L Homme sans pied. Métaphores de la castration et imaginaire en Mésoamérique - article ; n°2 ; vol.24, pg 41-58
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Description

L'Homme - Année 1984 - Volume 24 - Numéro 2 - Pages 41-58
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1984
Nombre de lectures 43
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Jacques Galinier
L'Homme sans pied. Métaphores de la castration et imaginaire
en Mésoamérique
In: L'Homme, 1984, tome 24 n°2. pp. 41-58.
Citer ce document / Cite this document :
Galinier Jacques. L'Homme sans pied. Métaphores de la castration et imaginaire en Mésoamérique. In: L'Homme, 1984, tome
24 n°2. pp. 41-58.
doi : 10.3406/hom.1984.368489
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1984_num_24_2_368489L'HOMME SANS PIED
MÉTAPHORES DE LA CASTRATION ET IMAGINAIRE
EN MÉSOAMÉRIQUE
par
JACQUES GALINIER
L'image du corps dans la représentation amérindienne du monde qu'évoque
l'ethnographie mésoaméricaniste n'offre à l'analyse comparative, en dépit de
l'abondance des monographies, que des matériaux très lacunaires. Dans d'autres
continents, cette question fait depuis longtemps l'objet d'un traitement approf
ondi. A cet égard, l'Afrique subsaharienne est un terrain d'étude privilégié, et
de nombreux travaux ont mis en relief des jeux de relations complexes entre les
systèmes classificatoires et les catégories sexuelles du monde humain, végétal ou
cosmique1. Pour les sociétés du Mexique ancien ou actuel, les sources et les études
disponibles font surtout référence au dualisme cosmique, à l'existence de paires
contrastives du type mâle-femelle, concernant essentiellement le classement des
grandes divinités. Toutefois, des recherches récentes ont apporté un éclairage
nouveau sur l'image du corps et sa « réplique cosmique »2. Si l'on connaît mieux
désormais les analogies, explicitées par les chamanes, entre la structure organique
du corps et celle du cosmos, ces correspondances sont le plus souvent d'ordre pure
ment anatomique. Les quelques réflexions qui vont suivre porteront au contraire
sur l'imaginaire des rapports sexuels et leur symbolisme culturel, champ d'inves
tigation curieusement négligé jusqu'à présent. L'exemple otomi montre clairement
le rôle clé que joue l'imaginaire de la castration dans l'organisation des représen
tations de l'homme et du monde. Il envahit le champ culturel sous des formes
iconographiques ou idéologiques à travers lesquelles on devine la présence d'un
1. La littérature sur le sujet est trop abondante pour qu'on puisse citer ici tous les titres.
Signalons parmi d'autres les travaux de G. Calame-Griaule (1965), A. Lebeuf (1965) et
J. Fédry (1976).
2. On mentionnera l'étude de A. Villa Rojas (1980) sur les Maya du Yucatân. La
thèse de A. Lopez Austin (1979), consacrée à un examen minutieux du dossier aztèque,
constitue une somme sur la question et a permis de renouveler l'intérêt pour ce type de
problématique.
L'Homme, avr.-juin 1984, XXIV (2), pp. 41-58. 42 JACQUES GALINIER
réseau symbolique dont tout le système conceptuel otomi porte la trace. Écartons
une objection préalable : nous ne donnons pas dans une illusion psychologisante
et ne détournons pas le problème sur le terrain de la psychanalyse. Il s'agit essen
tiellement de cosmologie et d'un discours sur la dialectique des corps visant
explicitement à rendre compte du fonctionnement de l'univers.
Quatre marqueurs sémantiques
Si l'essentiel des remarques ci-après concernent les représentations culturelles
de la castration, il est nécessaire cependant d'examiner les procédés linguistiques
dont disposent les locuteurs otomi pour exprimer ces métaphores. Celle de
1' « homme sans pied » (tokwa), qui nous sert de modèle référentiel, est une unité
lexicale composée de deux morphèmes associés, to et kwa, dont le sens est respec
tivement « pierre » et « pied ». Lorsque to entre en composition avec un autre
morphème dénotant une partie du corps, il joue le rôle d'un afnxe ayant valeur
privative (« absence de » ou « perte de »). Il garde néanmoins sa valeur nominale
dans certains contextes, puisque tokwa désigne aussi un os du pied, l'astragale,
et est en ce cas un morphème autonome.
