L ajusteur justifié ? Politique d ajustement, emploi et dérégulation en Amérique latine - article ; n°117 ; vol.30, pg 9-38
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L'ajusteur justifié ? Politique d'ajustement, emploi et dérégulation en Amérique latine - article ; n°117 ; vol.30, pg 9-38

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Tiers-Monde - Année 1989 - Volume 30 - Numéro 117 - Pages 9-38
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1989
Nombre de lectures 17
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Bruno Lautier
L'ajusteur justifié ? Politique d'ajustement, emploi et
dérégulation en Amérique latine
In: Tiers-Monde. 1989, tome 30 n°117. pp. 9-38.
Citer ce document / Cite this document :
Lautier Bruno. L'ajusteur justifié ? Politique d'ajustement, emploi et dérégulation en Amérique latine. In: Tiers-Monde. 1989,
tome 30 n°117. pp. 9-38.
doi : 10.3406/tiers.1989.3817
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1989_num_30_117_3817L'AJUSTEUR JUSTIFIÉ ?
(Politique d'ajustement, emploi et dérégulation
en Amérique latine)
par Bruno Lautier*
A. — Une contrainte apparemment incontournable :
l'ajustement dans la pauvreté
Depuis 1986, la question des conséquences sociales des politiques
d'ajustement économique, après avoir provoqué révoltes urbaines et
(parfois) protestations gouvernementales, devient un objet de discours
des organisations internationales : Unicef et bit tout d'abord, puis Banque
mondiale et fmi ont reconnu tour à tour le caractère néfaste de ces consé
quences dans le court terme. La première, I'unicef a plaidé pour un « ajus
tement à visage humain »\ qui mettrait la lutte contre la pauvreté au
rang de ses objectifs. Dans ce plaidoyer, il y a deux arguments possibles,
qui ne sont pas incompatibles : soit demander à l'ajusteur d'apporter
d'autant plus d'attention à la situation des pauvres que la politique d'ajust
ement accroît les situations de pauvreté; il s'agit, pourrait-on dire, d'ajuster
l'ajustement2; soit essayer de prouver que la lutte pour le « visage humain »
de l'ajustement fait partie de la politique d'ajustement elle-même, en ren
forçant le potentiel de croissance d'une nation3.
Mais, tant au bit qu'à I'unicef, on est bien conscient qu'il n'y a
pas de solution miracle, et les questions de la pauvreté, de l'emploi
et de la protection sociale dans les pays du Tiers Monde ne trouveront
de solution qu'au prix d'un effort d'imagination : « L'inexistence même
* GREITD-CREPPRA.
1. Cf. Unicef (sous la direction de G. A. Cornia, R. Jolly et F. Stewart), L'ajustement à
visage humain, 1987.
2. Ibid., p. 8 : « L'approche de l'ajustement à visage humain ajoute, dès lors, une dimension
à l'ajustement — la lutte contre la pauvreté — pratiquement de la même façon que la redis
tribution et les besoins essentiels ajoutaient cette dimension à la croissance. »
3. Ibid., p. 349 : « L'ajustement à visage humain est une condition préalable de la croissance
économique. »
Revue Tiers Monde, t. XXX, n» 117, Janvier-Mars 1989 10 BRUNO LAUTIER
d'une solution évidente à ces problèmes incite à un travail constructif de
réflexion et d'imagination, qui doit pousser l'Organisation à tracer de
nouveaux sillons en quête de moyens pertinents pour atteindre, dans ce
domaine comme dans les autres, sa finalité fondamentale »*; mais, de toute
façon, une solution durable au problème social ne sera trouvée que par le
développement économique.6
On oscille ainsi entre la protestation et la résignation. La protestation,
quand on dénonce le fait que les politiques d'ajustement macro-économiques
ont des effets sociaux qui aggravent la situation des plus faibles (pauvres,
femmes, enfants), et que des décennies d'avancées sociales, marginales et
prudentes, mais réelles, sont anéanties en quelques années. Résignation,
quand il apparaît que les politiques d'ajustement ne sont pas responsables de
la situation sociale, qu'elles sont nécessaires pour rétablir une situation éc
onomique globale qui est, elle, la véritable cause de la situation sociale : « La
politique d'ajustement (ou le processus d'ajustement) est-elle la cause prin
cipale des difficultés sur le plan humain et des reculs sur le plan social que
connaissent notamment les groupes vulnérables? Non, ce n'est pas ce que
nous affirmons dans cette étude. »e
L'impasse est donc totale; il ne reste plus qu'à espérer que, puisque
ce dont on parle, et dont on fait l'objet de sa politique, n'offre pas de
solution, ce dont on ne parle pas (sinon en négatif) et dont on ne fait pas
l'objet de sa politique (sinon sur le mode incantatoire) en offrira une : « Je
considère que les possibilités qu'offre le secteur non structuré, en ce qui
concerne la réduction du chômage et de la pauvreté, justifient l'adoption
d'une politique menée en vue de concrétiser son potentiel. »7 Et la boucle
se clôt quand il est dit que l'économie informelle est une réponse populaire
spontanée à l'incapacité de l'Etat de remplir son rôle : « Dans des pays
comme le Pérou, le problème n'est pas l'économie informelle, mais l'Etat.
