L art de ?echov - article ; n°1 ; vol.39, pg 107-123
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Description

Revue des études slaves - Année 1961 - Volume 39 - Numéro 1 - Pages 107-123
17 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1961
Nombre de lectures 9
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Sophie Laffitte
L'art de Čechov
In: Revue des études slaves, Tome 39, fascicule 1-4, 1961. pp. 107-123.
Citer ce document / Cite this document :
Laffitte Sophie. L'art de Čechov. In: Revue des études slaves, Tome 39, fascicule 1-4, 1961. pp. 107-123.
doi : 10.3406/slave.1961.1774
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1961_num_39_1_1774L'ART DE CECHOV
PAR
SOPHIE LAFFITTE
« Tout ce que j'ai écrit sera oublié
dans quelques années. Mais les voies
que j'ai tracées resteront intactes et
sûres, et c'est là mon seul mérite. »
Čechov.
« Des poètes illustres s'étaient partagé depuis longtemps les provinces les
plus fleuries du domaine poétique... Je ferai donc autre chose » ^, promettait,
en 1861, Baudelaire. Et 25 ans plus tard, le jeune Čechov proclamait : « II faut
des formes nouvelles, et, s'il n'y en a pas, alors il ne faut rien ».
Le parallélisme entre Baudelaire et Čechov frappe à plus d'un égard. Baud
elaire, venant après le romantisme, considérait que « se concentrer est la
plus haute vertu de l'esprit » et avait le désir d'une substance plus solide et
ď« une forme plus savante et plus pure » ^. Sa réaction contre les excès
romantiques peut être définie comme « la substitution d'une action réfléchie
à une action spontanée » ^. Čechov, venant à la littérature à une époque où
dominait en Russie le style de Turgenev, pose, dès 1886, les premiers jalons
d'une révolution stylistique. A ses yeux il n'existe pas de beauté immuable.
Une chose, belle à un moment donné, cesse de l'être si elle ne se transforme,
ne se développe, ne se modèle pas sur la vie qui, elle, change sans cesse. La
langue détaillée, minutieuse, ornée, un peu molle de Turgenev a, d'après lui,
fait son temps. Il faut renouveler les formes littéraires. Car, si les descriptions
(1) Baudelaire, Projet de préface aux Fleurs du mal (cf. Œuvres posthumes, Paris, 1908,
p. 11).
W Paul Valéry, « Situation de Baudelaire », dans Variété, II, 1930, p. 134-135.
W op. cit., p. 134-135.
4 a. 108 SOPHIE LAFFITTE
de la nature sont belles chez l'auteur des Mémoires d'un chasseur, Čechov
affirme « qu'on a déjà perdu l'habitude de ce genre de descriptions et qu'il
faut trouver autre chose » (1). Très sensible à ce qu'il y a de mort, de figé, dans
ces narrations trop lentes et trop « léchées », Čechov opérera dans le style
littéraire russe une véritable révolution. Il ne sera plus possible après lui
d'écrire comme on l'avait fait avant lui.
Mais Čechov ne devait vivre qu'une vie très brève (2). Il savait qu'il lui
fallait se hâter, prendre le plus court chemin, viser à l'économie des tâtonne
ments, épargner les redites et les entreprises divergentes; qu'il lui fallait
rechercher par l'analyse, par un effort continu de l'intelligence et de la volonté,
ce qu'il était, ce qu'il pouvait et ce qu'il voulait être. Il sentait que la véritable
richesse, la véritable fécondité ne résident ni dans le nombre ni dans la lon
gueur des pages écrites, «mais bien plutôt dans l'étendue de leurs effets» ^.
Il savait qu'on ne peut juger de la véritable portée, de la véritable résonance
d'une œuvre que dans la suite des temps : « On ne me lira que pendant
sept ans encore », disait-il en 1902 à Ivan Bunin. Or il est incontestable que
sa gloire ne fait que croître et que, depuis longtemps, ce révolutionnaire est
devenu un classique. Mais qu'est-ce qu'un classique? Voici la définition qu'en
donne Valéry :
« Classique est l'écrivain qui porte un critique en soi-même et qui l'associe int
imement à ses travaux... L'essence du classicisme est de venir après. L'ordre suppose
un certain désordre qu'il vient réduire. La composition, qui est artifice, succède à
quelque chaos primitif d'intuitions et de développements naturels. La pureté est
le résultat d'opérations infinies sur le langage et le soin de la forme n'est autre chose
que la réorganisation méditée des moyens d'expression. Le classique implique donc
des actes volontaires et réfléchis qui modifient une production « naturelle » l* ' . »
Certes, si « il y avait un Boileau en Racine », il y en a également eu un en
Čechov !
