L esthète fin-de-siècle : l oeuvre interdite - article ; n°91 ; vol.26, pg 89-98
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Romantisme - Année 1996 - Volume 26 - Numéro 91 - Pages 89-98
Tout, dans les textes de la seconde moitié du XIXe siècle, concourt à présenter l'esthète moins comme un amateur d'art que comme un rival de l'artiste. L'esthète, en effet, non content de ne rien créer, travaille sans relâche à l'invention d'une œuvre qui s'abolisse dans le mouvement même de sa création. Ouvrier acharné du néant, il oppose à la logique de l'artiste une logique de non-création. Cette ambition trouve sa traduction formelle dans le renouvellement du roman qui multiplie les stratégies de réfutation interne et dresse un portrait paradoxal du romancier en esthète.
In the literature of the second half of the XIXth century, everything works towards showing the aesthete less like an art over than like a rival of the artist. The aesthete, indeed, non content with creating nothing, works without respite to invent a work which self destroys in the very process of its creation. Relentless worker of the nothingness, he sets a logic of non creation against the logic of the artist. This ambition if formally expressed in the renewal of the Novel, which multiplies the strategies of internal refutation, and draws a paradoxal portrait of the novelist as the aesthete.
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 48
Langue Français

Extrait

Mme Marie-Françoise Melmoux-
Montaubin
L'esthète fin-de-siècle : l'oeuvre interdite
In: Romantisme, 1996, n°91. pp. 89-98.
Résumé
Tout, dans les textes de la seconde moitié du XIXe siècle, concourt à présenter l'esthète moins comme un amateur d'art que
comme un rival de l'artiste. L'esthète, en effet, non content de ne rien créer, travaille sans relâche à l'invention d'une œuvre qui
s'abolisse dans le mouvement même de sa création. Ouvrier acharné du néant, il oppose à la logique de l'artiste une logique de
non-création. Cette ambition trouve sa traduction formelle dans le renouvellement du roman qui multiplie les stratégies de
réfutation interne et dresse un portrait paradoxal du romancier en esthète.
Abstract
In the literature of the second half of the XIXth century, everything works towards showing the aesthete less like an art over than
like a rival of the artist. The aesthete, indeed, non content with creating nothing, works without respite to invent a work which self
destroys in the very process of its creation. Relentless worker of the nothingness, he sets a logic of non creation against the logic
of the artist. This ambition if formally expressed in the renewal of the Novel, which multiplies the strategies of internal refutation,
and draws a paradoxal portrait of the novelist as the aesthete.
Citer ce document / Cite this document :
Melmoux-Montaubin Marie-Françoise. L'esthète fin-de-siècle : l'oeuvre interdite. In: Romantisme, 1996, n°91. pp. 89-98.
doi : 10.3406/roman.1996.3075
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1996_num_26_91_3075Marie-Françoise MELMOUX-MONTAUBIN
L'esthète fîn-de-siècle : l'œuvre interdite
« Any where out of the world » : exposé en bonne place par des Esseintes ', le mot
de Baudelaire désigne le refus du monde comme vocation première de l'esthète. Ce
rejet, revendiqué en termes provocants et étendu de la dénonciation de la société
contemporaine à celle du réel dans son ensemble, engage le personnage dans une
exaltation de l'artifice, dans laquelle on a tôt fait de lire une apologie de l'œuvre d'art
et de la création. L'ampleur des développements consacrés à la littérature, à la peintu
re ou à la musique conforte ce glissement de sens.
Si pourtant l'esthète est bien cet amateur entouré d'œuvres, il n'en demeure pas
moins stérile. Son abstention le situe apparemment du côté des artistes en rade, dont
les romans de la fin du siècle multiplient la représentation. Mais alors que les artistes
s'efforcent en vain de créer une œuvre définitive - tel Claude Lantier, dans L'Œuvre -
l'esthète en revanche se garde de toute création. Des Esseintes introduit-il chez lui un
animal familier, se transforme-t-il en jardinier d'un instant, se délasse-t-il en respirant
quelques parfums ? Autant de gestes banals, qui le désignent pourtant comme artiste
potentiel. A l'impuissance de l'artiste, s'oppose une forme de puissance, qui trouve
son expression dans une logique de non-création.
L'esthète, créateur d'un monde d'art
L'expression la plus commune du refus du réel réside dans le choix d'une retraite
loin du monde : l'exil plus ou moins forcé de Bougrelon l'entraîne vers une terre
d'art 2, le duc de Fréneuse, malgré son titre et ses richesses, se tient à l'écart de la
