L utopie en Chine - article ; n°75 ; vol.19, pg 513-533
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L'utopie en Chine - article ; n°75 ; vol.19, pg 513-533

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Description

Tiers-Monde - Année 1978 - Volume 19 - Numéro 75 - Pages 513-533
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1978
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Pierre Gentelle
L'utopie en Chine
In: Tiers-Monde. 1978, tome 19 n°75. pp. 513-533.
Citer ce document / Cite this document :
Gentelle Pierre. L'utopie en Chine. In: Tiers-Monde. 1978, tome 19 n°75. pp. 513-533.
doi : 10.3406/tiers.1978.2815
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1978_num_19_75_2815- DÉPENDANCE IL
ET PROJETS DE SOCIÉTÉ
L'UTOPIE EN CHINE
par Pierre Gentelle*
L'Utopie, d'abord.
Il ne s'agit pas ici de la prendre pour ce qu'elle veut souvent être, un
« ailleurs ». Ce « pays de nulle part » qui a maintes fois servi de tremplin
à des pamphlétaires décidés à critiquer leur propre société, il n'en est pas
ici question : ce n'est pas d'un futur mythique en un lieu déguisé qu'il
s'agit, mais bien de la Chine d'aujourd'hui, d'un présent non fabuleux
dans un pays réel. L'utopie se rapporte au projet social en acte.
C'est donc l'un des sens non étymologiques du mot Utopie qu'il
convient d'appliquer aux créations de la révolution chinoise : celui qui
désigne une action volontaire, volontariste même, sur un peuple, à partir
de présupposés idéologiques ; disons, l'inverse, le symétrique opposé du
sens commun : « Utopie : pays imaginaire où un gouvernement idéal règne
sur un peuple heureux... » Car il faut à Utopie, construction abstraite qui
n'est jamais copie de la réalité, trois ingrédients fondamentaux pour
fonctionner : un pays, un gouvernement et un peuple ; pour la comprendre,
il faut extraire de son discours la liaison au réel, c'est-à-dire retomber dans
la société de tous les jours.
La Chine, ensuite.
C'est un pays, c'est-à-dire un espace, une portion de territoire ter
restre bien délimitée, douée de qualités propres, construite d'une manière
particulière par des générations successives d'hommes enserrés dans des
modes de production et des types de rapports sociaux; c'est un peuple,
* Professeur à I'iedes et chargé de recherche au cnrs.
Revus Tier» Monde, t. XIX, n" 75, Juillet-Septembre 78 PIERRE GENTELLE JI4
ensemble d'êtres humains vivant leur contemporanéité dans le cadre
socio-économique que leur offre le pays, liés de manière variable à des
passés collectifs, familiaux, bref à une culture; c'est enfin un gouverne
ment, groupe d'hommes qui a pris en charge l'incarnation du mouvement
historique dans le corps social vivant tout entier et sur le territoire qu'il
occupe.
Il s'agit ici de passer rapidement à travers les actions du gouverne
ment chinois sur le peuple, de manière à saisir les résultats les plus tan
gibles à* Utopie dans la Chine d'aujourd'hui.
1 . Radicalisme et histoire
La révolution chinoise se veut tellement globale, et se dit tellement
radicale, qu'il faut bien en parler à partir de cette globalité et de ce radi
calisme mêmes. De plus, se proclamant issue, par un mouvement inéluc
table, de l'histoire, la révolution chinoise tend à s'investir entièrement
dans le présent et dans l'avenir qu'elle projette ; ce qui l'a conduite à
gommer de sa propre histoire ce qui ne convient plus, qui ne conviendra
jamais plus à ce que le présent est devenu : toute évaluation du passé qui
n'est pas la sienne est refusée comme inexacte, et même plus, comme falsi
ficatrice. Pour elle, ce n'est pas la publication d'une photographie dont
sont effacés les dirigeants qui ont perdu le pouvoir qui est une falsif
ication; c'est la publication de la photographie complète, telle qu'elle
a été prise, qui est falsificatrice. Pourquoi ? Parce que la révolution chi
noise ne permet pas qu'un seul geste puisse être interprété autrement que
politiquement. Cette succession de présents, dont la seule signification
vraie est celle de l'instant où se produit Faction, n'est cependant pas dépour
