Jouer ensemble. Approche biographique d’un loisir : le jeu de rôle - article ; n°1 ; vol.21, pg 57-74
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Description

Sociétés contemporaines - Année 1995 - Volume 21 - Numéro 1 - Pages 57-74
L’article tente d’examiner la question de la communauté des pratiques en portant attention à l’usage d’un jeu - le jeu de rôle - par un groupe de six garçons, nés en 1972 et qui y jouent depuis 1984. Il commence par la description des traits principaux du jeu de rôle: simulation, invention biographique, structure narrative, univers imaginaires ordonnés. À ce niveau, on peut voir comment les sens des histoires sont construits et dans quelle mesure ils sont partagés ou communs. Le but de l’étude est de mettre au jour les processus par lesquels le jeu donne forme au groupe de pairs. Elle montre que les ressources spécifiques trouvées dans le jeu contribuent à élaborer des procédures égalitaires. Et cherche à analyser la rupture des mécanismes qui permettaient de maintenir un équilibre entre les membres du groupe. L’article se conclut par une interrogation sur le poids des différentes temporalités vécues par ces six garçons.
The article attempts to examine the question of the community of practices by focusing on the use of a role-playing game by a group of six boys, born in 1972, who have been playing since 1984. The first part describes the main features of role-playing games: simulation, biographical invention, narrative structure and ordered imaginary universes. One can examine how the meanings of the stories are constructed and to what extent they can be shared. The central aim of the study reveals the processes by which the game shapes a peer group. Specific resources found in the game contribute to the elaboration of egalitarian procedures. The rupture of the mechanisms maintenance balance between the members is analysed. The article finally questions the different temporalities experienced by these six boys.
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1995
Nombre de lectures 103
Langue Français

Extrait















ANNE-CHRISTINE VOELCKEL
JOUER ENSEMBLE
APPROCHE BIOGRAPHIQUE D’UN LOISIR : LE JEU DE RÔLE
RÉSUMÉ : L’article tente d’examiner la question de la communauté des pratiques en portant
attention à l’usage d’un jeu – le jeu de rôle – par un groupe de six garçons, nés en 1972 et
qui y jouent depuis 1984. Il commence par la description des traits principaux du jeu de rôle :
simulation, invention biographique, structure narrative, univers imaginaires ordonnés. À ce
niveau, on peut voir comment les sens des histoires sont construits et dans quelle mesure ils
sont partagés ou communs. Le but de l’étude est de mettre au jour les processus par lesquels
le jeu donne forme au groupe de pairs. Elle montre que les ressources spécifiques trouvées
dans le jeu contribuent à élaborer des procédures égalitaires. Et cherche à analyser la
rupture des mécanismes qui permettaient de maintenir un équilibre entre les membres du
groupe. L’article se conclut par une interrogation sur le poids des différentes temporalités
vécues par ces six garçons.

1Le point de départ de cette investigation a été l’attention à une pratique parti-
culière, le jeu de rôle. Mais l’objet de l’étude n’a pas visé la spécificité du jeu de
rôle en tant que tel. Il a plutôt servi de support à une interrogation sur l’activité lu-
dique et sur la nature des liens noués entre joueurs.
Le jeu de rôle est d’origine américaine. Héritier du wargame avec figurines, sa
création remonte au commencement des années 1970 quand Gary Gygax adapte Le
Seigneur des anneaux de Tolkien en wargame. En 1974 est publié « Donjons et
2. Il est apparu en France au Dragons », le premier et le plus vendu des jeux de rôle
début des années 1980 et compte aujourd’hui 200 000 pratiquants. Les données sur
les joueurs manquent. Les rares informations dont on dispose sont issues des sources
« indigènes », principalement les revues spécialisées. Elles font apparaître deux
régularités massives : la très forte présence masculine alliée au jeune âge des prati-
3quants .

1. Elle a été la source de bien des hésitations et de doutes. Gérard Mauger en a été le témoin plus que
patient mais point passif. Je tiens particulièrement à le remercier de ses conseils et ses orientations,
autant de voies d’un apprentissage.
2. Voir la bibliographie consacrée au jeu de rôle en fin d’article.
3. Un sondage réalisé pendant l’été 1991, qui comportait 127 questions et a obtenu 2 400 réponses, est
paru dans Casus Belli, n° 66 (la principale revue spécialisée). Il donne les résultats suivants : 2% de
Sociétés Contemporaines (1995) n° 21 (p. 57–74)

