La Mise en scène des différences. Ethnologie d une petite ville de province - article ; n°4 ; vol.22, pg 63-76
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Description

L'Homme - Année 1982 - Volume 22 - Numéro 4 - Pages 63-76
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1982
Nombre de lectures 49
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Michel Bozon
La Mise en scène des différences. Ethnologie d'une petite ville
de province
In: L'Homme, 1982, tome 22 n°4. pp. 63-76.
Citer ce document / Cite this document :
Bozon Michel. La Mise en scène des différences. Ethnologie d'une petite ville de province. In: L'Homme, 1982, tome 22 n°4. pp.
63-76.
doi : 10.3406/hom.1982.368325
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1982_num_22_4_368325MISE EN SCÈNE DES DIFFÉRENCES LA
Ethnologie d'une petite ville de province
par
MICHEL BOZON
« 17 y a une chose que l'on n'a point vue sous le ciel et que,
selon toutes les apparences, on ne verra jamais : c'est une
petite ville qui n'est divisée en aucuns partis, où les familles
sont unies et où les cousins se voient avec confiance ; où un
mariage n'engendre point une guerre civile ; où la querelle
des rangs ne se réveille pas à tous moments par l'offrande,
l'encens et le pain bénit, par les processions et par les
obsèques ; d'où l'on a banni les caquets, le mensonge et la
médisance ; où l'on voit parler ensemble le bailli et le pré
sident, les élus et les assesseurs ; où le doyen vit bien avec
ses chanoines ; où les chanoines ne dédaignent pas les cha
pelains et où ceux-ci souffrent les chantres. »
La Bruyèrk, Caractères*
« C'est des gens qui vivent en cercle fermé, très froids pour les étrangers »
(secrétaire)... « Ici quand on est conscrits, on est amis, on est frères, on est une
grande famille » (industriel)... « J'aime mieux vivre en plein bois qu'ici en ville »
(ouvrier)... « A Villefranche, les ouvriers veulent faire comme les bourgeois. Ils ne
savent pas rester à leur niveau » (cadre commercial)... « Si vous allez rue Nationale
et que vous dites ' bonjour Président ', vous êtes sûr de jamais vous tromper »
(ancien maire)... Dans cette petite sous-préfecture du Centre (Villefranche-sur-
Saône), chacun sait exprimer son point de vue sur la ville où il vit, mais il n'est
guère aisé de faire apparaître la logique commune qui sous-tend des affirmations
aussi péremptoires que contradictoires. Comment s'en étonner ? Sur les petites
villes, on a quelques idées toutes faites, mais les connaissances sur le style de vie
des habitants font terriblement défaut.
L'opposition absolue du rural et de l'urbain, et les couples de notions corollaires
(village /grande ville, interconnaissance/anonymat, communauté /agrégat, etc.)
* Chap, v : « De la société et de la conversation », Paris, Hachette, 1881 : 85.
L'Homme, oct.-déc. 1982, XXII (4), pp. 63-76. MICHEL BOZON 64
sont à tel point ancrés dans les esprits qu'on a presque oublié qu'une proportion
importante de Français ne vivait ni dans des villages ni dans des métropoles, mais
dans de petites villes. Sur la vie dans ce monde d'une foisonnante diversité, on
dispose surtout de stéréotypes contradictoires : les petites villes sont des « trous
insupportables » ou des villes « à visage humain », ce sont des bourgs ruraux qui
ont explosé ou de vieilles cités dont l'essor s'est arrêté à un moment de l'Histoire !
En son temps, l'art de Balzac a transformé certains de ces présupposés en mythes
littéraires ; les descriptions qu'il a données d'Issoudun et de Saumur ont fixé
durablement l'image de la sous-préfecture de province, cancanière et endormie.
Dépasser ces stéréotypes tout en intégrant leur part de vérité est possible à
condition de formuler quelques interrogations. On peut d'abord se demander si
l'espace restreint et la population relativement faible de la petite ville ne contri
buent pas à une homogénéisation (locale) des styles sociaux. Dans la proximité
spatiale, se crée-t-il un comportement moyen, neutre socialement, qui caractérise
rait les habitants de petites villes ? Par exemple : le style social petit-bourgeois
(la classe moyenne) se serait-il imposé comme le style propre des petites villes ?
