La culpabilité et la naissance du débat politique démocratique - article ; n°1 ; vol.42, pg 54-66
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Description

Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique - Année 1994 - Volume 42 - Numéro 1 - Pages 54-66
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 9
Langue Français

Extrait

Dick Howard
La culpabilité et la naissance du débat politique démocratique
In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°42, 1994. pp. 54-66.
Citer ce document / Cite this document :
Howard Dick. La culpabilité et la naissance du débat politique démocratique. In: Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et
politique. N°42, 1994. pp. 54-66.
doi : 10.3406/chris.1994.1677
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/chris_0753-2776_1994_num_42_1_1677LA CULPABILITE ET
LA NAISSANCE DU
DÉBAT POLITIQUE
DÉMOCRATIQUE
Dick Howard
Si l'on convient que les « événements » qui ont marqué l'Europe de
l'Est en 1989 doivent être considérés comme une Révolution, le pro
blème reste entier. Les anciens dirigeants ont été balayés, et l'on
constata, comme en 1789, combien peu l'Ancien Régime ne pouvait
ou ne voulait résister à l'assaut. Mais, comme en 1848, il fallu constat
er aussi qu'une nouvelle société n'avait pas pris forme avant que l'an
cienne ne fût balayée. Le travail de la destruction devra faire place à
celui de la construction, qui opère avec d'autres principes et sur
d'autres bases. Et, comme l'on sait, c'est ici que les Révolutions
connaissent leur moment critique.
Balayé, l'Ancien régime ne disparaît pas d'un seul coup sans laisser
de traces. Mais une Révolution se veut entièrement neuve, indépen
dante d'un passé, qu'elle rejette en bloc. C'est ici que l'on rencontre la
problématique de la culpabilité. Ce concept permet aux révolution
naires de justifier l'élimination du passé, dans ses figures et ses formes
particulières, aussi bien que dans les structures du système. Il est suff
isamment ambigu pour s'appliquer à tous les contextes, parce qu'il ne
distingue pas entre culpabilité individuelle, collective ou encore systé-
mique. L'on se souvient du procès de Louis XVI : était-il coupable en
tant qu'individu ou en tant que roi ? Ou encore, était-ce tout un systè-
Dick Howard est professeur de philosophie politique à l'Université Stony Brook de
l'Etat de New- York.
54 ou même toute une Histoire, qui se trouvait condamnée en sa perme,
sonne ? De même, lorsque le concept de la culpabilité est appliqué
dans la lutte fratricide au sein de la Révolution elle-même, le « cou
pable » l'est souvent à son insu, « objectivement » ou « aux yeux de
l'histoire », comme l'on dira plus tard.
Ce problème de la politisation de la culpabilité réapparaît en Europe
de l'Est. C'est en ex-RDA que l'on en voit les manifestations les plus
extrêmes, les formes les plus aberrantes. Il y a des raisons à cela : l'i
ncorporation dans une RFA toujours en prise avec son propre passé et
dont l'Ostpolitik avait culminé en 1987 avec la visite officielle d'Erich
Honecker ; ou bien un effort peut-être inconscient pour justifier la
richesse des Occidentaux qui, après tout, ne devrait pas être fondée
simplement sur l'accident de naissance (1) ; ou encore une politique
délibérée des partis politiques de droite pour empêcher l'apparition
d'une troisième voie qui combinerait les acquis positifs des deux sys
tèmes. D'autre part, bien qu'imposé par l'armée Rouge, le socialisme
de RDA se voulait autochtone (on était fier de pouvoir lire Marx dans
l'original) et se justifiait non seulement par l'anti-fascisme, mais par
l'échec de la démocratie « formelle » de Weimar (2). Quoi qu'il en
soit, les accusations de complicité avec la police secrète de l'Ancien
Régime (la Stasi) compliquent, non seulement l'intégration des cinq
provinces nouvelles au jeu démocratique, mais aussi - et surtout -
l'émergence d'une citoyenneté chez ceux qui s'étaient habitués à des
comportements de complicité ou de retrait dans le sanctuaire de la vie
privée.
La situation actuelle en ex-RDA peut être analysée à partir de deux
