L émotion poétique - article ; n°35 ; vol.9, pg 326-343
19 pages
Français

L'émotion poétique - article ; n°35 ; vol.9, pg 326-343

-

Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres
19 pages
Français
Le téléchargement nécessite un accès à la bibliothèque YouScribe
Tout savoir sur nos offres

Description

Revue néo-scolastique - Année 1902 - Volume 9 - Numéro 35 - Pages 326-343
18 pages

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1902
Nombre de lectures 21
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Al. Walgrave
L'émotion poétique
In: Revue néo-scolastique. 9° année, N°35, 1902. pp. 326-343.
Citer ce document / Cite this document :
Walgrave Al. L'émotion poétique. In: Revue néo-scolastique. 9° année, N°35, 1902. pp. 326-343.
doi : 10.3406/phlou.1902.1756
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-5541_1902_num_9_35_1756XI.
L'émotion poétique.
Ce qui constitue la beauté d'une œuvre de poésie n'est
pas une chose simple. Comme dans les productions des
autres arts, le résultat est une somme ou un produit,
et provient de plusieurs facteurs.
Qu'on prenne une pièce de vers. Son sujet ; les idées .
qu'il fait naître ; les sentiments de sympathie ou à' antipat
hie qu'il inspire ; les réflexions secondaires auxquelles il
donne lieu ; leur connexion avec Y idée principale ; puis les
expressions de la pensée, beautés de style et charmes du
rythme et du vers, voilà autant de sources différentes dont
jaillit l'impression totale et unique, la valeur esthétique de
ce produit de l'art poétique.
Parmi tous ces éléments il en est un que la présente étude
a pour but d'isoler et, si possible, d'expliquer ; c'est ce que
nous appellerons Y émotion poétique.
Bien que communiquée par l'art de lar poésie, elle existe
en dehors de lui, car celui qui la fait jaillir d'une œuvre de
son esprit doit l'avoir ressentie lui-même.
Au surplus, si elle était dépendante de l'ensemble des
conditions d'une œuvre littéraire, il n'en resterait plus rien
dans la traduction qu'on ferait de cette œuvre, dans une
langue autre que celle de l'original. Or cela est contraire à
l'expérience. C'est précisément l'émotion proprement poé
tique qui, dans bien des cas, subsiste après traduction.
Voyez les Psaumes. Nous les possédons dans une transla
tion latine bien imparfaite, où plus rien ne se retrouve de
la forme des mots, du rythme matériel, de la sonorité de la L* ÉMOTION POÉTIQUE 327
langue originale. Tout au plus un rythme de pensées- est-
resté, et il contribue sans doute à la beauté de ces chants
étonnants. Mais leur poésie n'est pas là ; elle est plus
au fond, et résiste à tout changement extérieur et superfic
iel. Cette émotion fine, remplissant tout notre être, pro
vient donc, fondamentalement du moins, d'autre chose que
de l'expression matérielle.
Je veux qu'on m'entende bien. Mon idée n'est pas
de déprécier le rôle des éléments purement extérieurs de la
poésie ; il faut au contraire tenir énergiquement à faire
valoir leur influence ; mais enfin toute la poésie n'est pas
là ; ôtez le rythme, ôtez la rime et l'allitération, tous ces
va-et-vient qui traduisent si bien le mouvement de l'âme,
l'œuvre est amoindrie, mais la poésie peut rester encore.
C'est qu'en réalité, cette émotion est antérieure à son
expression ; on pourrait encore supprimer toute écriture et
toute littérature, que pour cela les hommes ne cesseraient
pas de la ressentir.
Qu' est-elle donc, cette émotion poétique ? Ne la définis
sons pas encore, mais voyons-la dans le fait.
Et d'abord, voyons-la hors d'une œuvre d'art poétique.
Je suis à ma fenêtre, et je vois le soleil. Dès que cet
astre devient un objet de mon attention, j'ai de lui la
perception sensible, puis le concept intellectuel, et je pro
nonce, en moi, la parole intérieure : soleil ; voilà le soleil,
ou des jugements élémentaires comme ceux-ci : le soleil est
brillant, le soleil échauffe.
Constatations, rien de plus.
Mais voici les premiers jours du printemps ; je me pro
mène aux champs, dans les premières tiédeurs de la vie
nouvelle que fait éclore ce même soleil. Le fait est que je
suis loin de cette indifférence, de ces constatations froides