Le tableau suivant indique les différentes entrées de to dans le lexique relatif
à l'ablation de certaines parties du corps humain.
unité lexicale sens morphémique sens dérivé
cul-de- jatte tokwa perte-pied
toyâ perte-tête décapité
homosexuel* perte-colère tokwç
perte-main, bras manchot toyç
toSkhi perte-sexe démembré
tos'u perte-queue émasculé
togû perte-oreille oreille coupée
tonde perte-bouche édenté
perte-œil Mo aveugle
Le morphème to dénote par ailleurs une dimension réduite :
unité lexicale sens morphémique sens dérivé
tokhwa perte-lapin lapereau
toSyû perte-nez nez camus
topho perte-excréments nain, argent4
3. A l'inverse, « être en colère » signifie « avoir une érection ». Un homme soupçonné
d'homosexualité est considéré comme impuissant.
4. Les nains sont des créatures d'origine chthonienne dont l'existence est liée à la perte l'homme sans pied 43
Trois autres morphèmes jouent également le rôle de préfixes privatifs : go « dualité »
qui, en composition avec nde « bouche », donne gonde « muet » ; sç qui, associé à to
« œil », donne sçnto « borgne » ; mbç « aller ensemble », que l'on rencontre dans
l'unité lexicale mbeti « richesse » ou « manque », ou encore mbçpho et mbçnyo
« perte-sexe », ces deux dernières combinaisons ayant le même sens que mbeti*.
Les quatre morphèmes to, sç, mbç, go sont partiellement substituables : par
exemple, to peut être remplacé par mbç, d'où topho = mbçpho. D'autres permutat
ions permettent de conserver aux énoncés un caractère grammatical. Mais togû,
grammaticalement correct, ne figure pas dans le lexique au sens de « sourd »
en raison de la présence de gogû. Les champs sémantiques de ces quatre mor
phèmes ne sont donc pas identiques mais en intersection distributionnelle, et
leur somme définit le champ sémantique de la mutilation corporelle. Les méta
1' « homme sans tête », etc.) auront donc la partiphores (F « homme sans bras »,
cularité d'être structurellement liées, au niveau linguistique, de par la présence
de ces marqueurs sémantiques. Je tenterai de montrer comment à cette structure
sémantique correspond un agencement de schemes conceptuels qui lui est is
omorphe et dont le noyau est constitué par le concept de castration.
Une passion dévorante
Le terme « castration », dans l'acception retenue ici, réfère à l'ablation des
organes génitaux, opérée par un agent qui peut d'ailleurs en être le sujet. Selon
l'usage courant, il s'agit des testicules. Chez les Otomi, il n'est pas rare d'entendre
une mère menacer son fils d'être châtré s'il parle à un étranger ou s'éloigne de
l'habitation. Cette crainte de perdre ses testicules est aussi évoquée par les hommes
qui doivent effectuer de longs déplacements dans la Sierra. Ta pok'i ! (« II va te
castrer ! »), m'a-t-il été parfois crié, lorsque je désirais m'entretenir avec un indi
vidu soupçonné de pratiquer des rituels d'ensorcellement. Le risque — en fait
inexistant — est ici celui d'une castration réelle, telle qu'elle est pratiquée sur des
animaux domestiques, les porcs en particulier. Toutefois, cette représentation de
la castration — liée à une menace d'origine masculine — n'est pas celle qui, dans
l'imaginaire otomi, occupe le devant de la scène. Elle est occultée par une autre,
fondamentale, celle de la castration comme coupure du pénis, opérée sous des
formes diverses : ablation brutale (à l'aide d'un couteau, d'une pierre, des
dents, etc.), déchirement ou écorchement entraînant un pourrissement, une
du pénis ou d'un de ses équivalents symboliques, les excréments. Quant à l'argent, il rappelle,
par son origine, le monde souterrain.
5. Ainsi que nous le découvrirons plus loin, cette dialectique complexe du vide et du
plein, du manque de pénis comme source de richesse est au cœur de la problématique otomi
de la castration. JACQUES GALINIER 44
décomposition. Dans les myt

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