L Église russe à l aube du « siècle des Lumières » - article ; n°3 ; vol.20, pg 442-464
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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1965 - Volume 20 - Numéro 3 - Pages 442-464
23 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1965
Nombre de lectures 12
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Simone Blanc
L'Église russe à l'aube du « siècle des Lumières »
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 20e année, N. 3, 1965. pp. 442-464.
Citer ce document / Cite this document :
Blanc Simone. L'Église russe à l'aube du « siècle des Lumières ». In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 20e année,
N. 3, 1965. pp. 442-464.
doi : 10.3406/ahess.1965.421287
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1965_num_20_3_421287ETUDES
L'Ëglise russe
à Га и be du « Siècle des Lumières »
A l'avènement de Pierre, l'Église russe vient de vivre l'une des périodes
les plus troublées mais aussi les plus fécondes de son histoire. Le « raskol »,
schisme provoqué par la révision des Livres Saints, a mis en lumière la
nature violente et formaliste du sentiment religieux populaire, incarné
par Awakum. En même temps, l'ambition du patriarche Nicon, hanté
pár des rêves de théocratie et, à l'opposé, la ferme détermination du
tsar Alexis, désireux de sauvegarder l'indépendance du pouvoir temporel,
ont posé le problème des rapports entre l'Église et l'État.
Enfin, l'apogée de la vie intellectuelle, dans une province au moins
de l'Église orthodoxe, se situe probablement entre l'avènement d'Alexis
et celui de Pierre : c'est alors la grande époque de l'Académie ecclésiastique
de Kiev, foyer de culture occidentale, d'où un humanisme encore mal
dégagé de la gangue scolastique, mais pourtant relativement novateur
et hardi, rayonnera bientôt jusque dans la capitale, tirée ainsi malgré
elle du « farouche isolement » qui lui apparaissait comme le gage le plus
sûr de son orthodoxie.
Awakum, Nicon, le clergé de Kiev, chacun d'une façon différente,
avaient pensé et agi en fonction d'un besoin de réaction ou d'adaptation
à une situation insolite et inquiétante : sur le plan politique, la Moscovie
patriarcale se changeait en une monarchie absolutiste, qui durcissait sa
position face à l'Église ; sur le plan culturel, la Russie s'ouvrait au savoir
occidental, au rationalisme délétère. L'Église avait dans cette double
aventure une place à tenir, un rôle à jouer. Les lettrés de Kiev d'un côté,
Nicon de l'autre, entendaient que ce ne fût pas un rôle négatif, débou
chant sur le martyre ou le suicide. Là était leur supériorité sur Awakum,
accroché au passé, vaincu volontaire.
: Quelle que soit la riposte choisie, ces hommes en tout cas l'avaient
conçue en fonction de la nature de leur religion et des besoins internes
de leur Église, interprétés d'ailleurs de façon divergente. Avec l'avèn
ement de Pierre, un élément nouveau allait intervenir : la volonté réfo
rmatrice du Tsar, « despote éclairé » : elle ne permettra plus à l'Église de se
442 L'ÉGLISE RUSSE
régénérer à sa façon ; elle prétendra lui imposer la sienne, conçue dans
le cadre d'une politique nationale, où la religion n'était qu'un rouage
parmi beaucoup d'autres.
Comment allait réagir l'Église devant cette menace ?
Plus portée par tradition vers les élans de la mystique que vers les
habiletés de la politique, avait-elle les armes nécessaires pour infléchir
la volonté du Tsar ? Allait-elle donc glisser dans la révolte ouverte ?
Un espoir pourtant subsistait : Kiev, capitale du clergé « éclairé » pourrait
peut-être aider l'Église à s'adapter aux temps nouveaux. Mais Kiev
allait-il engendrer un nouveau Nicon, qui, fortifiant l'Église, tenterait de
traiter d'égal à égal avec le pouvoir ? ou, si l'on peut dire, un « anti-Nicon »
assez proche du Tsar par sa formation et ses conceptions pour se plier
aux exigences de Pierre ?
Quelles étaient donc, concernant l'Église, ces exigences du Tsar ?
La position personnelle de Pierre vis-à-vis de la religion n'est point
ici en cause. Le Tsar était à ses heures capable d'une piété superficielle
et, dans la meilleure des traditions orthodoxes, assez spectaculaire : son
attitude aux offices pouvait être édifiante ; sauvé d'une tempête, il lui
arriva de remercier la Providence par un ex-voto x. Enfin les fameuses
mascarades auxquelles il se divertissait avaient un caractère bien plus
anticlérical qu'antireligieux — si tant est qu'il faille voir en elles beaucoup
plus que le déchaînement d'un tempérament excessif jusque dans ses
bouffonneries — . Du simple point de vue de là psychologie, elles n'étaient
pas incompatibles avec un sentiment religieux fruste, primaire, parfois
incohérent, mais sincère.
Cette question réglée, Pierre était bien décidé à traiter la religion en
instrument de gouvernement. Il semble bien qu'il eût souscrit à une
conception a voltairienne » de la religion et que, dans son Empire aussi,
« si Dieu n'avait point existé, il eût fallu l'inventer ». Une anecdote nous
le montre, réprimant et fustigeant tel de ses sujets, haut fonctionnaire
instruit, un peu trop ouvertement « libertin » et insolent envers les choses
sacrées : « Ce n'est point à cette fin », aurait conclu Pierre, « que je t'ai
fait instruire, pour que tu sois l'ennemi de la société (obščestvo) et de
l'Église. Comment oses-tu travailler à détendre cette corde, qui contribue
à l'harmonie de l'ensemble ? » 2
Contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs, Pierre fut parfait
ement étranger aux subtilités des querelles théologiques. Son attitude
envers le « raskol » est à ce sujet révélatrice : « Qu'ils pensent et croient
1. Cf. Kljucevskij, Pierre le Grand et son œuvre, Paris, 1953, pp. 52-55 et S. G.
RuNKEVië, Arhieri petrovskoj epohi v ih perepiske s Petr от Velikim, S.P.B. , 1906,
p. 7. (Les archevêques de l'époque de Pierre et leur correspondance avec le Tsar.)
2. D'après Golikov, Dejanija Petra Velikogo (Actes de Pierre le Grand). Éd. 1843,
t. XV, p. 211.
443 ANNALES
ce qu'ils veulent », aimait-il à dire des Vieux Croyants. Par contre, il
convenait que l'État tirât parti de la « stupidité » de ces sujets indociles
et bornés : qu'ils payent donc un impôt double et achètent, au profit du
trésor, le droit d'être hérétiques. Qu'ils aillent travailler dans les usines
de l'Oural : là on pourra les isoler, éviter qu'ils ne contaminent la popul
ation et du même coup tirer parti de cette humeur laborieuse qui fait
d'eux d'excellents ouvriers. Pierre ne se montre sévère que lorsque le
«raskol » lui apparaît, en puissance, comme un foyer d'opposition poli
tique, — à l'époque du procès du Tsarevič par exemple — . Rien ne saurait
être plus étranger au Tsar que la fureur de conversion de son contempor
ain Louis XIV, pour qui toute hérésie compromettait à la fois la sauve
garde temporelle de la monarchie et le salut éternel de son prince.
« Despote éclairé », Pierre admet tout au plus de combattre le schisme
pfar la persuasion et la prédication et, en attendant, l'utilise au mieux
des intérêts du pays. Cette tolérance intelligente était autant le fruit de
son tempérament que des traditions imposées aux Tsars russes par le
caractère multinational de l'Empire x.
C'est la tradition nationale aussi, — celle qu'avaient défendue Ivan le
Terrible et le tsar Alexis — , qui inspira la position de Pierre vis-à-vis de
la puissance et de la richesse du clergé. Ivan avait refusé toute ingérence
de l'Église dans la vie de l'État et rêvé de confisquer les terres des
moines ; Alexis avait sauvegardé l'autocratie en face des prétentions
théocratiques de Nicon. Pierre fit un pas de plus et se rendit compte,
à la lumière du proche passé, que l'Église ne cesserait d'être dangereuse
qu'une fois décapitée et asservie. Les publicistes du régime se feront,
dans leur présentation de l'histoire religieuse de la Russie, l'écho de cette
certitude : pour Tatiščev, la soumission de l'Église à l'État est l'abou
tissement logique

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