C'est par une circonstance exceptionnelle qu'une intelligence critique se
trouve parfois associée à la vertu de poésie. Tel est cependant le cas pour
Čechov, comme, un quart de siècle plus tôt, pour Baudelaire. « II n'y a pas de
hasard dans l'art, non plus qu'en mécanique. Une chose heureusement trouvée
est la simple conséquence d'un bon raisonnement, dont on a quelquefois sauté
les déductions intermédiaires » (Baudelaire). Ces arrêts, ces vides entre les
pensées sont une des ressources, une des innovations de l'art moderne. Et
ces suspensions soudaines au milieu d'un dialogue ou d'une description,
aussi importantes que les pauses au cours d'un morceau de musique, sont
typiques de l'art de Čechov. Mais en quoi l'art de cet écrivain est-il révolu
tionnaire? En quoi Čechov fut-il un novateur?
(D Čechov, lettre à A. Suvorin, 24 février 1893.
W 1860-1904.
W Paul Valéry, op. cit., p. 150.
<*> op. cit., p. 140. DE ČECHOV 109 L'ART
Tołstoj avait dit de lui : « On ne peut comparer Čechov, en tant qu'artiste,
à -aucun des écrivains russes antérieurs, Turgenev, Dostoevskij ou moi-même.
Comme les impressionnistes, Čechov possède sa propre forme. On le voit
jeter comme par inadvertance des couleurs qu'il a sous la main, et l'on pense
que toutes ces touches de peinture n'ont aucun rapport entre elles. Mais dès
qu'on s'écarte et qu'on regarde de loin, l'impression est extraordinaire. On a
devant soi un tableau éclatant, irrésistible » ^K
Tołstoj touche là un point capital de l'esthétique de l'écrivain : ses rapports
avec ses lecteurs. Des écrivains tels que Turgenev, Gončarov et même, jus
qu'à un certain point, Tołstoj, s'adressaient à un lecteur passif. Čechov, lui,
entend au contraire ne rien expliquer, mais seulement suggérer. Autrement dit,
il exige une constante collaboration de son lecteur et le but qu'il a souvent
avoué est « d'amener le lecteur à penser » ^ :
« Quand j'écris, je mise à fond sur le lecteur, et compte qu'il saura ajouter lui-
même les éléments subjectifs qui manquent à mon récit... (3>. Et pourquoi faut-il
expliquer? Il suffit de frapper, et c'est tout; alors le lecteur est intéressé et se met une
fois de plus à réfléchir (4). »
C'est là une des clefs de son système poétique : ne pas expliquer, comme le
faisaient trop complaisamment la littérature et le théâtre « anciens », mais se
contenter de donner des chocs à la sensibilité et à l'imagination du lecteur
ou du spectateur. Čechov ne fait que poser des jalons, entre lesquels, sciem
ment, il laisse des vides. Dans ses pièces surtout, les silences, les pauses
seront de plus en plus nombreux, et leur rôle est capital. L'artiste en lui
connaît trop bien la valeur esthétique de ces silences :
« Une phrase, aussi belle et profonde soit-elle, n'agit que sur les indifférents...
je ne sais pourquoi, le bonheur et le malheur extrêmes ne s'expriment le plus souvent
que par le silence; les amoureux se comprennent mieux quand ils se taisent (6). »
Čechov veut être compris même « en se taisant », c'est-à-dire en sautant
délibérément les « déductions intermédiaires », en orchestrant allusions et
silences, en posant quelques ponts entre lesquels subsisteront des vides. Par
ce chemin, difficile sous sa trompeuse facilité, il mène le lecteur vers un
dénouement qui, presque toujours, ouvre une échappée sur quelque chose
de plus profond, de plus grand que ce qui a été explicité.
^1' L. Tołstoj, Sborník, M., 1904, « Ohrozovanie », p. 56.
(2) « Zastaviť čitatelja zadumať sja ».
<3> Čechov, lettre à A. Suvorin, 1er avril 1890.
<4' à A. 17 décembre 1891.
<8> Čechov, « Les ennemis » {Vragi), 1887. 110 SOPHIE LAFFITTE
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