Celle-là est au contraire une réponse populaire spontanée et créative face à
l'incapacité de l'Etat à satisfaire les aspirations les plus élémentaires des
pauvres. »8 La politique d'ajustement rend la politique sociale incapable
4. El mundo del trabajo en evolution : problemas principales, Memoria del Director General,
oit, Genève, 1986, p. 66.
5. Ibid., p. 66-67 : « Le financement de l'expansion ultérieure de la Sécurité sociale dans
les pays en développement pose un problème impressionnant, qui ne pourra se résoudre que
grâce à la croissance économique. Les systèmes existants, basés sur le concept de Sécurité
sociale pour les salariés sont difficiles à adapter à des groupes jusqu'alors non protégés, comme
par exemple les artisans et les commerçants, qui travaillent pour leur propre compte, et les
travailleurs ruraux. »
6. UNICEF, op. Cit., p. 6.
7. El mundo del trabajo..., op. cit., p. 24.
8. Mario Vargas Llosa, « Prologue » à Hernando de Soto, El Otro Sendero ; la revolution
informal, Ed. Oveja Negra, 1987, p. xvin (lre éd. au Pérou, novembre 1986). l'ajusteur justifié? 11
d'apporter des solutions globales, en mettant à nu l'impossibilité de l'éc
onomie formelle (c'est-à-dire normalisée par l'Etat) à financer le social.
Le secteur informel, lieu où apparaît le problème social, doit être conçu
comme étant le lieu où gisent les solutions au problème social. Il ne reste
alors qu'à monter deux choses :
— L'informel a des capacités insoupçonnées de génération d'emplois
et de richesses, à condition que sa productivité ne soit pas bridée par les
réglementations (c'est là tout le contenu du livre de Soto, mais c'est
aussi une thèse avancée, prudemment il est vrai, par I'unicef). Même si cette
productivité apparaît faible au regard de celle de la grande industrie, elle
est potentiellement forte par rapport à la moyenne de la productivité sociale
actuelle (l'informel étant supérieur à tout autre mode d'organisation dans
les services, voire la construction, et n'étant pas marqué par la contre-
productivité qui caractérise le fonctionnement du complexe : Etat-secteur
formel privé). Et les bas coûts de production de l'informel lui permettent de
surmonter victorieusement l'obstacle des différences de productivité.
— L'informel redistribue spontanément la richesse qu'il crée d'une
façon plus juste et efficace que tout système étatique, par essence bureaucrat
isé, sinon corrompu. Les politiques redistributives ont d'un côté créé
l'informel (en forçant les micro-entreprises à échapper aux prélèvements
sociaux); elles ont ensuite accru les distances entre formel et informel (en
protégeant mieux les actifs du premier). Conclusion : dérégulons, puisqu'il
n'y a d'effets que pervers à l'intervention sociale de l'Etat. La vraie politique
sociale, c'est l'absence de politique sociale (Friedman « revisité »).
Ce qui rend ce discours fort est, comme l'on dit, son caractère
« incontournable ». Hernando de Soto est peut-être un libéral cynique,
Mario Vargas Llosa ne l'est sans doute pas, et il porte de Soto au pinacle
dans sa préface. L'ouvrage de I'unicef est tout sauf l'apologie du libéralisme
sauvage, et il ne remet pourtant pas en cause la nécessité des politiques
d'ajustement. Les controverses ne portent pas sur le constat, la descrip

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