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Le jeu de rôle est peu connu cependant. Il est tourné vers l’intérieur, pratiqué par
de petits groupes dans l’intimité du domicile privé. Il échappe à la connaissance
informelle que tout acteur social peut avoir des activités des « autres » (qu’est-ce
que les gens font ?), faite d’informations directes et personnelles, d’expériences
communes, de simples regards et de médiatisation. Cette faible visibilité tient sans
doute aussi à son mode de diffusion : loin du prosélytisme, il s’insinue par
« initiation » – mot consacré des joueurs pour désigner leur premier apprentissage
du jeu – et sans être secrète, c’est une pratique peu bavarde sur elle-même, dont les
joueurs ne font pas ostentation. Les sondes (enquêtes, questionnaires) des sociolo-
gues n’ont pas capturé non plus les traces de sa présence. Le jeu de rôle est absent
4des grandes enquêtes sur les loisirs et les pratiques culturelles dont les catégories
pré-constituées sont plus enclines à récolter le déjà connu.
Notre intérêt pour le jeu de rôle n’a pas pour but de porter à la connaissance une
pratique injustement méconnue ou de défendre son originalité. Au contraire, il est
avant tout apparu comme une pratique du quotidien – jouer – dont la banalité n’était
pas pour autant synonyme d’évidence. Les premières questions portent sur le
contenu de cette activité (qu’est ce que les joueurs fabriquent ?) rendue étrange par
la gratuité du jeu qui s’y livre. Tout effort de compréhension semble se heurter en
effet à l’impression que rien ne s’y passe qui puisse véritablement être saisi. « Ils
jouent parce qu’ils jouent » : telle serait la première et la meilleure des raisons. Des
parties qui ne renverraient qu’à elles-mêmes dans leur stricte contemporaneité sous
le signe de l’éphémère, du volatile et du plaisir fugace où l’identité même des
joueurs adhérerait à la situation particulière du hic et nunc du jeu, privée de toute
dimension passée ou future. D’autant plus qu’un deuxième obstacle se dresse :
l’évasion, catégorie courante pour désigner le divertissement mais surtout mot
brandi par les joueurs eux-mêmes qui organisent ainsi leur propre disparition. Pour
autant, on ne peut pas gommer d’un trait la gratuité propre au jeu en en faisant un
voile à la compréhension, surface trompeuse d’une profondeur où rien n’est gratuit,
où tout s’explique. Irréductible, la gratuité est la part infrangible du divertissement.
Mais elle connaît des conditions de possibilité qu’une compréhension objective peut
tenter de saisir. Qu’est-ce qui rend le jeu possible ?
Il nous faut suivre alors le lien fluide qui lie le contenu d’une pratique à une
forme sociale, une sociabilité. Car toute pratique est faite de relations nouées entre
des individus et des groupes. Pour cela, on dispose de deux voies classiques
d’analyse : l’une diachronique attentive à saisir la diffusion de la pratique, l’autre
synchronique, habile à comparer en une sorte de cartographie sociale la position des
pratiquants et les manières de jouer. Là sont repérés des espaces homogènes, des
lieux de prédilection à l’intérieur desquels la diffusion s’opère plus aisément. Des
effets de barrière d’origine culturelle, sociale, économique qui créent d’éventuelles
régularités dans les caractéristiques sociales des pratiquants ou des clivages dans les
styles de jeu et des différences observables dans les formes de sociabilité. Cependant
l’analyse de la diffusion, occupée à la propagation de nouveau, laisse derrière elle
les individus et les groupes ayant déjà adopté la pratique. Que deviennent-ils ?

filles seulement y jouent, 76% des joueurs sondés ont entre 15 et 24 ans, 42% sont lycéens, 37%
étudiants, la tranche d’âge la plus représentée est celle des 15-17 ans.
4. Voir Cogneau, Donnat (1990).
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JOUER ENSEMBLE
Ceux-là mêmes sont pris en compte dans l’analyse synchronique, puisqu’elle
procède par totalisation des moments observés séparément dans la marche de la
diffusion. Mais elle tend à écraser les processus temporels qui font varier pour un
même individu ou un même groupe et d’une période à l’autre le sens de la pratique.
Pour rendre perceptible ces déplacements de sens, nous avons choisi une autre
voie qui consiste à étudier comment un groupe de jeu se forme, comment la pratique
s’y fixe et s’y stabilise. Bien sûr, cette troisième voie n’est pas alternative aux deux
précédentes même s’il y a un passage du global (ensemble des joueurs) et de
l’extensif au local (groupe de jeu) et à l’intensif. La formation d’un groupe de jeu ne
saurait se comprendre sans être replacée dans les réseaux de diffusion qui ont permis
l’adhésion au jeu. Et pour saisir la production des particularités, une analyse
comparative des différentes manières de jouer est bien nécessaire. Précisons toute-
fois que l’attention s’est focalisée sur l’évolution interne d’un groupe de jeu et que
l’étude de la diffusion et des positions des pratiquants reste à faire. Mais surtout, la
pratique du jeu n’a pas pour seul contexte qu’elle-même. Il faut éviter de l’isoler et
de l’autonomiser outre mesure. En effet, les joueurs, avant d’être joueurs parmi les
joueurs, sont des individus qui jouent, entre autres choses. Si une pratique s’incarne
dans des formes particulières de sociabilit

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