problèmes, liés entre eux. L'intégration du personnel Est-allemand
dans les institutions réunifiées dépend d'une preuve que la personne
prévenue n'a pas été « proche de l'Etat » (Staatsnah). C'est-à-dire :
vous êtes coupable jusqu' à preuve a" innocence ! Je n'ai pas besoin de
souligner que l'ambiguïté de la catégorie « Staatsnah » se prête à
toutes les tournures imaginables, ni de faire remarquer que la seule
preuve se trouve souvent dans les archives de la Stasi, ce qui n'est pas
une source d'informations exempte de motivations politiques (3). Or,
si cette question prend une telle importance, c'est que les seuls qui
étaient en effet exempts de tout soupçon et qui auraient pu prendre
l'initiative d'une politique nouvelle en ex-RDA - les dissidents - se
sont montrés incapables de transformer leur refus de l'ordre ancien en
une politique constructive. Nous retrouvons le problème de la Révolut
ion. Se pose aussi celui des limites de la politique anti-totalitaire.
J'aborderai ces questions à partir d'une description de quelques
55 idéaux de vies et de choix Est-allemands. Puis, je reprendrai la types
question de la culpabilité à partir de l'analyse proposée en 1946, au
sortir de la guerre, par le philosophe allemand Karl Jaspers. A partir
de ses catégories, je chercherai à me servir d'un des acquis de la cri
tique du totalitarisme - la distinction entre la politique et le politique -
pour donner une forme politique à cette question. Il s'agirait de tradui
re la culpabilité en termes de corruption du politique. L'utilité de cette
reformulation apparaîtra lors de l'analyse d'une proposition concrète
pour faire face à l'héritage de l'Ancien Régime en RDA.
1. Quelques types idéaux
J'appelle morale cette opposition qui a capté nos imaginations lors
du dénouement et de la fin du communisme. Ces hommes et ces
femmes rejetaient radicalement un régime qui cherchait à s'imposer
sur la société. Mais le fondement de leur rejet était la conscience indi
viduelle. Leur engagement moral ignorait la question du rapport entre
l'individu, supposé bon en soi, et une société qui, de fait, s'était laissé
imposer un ordre indigne. La pureté requise pour s'affirmer contre
l'hétérogène nuisait ainsi à la réelle capacité mobilisatrice des repré
sentations de l'autonomie. Le socialisme dit « réel » était tissé de
complicités sociales et socialisantes qui ne pouvaient apparaître aux
esprits purs que comme des compromissions disqualifiantes. Mais la
logique de l'opposition la disqualifiait : la pureté de son refus lui
interdisait toute représentation politique d'une rupture entre un présent
compromis et l'autonomie morale et digne dont elle se faisait l'apôtre.
Elle ne pouvait pas se représenter cet espace où pourraient cohabiter
des individus dont l'autonomie dépend de celle des autres. D'une cer
taine manière, l'opposition était monologique ; sa critique s'adressait
à chacun, pris individuellement, mais aussi abstraitement. On revien
dra à ce dilemme, et à la recherche d'un dialogue avec le passé.
A l'autre extrême se trouvent des hommes (4) d'une cinquantaine
d'années, habitants des banlieues ouvrières, ayant fait tant bien que
mal leurs vies, sous un ordre perçu comme étranger peut-être, mais
accepté aussi comme un certain destin. Des compromis furent accept
és, mais pas de compromissions ni de trahisons ; au mieux des lâche
tés trop humaines. Or, la nouvelle donne est commandée par une éco
nomie dégraissée où ces hommes-là ne vont jamais plus trouver de
travail productif ! Arrivés à la force de l'âge, ceux qui auraient été des
piliers de stabilité entre des retraités et une jeunesse faisant son entrée
56 dans la vie par des temps difficiles se trouvent sans fonction et sans
statut social. Pis, la situation nouvelle disqualifie leur passé même ; ils
ne valent, littéralement, rien. Quarante ans de socialisme, c'était du
temps perdu, des efforts pour rien, une parenthèse molle qui n'invite
même pas à une rupture. Comment concevoir l'ordre nouveau où ils
n'ont plus de place ? se comprendre ? A qui la

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