Dans son étude
récente, Le Savoir Romantique de la Nature 8, G. Gusdorf développe une
idée selon laquelle les Romantismes français et anglais, qui n'ont pas,
contrairement au Romantisme allemand, développé ou problématisé leurs
idéaux sur le plan des sciences de la Nature, demeurent des Romantismes Teresa Chevrolet 82
fondamentalement incomplets. Cette idée m'a paru extrêmement intéressante
pour la compréhension des essais. scientifiques de Balzac et de Poe. On peut
lire ceux-ci, dans cette perspective, non plus comme d'étranges extrapolat
ions, mais bien comme des recours essentiels à l'élaboration du projet
romantique. Pallier l'absence de la Natur philosophie, tenter de donner à leur
Romantisme le nécessaire prolongement qu'il réclame, l'assise indispensable
à sa constitution, voilà peut-être le fantasme auquel ni Balzac, ni Poe n'ont
résisté. C'est cette lacune qu'ils ont tenté de combler par leurs « chevau
chées > philosophiques, d'une manière, il est vrai, souvent diffuse et spora-
dique, mais dont le système est parfaitement lisible. S'inspirant des mêmes
doctrines, mue par le même « orgueil », leur recherche est sensiblement voi
sine, notamment, sur la question essentielle de Г« Unité » du monde et des
représentations chère aux Naturphilosophen, qui proposent, selon Gusdorf,
une « intelligibité d'ensemble » des phénomènes naturels, une lecture tota
lisante du donné.
Sur un autre plan, la mystique de l'unité, dont Balzac et Poe vont cher
cher dans la science de leur temps la caution nécessaire, apparaît dans leurs
œuvres comme une nécessité esthétique : en effet, La Comédie Humaine
utilise l'unité à la fois comme idéologie et comme recours scripturaire. De
même, les écrits esthétiques de Poe élaborent une norme de production poé
tique principalement centrée sur l'idée d'unité.
Ainsi, le discours sur l'unité et ses conditions scientifiques s'enracine
dans l'originalité du projet littéraire lui-même.
Les pages qui suivent se proposent de montrer que l'inscription de la
science se donne à lire, chez Balzac et chez Poe, comme partie intégrante
d'une systématisation du fantasme unitaire et qu'elle aboutit, par conséquent,
à un discours critique sur la science caractéristique de Yépistémê romantique,
ennemie de la fracture et de la quantification, et ceci, non seulement dans
sa relation à l'objet de savoir, mais aussi dans la position qu'elle attribue
au sujet de son énonciation.
** *
Louis Lambert, personnage et voix philosophique de Balzac, construit
son système cosmo-poétique sur une « substance éthérée », dérivée à la fois
des théories lumineuses de Herschell, du magnétisme de Mesmer et
du fluide galvanique4. C'est la première étape du discours unitaire : celle
qui postule la matière comme réductible à une force, qui pose, comme le
fera Poe, la convertibilité fondamentale de la masse et de l'énergie.
Cette théorie de départ, qui aura les prolongements que nous verrons,
est d'un très grand intérêt sur le plan des sources de Balzac, en ce sens
qu'elle parvient à concilier, au niveau de la substance même, la doctrine
spiritualiste qu'avait léguée à Balzac la tradition illuministe d'un Swedenborg
et d'un Saint-Martin, et la vision matérialiste qu'il a pu tirer de sa fréquen
tation des milieux naturalistes 5.
Ainsi, dans la perspective de Lambert, « ce que nous nommons vulga
irement la matière » serait le résultat d'une combinatoire entre la substance
indifférenciée et le nombre, principe différenciateur. Du monde minéral au
monde intellectuel, la Création serait alors hiérarchiquement distribuée selon
des < degrés » d'intensification de la substance, ou « gradations » de la
matière. Le nombre, principe séparant, n'induirait dès lors plus seulement et Poe S3 Balzac
des quantités mais bien des spécifications qualitatives. Nous serions au
cœur de l'identité fondamentale de l'un et du multiple, dont l'assomption
conjuguée permettra à Balzac de poser l'axiome qui constitue le projet fon
damental de La Comédie Humaine — «la matière est une > — et, paral
lèlement, d'expliquer le foisonnement, les dissemblances, la multiplicité des
formes qui la peuplent.
Dans l'optique lambertienne, le nombre, en quantifiant la matière, l'in
vestirait de ses qualités : animale, végétale, spirituelle. Il transformerait ainsi
en diversité, partant en vie, l'éther originel. Dans ce sens, l'accession des
choses à l'existence ne serait finalement que ce que Diderot aurait appelé
un « changement de forme », une transformation, la diversité des « dosages »
substantiels ne faisant qu'attester la possibilité de leur ultime rencontre, par-
delà la séparation que constitue leur formulation existentielle :
« Tout ici-bas n'existe que par le Mouvement et par le Nombre. [...]
L'Unité a été le point de départ de tout ce qui fut produit ; il en est
résulté des Composés, mais la fin doit être identique au commencement.
De là cette formule spirituelle : Unité composée, unité variable, unité
fixe » 6.
Connaître, dès lors, serait prendre en filature cette « unité fixe » dont
toute chose est la dissémination, ceci par un processus de réduction à l'infini.
Toute science, ainsi envisagée, serait alors dé-constructive. Loin de créer du

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