vue de perspective : tous ces présents s'ajoutent les uns aux autres dans
le cadre de la ligne générale, projection politique du futur. Pour la révo
lution chinoise, la politique est la perspective dans laquelle chacun se
place pour réaliser des lignes (la métaphore sera correcte si l'on consent
à se rappeler que la perspective picturale est une déformation de la réalité
pour la faire entrer dans un cadre — on va parfois jusqu'à parler de
trompe-l'œil — , qu'elle est toujours fuite vers l'avant depuis le point où
se trouve l'observateur ou l'acteur, et qu'au bout du compte les lignes se
rejoignent au centre).
C'est pour cette raison principale que la révolution chinoise ne peut
être accusée de nier le passé, mais au contraire de le sur-utiliser; en effet,
il faut bien que quelque part tout soit conservé, pour qu'au présent
opportun puisse surgir ce qui était non caché, mais maintenu provisoi
rement dans l'ombre parce que dépourvu de signification immédiate- l'utopie en chine 51 j
ment convenable. Premier exemple : le document 57/, trace matérielle du
complot qu'aurait fomenté Lin Biao pour, entre autres, « assassiner Mao
Ze-dong », n'a été mentionné, puis livré au public, que postérieurement
au règlement du conflit entre adversaires et partisans du maréchal, quand
ces derniers n'avaient plus aucun moyen de discuter la signification du
document ou d'en contester l'authenticité. Deuxième exemple : Quand
Deng Xiao-bing, revenu au pouvoir après des péripéties sur lesquelles la
moindre des démocraties devrait un jour s'expliquer, fait tout naturell
ement référence à ses « trois hauts » et ses « trois bas »*, il nous apprend
quelque chose que nous aurions dû savoir depuis longtemps, et que tout
le peuple chinois aurait dû savoir depuis longtemps : il était inquiet des
manœuvres de Wang hong-wen, vice-président du pcc depuis 1973, au
point qu'il avait créé dès 1974- 1975 une alliance de fait entre lui-même,.
Zhou En-lai, le maréchal Ye Jian-ying et le vice-premier ministre LiXian-
nian, pour faire échec aux intrigues de Wang et de ses amis (donc une
autre « bande des quatre » !). Mais il ne rend ceci public qu'en août 1977,
quand la « bande des quatre » a été éliminée, et ceux qui la soutenaient
en mauvaise posture.
Ces façons de présenter à des époques différentes, avec les décalages-
adéquats, la manière dont chacun doit apprécier la réalité de l'histoire,
et se former une image de la vérité, ne sont jamais que l'exagération, portée
à un niveau élevé dans un régime de secret, de la tendance inhérente à tout
pouvoir, y compris le plus démocratique, à « diffuser opportunément »
des informations capitales, qu'il estime lui être nuisibles sur le moment.
Ces pratiques impliquent une mise à l'écart du peuple; en cela elles parti
cipent de l'utopie, qui est toujours normative. Elles tendent à être réa
lisées autoritairement; en cela, elles sont terroristes.
2. U information et l'action
Car terroriste est le principe de gouvernement qui présente aux masses-
populaires une vérité au développement achevé, vérité qu'elles ne peuvent
mettre en doute, mais qu'elles doivent mettre en actes dans le temps-
même qu'elles en entendent l'énoncé. Utopie, principe de bon gouverne
ment, n'est guère tendre pour les hésitants, les curieux, les sceptiques, ou
tout simplement les « différents ». Thomas More nous l'avait déjà appris,,
qui se félicitait de ce que dans son île idéale on apprît le grec par décret.
Pour en revenir à l'utopie chinoise, reprenons le deuxième exemple-
1. Les « Trois hauts » et les « Trois bas » sont les périodes pendant lesquelles Deng fut en-
haut de la hiérarchie du parti et de l'Etat, et en bas de cette même hiérarchie : trois fois destitué,,
trois fois réhabilité. 5l6 PIERRE GENTELLE
du paragraphe précédent. Qu'un pouvoir, qui se dit démocratique, puisse
à ce point tenir son propre demos à l'écart des luttes pour le pouvoir qui
déterminent la vie quotidienne de ce même demos, montre à quel degré
de contrainte est conduit un système fondé en principe sur la libre, et
même double, circulati

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