Le masque de la mort verte : Jean Lorrain et l abject - article ; n°79 ; vol.23, pg 53-72
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Le masque de la mort verte : Jean Lorrain et l'abject - article ; n°79 ; vol.23, pg 53-72

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Description

Romantisme - Année 1993 - Volume 23 - Numéro 79 - Pages 53-72
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1993
Nombre de lectures 28
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Micheline Besnard
Le masque de la mort verte : Jean Lorrain et l'abject
In: Romantisme, 1993, n°79. pp. 53-72.
Citer ce document / Cite this document :
Besnard Micheline. Le masque de la mort verte : Jean Lorrain et l'abject. In: Romantisme, 1993, n°79. pp. 53-72.
doi : 10.3406/roman.1993.6188
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1993_num_23_79_6188BESNARD Micheline
Le masque de la mort verte
Jean Lorrain et l'abject
II suffît de quelques titres (Histoires de masques, Buveurs d'âmes, Un-
démoniaque), ou titres de chapitres du moins explicite Monsieur de Phocas, tels
"L'Envoûtement", "L'Effroi du masque", "Quelques monstres", "Les Larves",
"Vers le Sabbat", "L'Opium" - on pourrait allonger la liste - pour que se laisse
entrevoir l'imaginaire décadent 1 de Jean Lorrain. L'intertexte de Baudelaire,
Hoffmann, Schwob, Rollinat, mais aussi Goya, Ensor, Moreau, entre autres
représentants "surnaturalistes", désigne d'emblée ce qui nous paraît être le
principal registre de l'œuvre 2, ou plus exactement son registre fondamental,
voire fondateur.
Dans les textes de Lorrain, nous retiendrons ici une approche des limites, à
la fois du réel et du moi, un affleurement, ou un franchissement des seuils, au-
delà desquels on bascule dans l'impossible, dans l'irreprésentable. Dérive d'un
monde que ne régit plus le principe de réalité, et d'un sujet que dissout l'horreur.
Toutefois, et malgré leur présence, ce n'est ni le fantastique, ni l'inquiétante
étrangeté qui nous requièrent ici, mais cette autre chose qui les touche et
éventuellement les traverse, qui les déborde aussi, une violence, une présence
révulsive et dissolvante de l'informe, du pourri, du déchet, de tout ce qui corrompt
un ordre donné, d'un inassimilable exorbitant : de l'abject 3. C'est à ses formes et
ses modalités, dans lesquelles plus d'une fois nous rencontrerons l'archaïque, à son
fonctionnement dans son rapport au sujet (moi et surmoi) et dans l'économie du
texte, que nous nous attacherons ici, à partir de quelques contes et du roman
Monsieur de Phocas.
Prenons pour point de départ un conte qui, au premier abord, semble répondre
aux critères du fantastique : "Une nuit trouble" 4.Après avoir évoqué, devant un
cercle d'auditeurs, les affleurements du mystère dans notre quotidien, sous forme
d'éléments incertains, mal définis et provoquant l'effroi, et non sans avoir appuyé
son dire (après tout contestable) sur des références à Callot, Goya et Rollinat
comme garants culturels du fantastique (comme le réalisme, le fantastique a ses
ancrages), le narrateur raconte un souvenir. Nous le désignerons sous le nom de
héros en tant que protagoniste de l'histoire, même s'il s'agit toujours du narrateur
(7e est un autre sur la scène du fantasme 5). Rendant visite à un ami qu'il doit
aider aux préparatifs d'un bal, le héros se trouve en province, dans une demeure en
désordre, puis dans une chambre aussi froide et sinistre que le paysage qu'il
ROMANTISME n°79 (1993 - 1) 54 Micheline Besnard
aperçoit de sa fenêtre. Le récit, motivé, ancré temporellement et - quoique de
façon sommaire - géographiquement, pourrait être réaliste. N'étaient peut-être
quelques indices, repérés lors d'une lecture rétrospective : si la circonstance de la
visite est exceptionnelle, les préparatifs se situent en ce lieu incertain où l'ordre
habituel n'est plus, mais où la fête n'est pas encore; la demeure se trouve "aux
portes de la ville"; le "corps de logis" où il est installé est non seulement isolé,
mais "bâti à cheval sur le mur de clôture", entre société (ses amis) et nature
(campagne, forêts), fragilisé par les vitres claires qui ne sauraient assurer la
nécessaire séparation entre l'extérieur et intérieur. Froid dehors, froid dedans. Avec
la neige qui se met à tomber, blanc dehors, blanc dedans. "Détresse" du paysage,
dé-tresse, dé-liaison, "spleen de l'âme". Les éléments dysphoriques appellent la
modalisation: la tempête de neige tournoie autour du corps de logis "comme une
démence de bruits confus".
Un deuxième temps du récit rapporte l'épisode central. Réveillé par un bruit
d'ailes dans la cheminée, le héros soulève le tablier et voit un oiseau hideux. Fou
de terreur et d'horreur, il le frappe, le tue, le repousse. Fermeture du tablier de
cheminée. Retour au sommeil. Mais la scène, que désignent l'ouverture et la
fermeture du rideau (le corps du logis est imparfaitement clos) mérite qu'on s'y
attarde, en ce qu'elle montre l'irruption de l'immontrable et son face-à-face avec le
sujet : l'homme devant "un être", une bête, "un chimérique cormoran". Ses
caractéristiques ("bec à goitre", "ventre énorme", "longues cuisses grêles", "pattes
palmées", "ailes de chauve-souris", "œil rond de vautour", membrane de ses
paupières, bec "membraneux" tranchant et effilé, et curieusement, cris d'enfant) en
font un être composite où coexistent le grêle et le bouffi, le flasque et le
tranchant, un être hideux venu d'ailleurs (littéralement chu), comme il n'en existe
pas. Aussi le narrateur, qui l'a vu, a-t-il recours au vocabulaire du surnaturel dont
on peut dire, d'une façon générale, qu'il est spécialisé dans les signifiants du rien :
l'oiseau est monstre, fantôme, gnome et stryge à la fois (masculin et féminin,
animal et humain, la stryge désignant un vampire femelle, composite elle-même,
tenant de la femme et de la chienne), nain et engoulevent (oiseau et goule,
vampire femelle encore); il évoque le marécage, lieu indécis s'il en est, et le
sabbat (où ça bat - longuement décrit, puisqu'immontrable, dans un conte
merveilleux : "La Princesse aux miroirs" 6, lieu du vague et des choses
"terrifiantes et sans nom", formes accroupies autour d'une chaudière comme
l'oiseau est un "être accroupi" dans la cheminée, de l'hybride, des membres épars,
ventres, bras, yeux ronds, des crapauds, du flasque et du mou qui rampe,
grouille...). Difficulté de dire l'innommable de cet invraisemblable cormoran au
plus "obscène" près d'un (ventre déjà offert, corps-mourant cuisses nues) avant d'être même sur la d'être scène, mis repoussant à mort par à repousser le héros,
sous peine de ne plus être. Dans le face-à-face du héros et de l'oiseau se joue une
relation violente du sujet à l'objet, avec cette particularité que d'être confronté à un
imaginaire objet- non-objet, le sujet se défait. "Devenu ivre, fou", c'est grâce à
l'appendice des pincettes (pincettes contre bec) que le héros écrase et tue l'être,
avant de rejeter, exclure le cadavre. Le meurtre, puis l'exclusion, le tablier tenant Lorrain et l'abject 55 Jean
lieu de barre séparatrice, assurent la victoire du sujet qui se reconstitue, avec l'aide
cependant de quelques gouttes d'éther.
Le troisième temps du récit se donne sur le mode de la répétition et de la
différence. De nouveau, le héros est réveillé, cette fois par le brait de deux
monstrueux oiseaux conversant, semblables au premier, mais situés à l'extérieur,
sur le bord de sa fenêtre (fenêtre comme seuil et cadre à la scène) 7, et qui le
narguent, et le bravent lorsqu'il tente de les faire fuir. Sueur froide, "froid de la
petite mort". En ramassant les pincettes - l'arme avérée salvatrice -, il rencontre,
contre toute attente, un corps mou : celui du premier oiseau qui, d'un violent
coup de bec, lui blesse la main. Mort pas mort, l'oiseau-revenant éveille nos
vieilles attitudes animistes. Mais le retour est terrifiant, du mal exclu 8 qui n'est
décidément pas à prendre avec des pincettes, et dont la menace castratrice dont il
est porteur se manifeste à la fois dans la blessure infligée (le pouce presque
détaché de la main), et l'affect : d'épouvanté, le héros s'évanouit, et sombre dans
la fièvre.
Dans un quatrième temps, le récit

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