société 3, Hubert d'Entragues continue à fréquenter le monde, mais se réfugie dans la
littérature 4. La thébaïde de des Esseintes, modelée par lui, coupée du monde et close
1. J.-K. Huysmans, A rebours, Gallimard, « Folio », 1977, p. 95-96 : « Enfin, sur la cheminée [...], un
merveilleux canon d'église, aux trois compartiments séparés, ouvragés comme une dentelle, contint, sous le
verre de son cadre, copiées sur un authentique vélin, avec d'admirables lettres de missel et de splendides
enluminures, trois pièces de Baudelaire : [...] - au milieu, le poème en prose intitulé : Any where out of the
world : - N'importe où, hors du monde ».
2. Jean Lorrain, Monsieur de Bougrelon, 10/18 « Fins de siècles », 1974, p. 356-357 : « II y a près de
trente ans, messieurs, que j'habite les Hollandes. [...] et c'est la Haye qui nous hébergea d'abord. Oui, La
Haye eut cet honneur, La Haye et son musée ».
3. Jean Lorrain, Monsieur de Phocas, La Table Ronde, 1992, p. 25 : « Quelles fables n'avait-on pas
chuchotées sur ce jeune homme cinq fois millionnaire, qui, de grande race et des mieux apparentés, n'allait
pas dans le monde, vivait sans amis, n'affichait pas de maîtresse et quittait régulièrement Paris fin
novembre, pour aller passer ses hivers en Orient ».
4. Rémy de Gourmont, Sixtine, 10/18 « Fins de siècles », 1982, p. 119-120 : « Mais, chez Entragues,
l'homme ne prononçait jamais le définitif aphorisme. Après les tumultuaires divagations de l'amoureux, le
romancier venait, artiste ou fossoyeur, qui les recueillait, les attifait de la verbalité, comme d'un linceul aux
plis chatoyants et avec des soins, du respect, de la tendresse, les couchait dans le caveau sur la porte duquel
des lettres d'or disaient : LITTERATURE ».
ROMANTISME n°91 (1996-1) 90 Marie-Françoise Melmoux-Montaubin
sur elle-même, apparaît à ce titre comme un espace privilégié, microcosme expér
imental dans lequel s'élaborent les formes les plus pures de l'esthétisme. Des
Esseintes tire de cette situation sa puissance d'hapax et de modèle, seule incarnation
en toute rigueur d'un esthétisme que les personnages de Lorrain ou de Gourmont
confrontent à l'altérité 5.
La retraite est confortée par la contemplation de spectacles d'art, dont l'empire est
inversement proportionnel à la place accordée au réel. Assidus au musée 6, les
esthètes se font aussi collectionneurs. Rempart contre le réel et manière originale d'en
repousser les frontières, la collection a par elle-même une valeur que renforcent ses
choix esthétiques. L'essentiel des œuvres réunies se distingue non seulement par son
refus du réalisme, explicitement proclamé par des Esseintes 7, mais encore par le pri
vilège accordé aux œuvres fantastiques : gravures de Bresdin ou de Jan Luyken 8,
œuvres de Toorop, de Goya ou d'Ensor, ou encore du Greco ou d'Odilon Redon,
« d'un fantastique très spécial » 9. Les collections de Claudius Ethal, composées
d'objets encore partiellement inconnus de la tradition contemporaine des beaux-arts,
mettent explicitement l'accent sur la dimension mortifère de l'art. Cires, masques et
poupées, destinés à produire la ressemblance du réel, ne l'atteignent que dans la mort.
Un « réduit » 10 retient les cires dans l'obscurité, « un boudoir de mortes, en vérité,
que ce lugubre étal de ressemblances disparues » n ; les masques de « cire peinte » 12
ou de « gaze noire » B tiennent de la mort ; la « merveille de Leyde » 14, « manne
quin de cire » 15, a « cet aspect de morte embaumée qu'ont toutes les figures de
cire » 16 et « sent la mort et l'humidité des cryptes » 17.
5. L'altérité se trouve dans A rebours réduite au maximum. Une série de ruses vise à en exclure les
domestiques, en sorte qu'elle n'est guère représentée que par le médecin et la maladie. L'incarnation du
monde dans la maladie suffit à souligner l'hostilité potentielle de ce même monde à l'endroit de l'esthète.
Plutôt que choix raisonné, la retraite apparaît comme nécessité vitale, reconnaissance d'une inadaptation au
réel, constitutive de l'esthète.
6. Si des Esseintes ne fréquente pas directement les musées, il se plonge au moins par la pensée dans
ceux de Londres (A rebours, p. 238-239) ; Monsieur de Phocas se rend au Louvre (Monsieur de Phocas,
p. 68) et à la galerie de la rue La Rochefoucauld (ibid., p. 213-217) ; Monsieur de Bougrelon a été « de
dix-huit à vingt-cinq ans l'assidu extasié des musées de Dresde et d'Italie » (Monsieur de Bougrelon,
p. 369), passant « tous les matins deux heures aux Uffizi » (ibid., p. 365).
7. A rebours, p. 141 : « En même temps que s'appointait son désir de se soustraire à une haïssable
époque d'indignes mufiements, le besoin de ne plus voir de tableaux représentant l'

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