de tantôt, et je me surprends à penser et même' à m' écrier,
dans mon flamand spontané : « Ah ! wat doet het zonneken
deugd ! « — « 0 ! que ce petit soleil me fait du bien ! »
D'où cette différence d'expression ? Car enfin, l'objet est ' A. WALGRAVE 328
le môme, le soleil n'est - pas plus petit maintenant que
tantôt. Qu'est-ce qui a changé l
C'est moi.
Je suis, en pensant ou en prononçant cette phrase, sous
l'empire d'une émotion. Autour de moi, tout est jeune et
nouveau ; il y a là, dans les moindres objets, des indices à
peine perceptibles de vie qui s'éveille ; la douce chaleur du
soleil, après les froids et les pluies de l'hiver, est une chose
neuve ; moi-même je me sens rajeuni.
Quand je prends conscience de tout cela, une idée, ou
plutôt une impression se dégage ": le nouveau, la jeunesse,
l'enfance des choses.
Immédiatement, en moi-même, je cherche à l'exprimer.-
La cause de toute cette jeunesse, de tous ces charmes de la
vie tendre, c'est le soleil ; et le voilà que je regarde, sous
l'influence des sentiments qui m'animent, comme une chose
petite, jeune ; donc je l'appellerai comme tout ce qui
m'affecte pour sa nouveauté pleine de promesses, pour son
exiguïté attendrissante. Or pour un homme de langue ger
manique, l'expression de la tendresse est un diminutif, et
voilà ce grand soleil devenu petit.
Cette expression diminutive est poétique. Or, remarquons-
le, elle est un produit de mon imagination. Si je l'emploie,
c'est qu'elle est liée à des images d'objets ayant autrefois
excité en moi le sentiment de tendresse et d'admiration
condescendante qui me remplit en ce moment.
Sous l'empire d'un sentiment j'ai cherché à exprimer
une idée par des images appropriées.
Trois stades sont à remarquer dans ce processus :
1° Un stade demotion ou de mouvement, de changement
dans la tonalité générale de mon état de conscience.
2° Un stade de tendance à V expression, avec le concours
actif de l'imagination.
3° \J expression elle-même.
Celle-ci est la poésie accomplie,' les> deux. autres consti
tuent X émotion poétique. L* POÉTIQUE 329 ÉMOTION
Examinons un fait pris dans l'expression artistique-
de la poésie, et voyons ce qu'y devient l'émotion, en tant
qu'elle est communiquée au lecteur.
Je choisis comme objet d'expérience, le début de la gra
cieuse épopée idyllique de Longfellow : Evangéline.
This is the forest primeval. The murmuring pines and the hemlocks,
Bearded with moss, and in garments green, indistinct in the twilight-
Stand like Druids of eld, with voices sad and prophetic, harpers hoar, beards that rest on their bosoms.
Loud from its rocky caverns, the deep-voiced, neighbouring ocean
Speaks, and in accents disconsolate answers the wail of the forest.
Traduisons littéralement :
Ceci est la forêt primitive. Les pins murmurants et les ciguës
Barbus de mousse, et en vêtements verts, indécis dans le crépuscule [tiques,
Se dressent comme des Druides d'autrefois, aux voix douloureuses et prophé-
Se des harpeurs chevelus, leur barbe reposant sur leurs poi-
Haut, de ses cavernes rocheuses, l'océan voisin, à la voix profonde [trines.
Parle, et en accents désolés répond à la plainte de la forêt.
Essayons d'analyser ce qui se passe en nous à mesure
que nous lisons ces vers :
Une petite proposition démonstrative nous introduit dans
la forêt primitive. Je tâche de l'évoquer devant mon imagi
nation ; je me transporte autant que possible au milieu
d'arbres séculaires, émergeant d'une broussaille de végéta
tion luxuriante, sauvage. La phrase suivante, très longue,
laisse d'abord défiler lentement, pendant plus d'un vers et
demi, ses deux sujets, avec leur description.. J'ai le temps
de les bien regarder, et de les fixer dans mon esprit. Cela
m'est d'ailleurs devenu facile par l'image générale du com
mencement. Mais l'allure même de la phrase ne me permet
pas de m'arrêter là. Ce que le poète veut me faire voir
surtout, ce vers quoi m'entraîne la marche de sa pensée,
c'est ce quil dit des arbres, ce à quoi il les compare, ce
qu'ils ont évoqué devant son imagination : Stand like Druids
of eld... Cette image des Druides de l'antiquité celtique
me c

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents