La polygamie en tant que mode de gestion de l espace dans les hautes terres du massif du Balé - article ; n°1 ; vol.20, pg 97-112
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La polygamie en tant que mode de gestion de l'espace dans les hautes terres du massif du Balé - article ; n°1 ; vol.20, pg 97-112

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Description

Annales d'Ethiopie - Année 2004 - Volume 20 - Numéro 1 - Pages 97-112
16 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 35
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Julien Dupuy
La polygamie en tant que mode de gestion de l'espace dans les
hautes terres du massif du Balé
In: Annales d'Ethiopie. Volume 20, année 2004. pp. 97-112.
Citer ce document / Cite this document :
Dupuy Julien. La polygamie en tant que mode de gestion de l'espace dans les hautes terres du massif du Balé. In: Annales
d'Ethiopie. Volume 20, année 2004. pp. 97-112.
doi : 10.3406/ethio.2004.1071
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ethio_0066-2127_2004_num_20_1_1071Annales d'Ethiopie, 2005, vol. XX: 97-112
LA POLYGAMIE
EN TANT QUE MODE DE GESTION DE L'ESPACE
DANS LES HAUTES TERRES DU MASSIF DU BALÉ
Julien Dupuy
Le massif du Balé se situe dans la partie sud-orientale de la vallée du rift, au
contact des régions Sidamo parmi les plus densement peuplées d'Ethiopie et des
basses terres arides de la Somalie voisine. Ce vaste massif montagneux demeura
en grande partie inhabité jusqu'à l'aube du xxe siècle. Les pasteurs oromo sont
restés pendant des siècles dispersés sur le piémont, occupant de petits villages
appelés olaa, qui rassemblaient tous les membres d'un même clan ou gossa* l,
réunis autour de leurs chefs spirituels et politiques. Ils pratiquaient une agricul
ture de subsistance dans la plaine et se livraient à un élevage extensif qui les
amenait à se rendre saisonnierement dans la montagne. La rudesse du climat et
la présence de dangereux prédateurs ont longtemps découragé l'installation des
hommes dans cette montagne réputée « ingrate ». Cependant, depuis plus d'un
siècle, les hommes partent à la conquête de ces espaces, par l'intermédiaire
notamment de leur nombreuses épouses.
L'Islam est apparu dès le xme siècle dans cette région qui se trouve aujour
d'hui composée d'une population à majorité musulmane. Pourtant la parole
du prophète sommeilla de nombreux siècles aux portes de l'Ogaden, sur la
terre sacrée de Sheikh Hussein*. La religion musulmane ne fut en effet
adoptée massivement par les pasteurs oromo qu'à partir du xixe siècle, et cela
par opposition au processus d'acculturation mené par les colons amhara
installés dans la plaine. L'Islam est devenu depuis la religion exclusive des popul
ations vivant dans les hautes terres du massif du Balé. La religion musulmane
autorise tout homme à prendre quatre épouses à condition qu'il puisse les
honorer. Cependant il n'est pas rare que le pasteur oromo en prenne
davantage, si l'importance de son troupeau l'exige. En épousant plusieurs
femmes, le chef de famille s'assure une force de travail élargie sur laquelle il
peut répartir son troupeau en fonction des saisons.
La polygamie est depuis bien avant l'apparition de l'Islam un moyen
employé par les pasteurs du Balé pour accéder à des pâturages diversifiés.
Autrefois des alliances maritales étaient passées entre les différents clans ou
gossa, afin d'unir les ressources de leurs territoires. Suivant l'importance de
leurs troupeaux, certains pasteurs pouvaient être amenés à prendre plusieurs
épouses originaires de différents gossa. Après la conquête de la région par
1. Les mots marqués d'un * se trouvent expliqués dans un glossaire en fin de texte. 98 JULIEN DUPUY
Ménélik à la fin du xixe siècle, les seigneurs locaux reproduisent cette stratégie à
l'échelle de leurs domaines, afin de faciliter la gestion de leurs grands troupeaux.
Ils dispersent leurs femmes sur leurs «fiefs», dont certaines sont amenées à se
sédentariser dans la montagne avec une partie du troupeau familial. Lorsque la
politique communiste s'impose dans la région au cours des années 1980, ce
système polygame est brisé dans une plaine désormais vouée à la céréaliculture.
La politique de villagisation* et de collectivisation des terres orchestrée par le
régime du Dârg met un terme à ce mode d'organisation familial. La plupart des
seigneurs déchus trouvent alors refuge dans la montagne où le gouvernement n'a
que peu d'emprise. Depuis la chute de ce régime en 1991, les éleveurs sortent de
leur exil et partent à la reconquête de l'espace montagnard grâce à leurs nomb
reuses épouses. Les villes et les villages de la plaine se vident également d'une
partie de leurs habitants, qui essayent de s'approprier des terres dans la
montagne en y installant une de leurs épouses. Ces nombreuses épouses permett
ent aux chefs de famille de gravir les différents étages de la montagne, sur
lesquels ils répartissent leurs troupeaux et adaptent une large gamme de
cultures. C'est en suivant les itinéraires de plusieurs familles, que nous allons
essayer de retracer l'histoire de la colonisation du massif du Balé et en particulier
celle des montagnes de Kor Duro qui forment son extrémité occidentale.
Des femmes tiraillées entre un découpage traditionnel
et moderne de l'espace
L'organisation des territoires dans la région du Balé se trouve encore de nos
jours en partie liée à l'identité clanique des gossa. La plupart des gossa vivaient
au niveau du piémont et disposaient de territoires qui s'étendaient sur différents
terroirs, associant le plus souvent la plaine, le piémont et les hautes terres. Seul
cependant, l'espace cultivé autour des habitations pouvait être considéré comme
propriété individuelle. L'organisation territoriale de la région reposait ainsi sur
différents segments où venaient s'emboîter à la fois l'autorité locale et l'autorité
supérieure du gadaa*, qui régissait la communauté oromo. Dans les hautes terres
du Balé, on peut encore distinguer quatre principaux niveaux de segments ayant
survécu aux différents remaniements politiques : le foyer, unité familiale de base
ou warra* ; le lignage, groupe de familles apparentées ou balbala* ; le clan ou
gossa et la communauté oromo « unie » dans le respect de la tradition du gadaa.
C'est sur cette délimitation informelle du territoire du gossa* que sont
venues se superposer les limites administratives ou foncières dessinées à partir
de la fin du xixe siècle. Lors de l'annexion de la région et de son rattachement à
l'empire de Ménélik, les seigneurs s'appuient sur cette structure segmentaire qui
régit traditionnellement la société oromo, pour administrer l'espace selon leur
modèle féodal. Plusieurs domaines respectent le territoire d'anciens gossa, dont
la possession avait été le plus souvent allouée aux pasteurs oromo ayant
embrassé la religion des conquérants. Ces seigneurs «par adoption » possédaient
plusieurs centaines de têtes de bétail qu'ils répartirent sur leurs domaines par
l'intermédiaire de leurs innombrables épouses. Cette polygamie démesurée LA POLYGAMIE EN TANT QUE MODE DE GESTION DE L'ESPACE... 99
élargit la base de certains patricians, qui pendant un siècle purent jouir du
privilège d'administrer des territoires rigoureusement délimités.
Les femmes bénéficient à cette époque de l'usufruit des produits tirés de
l'élevage et grâce à la vente des produits laitiers elles pouvaient assurer leurs
propres revenus. Ceux-ci leurs permettaient de faire la soudure en attendant la
prochaine visite de leur époux qui, on s'en doute, « ne savait plus trop où donner
de la tête». Le seigneur le plus important de la plaine de Dodola avait épousé
trente-trois femmes. La ville de Dodola qui les accueillit suite à la politique de
villagisation nous donne l'impression d'être peuplée, par une seule et même
famille tant ses habitants n'en finissent pas de vous présenter leurs frères
présumés.
Le mode de gestion communautaire des ressources naturelles fut menacé
par cette polygamie qui imposa un nouveau mode d'organisation spatial. Le
village, symbole de l'unité du clan face à l'utilisation de la ressource, éclata
pour que chaque famille occupe une partie du domaine du seigneur. Ces petits
hameaux répartis dans la plaine devaient assurer le relais des activités du
seigneur sur son territoire et permettre de développer la céréaliculture. L'araire
fit en effet son apparition dans une plaine que les Oromo cultivaient timidement
jusqu'à présent à l'aide d'un pieu à labourer le sol appelé dengwâ

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