A cette hypothèse qui correspond au stéréotype dominant, nous en opposerons
une autre, rigoureusement inverse : la petite ville n'est-elle pas un lieu où par
un effet de renforcement réactif les divers groupes sociaux marquent fortement
leurs différences, justement parce qu'ils sont en contact fréquent, mais non perma
nent ? Des questions plus générales peuvent alors être abordées. Existe-t-il des
phénomènes sociaux propres aux petites villes ? Quel type de connaissance les
gens ont-ils les uns des autres, s'il ne s'agit pas d'une interconnaissance villageoise ?
Une véritable observation ethnographique de la ville et de ses habitants est ici
requise.
Villefranche-sur-Saône (30 000 hab.) est une ville qui ne peut être considérée
seulement comme un appendice de la région industrielle lyonnaise ou comme la
petite capitale du Beaujolais rural. Ce n'est ni une ville isolée qu'il serait possible
de considérer sans jamais mentionner le nom de la métropole voisine, ni une ville
satellite trop dépendante pour que son étude séparée garde un intérêt. Elle fait
plutôt partie de ces cités dont la relation avec la métropole proche reste marquée
par l'ambiguïté et l'incertitude. Ville administrative, industrielle et commerciale,
elle possède un potentiel économique très diversifié qui lui permet, en matière
d'emploi, d'être autonome.
L'occupation de l'espace
La coexistence des groupes sociaux sera d'abord envisagée du point de vue le
plus général, celui de l'occupation du territoire : existe-t-il une ségrégation sociale
dans le domaine du logement, c'est-à-dire dans la répartition des lieux privés ? UNE PETITE VILLE DE PROVINCE 65
Puis on transposera la question aux lieux non privés (cafés, rues, lieux
culturels, etc.) : quelle utilisation sociale en est faite ?
La spécialisation sociale des quartiers d'habitation
Dans les grandes villes françaises, la multiplicité des quartiers, et le fait que
toutes les couches sociales (même les catégories supérieures) forment des groupes
non négligeables en valeur absolue, favorisent une différenciation sociale de
l'habitat1 : on distingue assez nettement quartiers bourgeois et quartiers popul
aires, même si dans les quartiers riches il existe toujours une petite proportion de
couches populaires. Dans les petites villes, en revanche, de telles distinctions ne
sont pas pertinentes.
A Villefranche par exemple, le petit nombre des quartiers et la faiblesse numér
ique (en valeur absolue, non en pourcentage) des couches supérieures interdisent
une véritable ségrégation sociale par l'habitat, même si tous les quartiers ne
présentent pas un profil social identique. Ainsi le quartier central de Villefranche
se distingue-t-il de tous les autres par la proportion plus élevée de commerçants,
artisans, industriels, membres des professions libérales qui y ont élu domicile.
Mais cette place privilégiée des indépendantes dans le centre ancien de
la ville compense seulement l'effacement des couches moyennes et supérieures
salariées (employés et cadres), car on compte la même proportion d'ouvriers dans
ce quartier que dans l'ensemble de la ville. Employés et cadres se trouvent en
revanche plus nombreux dans deux quartiers neufs, jouxtant le quartier central,
qui présentent un profil social plus résidentiel : un peu moins d'ouvriers, un taux
relativement moyen de professions indépendantes. Tous les autres quartiers sont
à dominante populaire, aussi bien le grand ensemble, de construction récente, que
les quartiers situés à l'est de la voie ferrée. Dès que, venant du centre (ouest de la
voie), on franchit la ligne de chemin de fer, on se retrouve brusquement dans un
quartier périphérique. C'est la distance sociale, plus que la distance physique, qui
crée l'éloignement psychologique : dans ces quartiers, on rencontre peu de membres
des professions indépendantes, les cadres sont plus rares, tandis qu'ouvriers et
employés prédominent.
Les quartiers de la ville sont donc divers par le profil de leur population. S'il y a
incontestablement spécialisation sociale dans l'habitat, il n'y a pas lieu de parler
de ségrégation, car ce sont des variations marginales, plus que des différences
fondamentales, qui donnent leur image de marque aux quartier

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