Les Géants Patagons ou l espace retrouvé. Les débuts de la cartographie américaniste - article ; n°106 ; vol.28, pg 156-173
23 pages
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Les Géants Patagons ou l'espace retrouvé. Les débuts de la cartographie américaniste - article ; n°106 ; vol.28, pg 156-173

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Description

L'Homme - Année 1988 - Volume 28 - Numéro 106 - Pages 156-173
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Jacqueline Duvernay-Bolens
Les Géants Patagons ou l'espace retrouvé. Les débuts de la
cartographie américaniste
In: L'Homme, 1988, tome 28 n°106-107. pp. 156-173.
Citer ce document / Cite this document :
Duvernay-Bolens Jacqueline. Les Géants Patagons ou l'espace retrouvé. Les débuts de la cartographie américaniste. In:
L'Homme, 1988, tome 28 n°106-107. pp. 156-173.
doi : 10.3406/hom.1988.368975
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1988_num_28_106_368975AU
Jacqueline Bolens-Du vernay
Les Géants Patagons ou l'espace retrouvé
Les débuts de la cartographie américaniste
Jacqueline Bolens-Duvernay, Les Géants Patagons ou l'espace retrouvé. Les débuts
de la cartographie américaniste. — Du xvie au xvne siècle, les voyageurs décrivent les
Indiens Patagons comme un peuple de géants. L'étude des documents cartographiques
met en évidence le rôle prioritaire de l'imaginaire en tant que support des faits
d'observation. Les géants Patagons ont en quelque sorte préexisté à leur découverte qui
consacrait d'anciennes croyances sous une forme nouvelle.
Quand au xve siècle les navigateurs franchissent l'Atlantique, ils prennent
acte d'un partage de la terre en deux mondes séparés qui se font face. Parallèl
ement aux transformations qui affectent l'image de la terre, la représentation de
l'homme marque une évolution dans laquelle la découverte des Indiens Pata
gons occupe une place significative. Le regard porté sur ces hommes, qui
jusqu'à la fin du xvme siècle apparurent comme un peuple de géants, consacre
un tournant de la réflexion qu'on peut suivre sur les documents cartogra
phiques. Il correspond à l'époque où les peuples monstrueux de l'Ancien
Monde cèdent la place aux peuples sauvages du Nouveau. Rappelant les uns,
les Patagons préfigurent les autres. Pour interpréter correctement le jugement
sur ce peuple de géants, on doit faire intervenir un ensemble de réminiscences
livresques héritées des Anciens, âprement discutées par les théologiens du
Moyen Age, et dont les bribes sont venues converger dans cette région méridio
nale de l'Amérique. Pour quelles raisons les terres magellaniques et leurs habi
tants ont-ils monopolisé l'intérêt et détourné à leur profit la curiosité jusque-là
attachée de manière vivace aux peuples de monstres décrits par Pline l'Ancien ?
Une nouvelle perception de l'espace
Les navigateurs du xvie siècle, confrontés à des régions et des hommes jus
qu'alors inconnus, trouvèrent dans les cartes de géographie un support matériel
L'Homme 106-107, avril-sept. 1988, XXVIII (2-3), pp. 156-173. Les Géants Patagons 157
indispensable à la pensée1. Conjuguant le texte à l'image, elles favorisaient,
par la richesse des illustrations et la référence aux légendes tirées d'ouvrages
contemporains, la transmission d'un savoir encyclopédique sur le monde, les
hommes et la nature. L'essor de la cartographie a renforcé la place capitale de
la géographie dans la distribution du savoir de l'époque. Selon une opinion la
rgement partagée par ses lecteurs, Ortelius (1606 : xxix) la désigne comme
« l'œil de l'histoire ». Déjà au xe siècle, Paul de Venise exprimait un point de
vue comparable quand, dans le prologue de son Satyrica historia, il déclarait
que pour comprendre l'histoire de la dispersion des fils de Noé à travers le
monde, il était nécessaire de s'aider de cartes comportant dessins et mots2 (cité
in Block Friedman 1981 : 42).
Au xvie siècle changent non seulement l'image de la terre, mais aussi les
techniques de reproduction de cette image sur les cartes. Ayant acquis la preuve
de la sphéricité de la terre, les géographes prennent conscience du caractère
homogène de l'espace où « toutes les parties ont une pareille forme sphérique
[...] que l'on voit s'avalant de tous les côtés » (Mercator 1630 : 4). Un système
d'équivalences s'instaure entre les différents points du globe, qui ramène la
diversité des lieux à un ensemble de coordonnées offrant le moyen de les local
iser avec exactitude3. A partir de ce moment, s'impose à l'esprit des géo
graphes l'idée que l'établissement des cartes relève plus « des conceptions
secrètes de l'entendement que de la vivacité de nos yeux » {ibid. : 2). En sou
mettant la réalité sensible à l'ordre du discours scientifique, la réflexion mathé
matique des géographes se substitue aux anciens récits fabuleux sur les pays
lointains. La priorité accordée au nombre et à la mesure construit une parole
tierce qui brise le rapport duel établi par les géographes du Moyen Age entre les
peuples de la chrétienté placés au centre du monde et les peuples imaginaires de
monstres rejetés à sa périphérie.
Sur les cartes médiévales en effet, l'espace de la terre, représenté comme un
disque plat entouré par l'océan, était divisé en deux zones hétérogènes. Selon
un schéma repris au xe siècle par Ranulf Hidgen dans son Polychronon, « c'est
souvent dans les marges les plus éloignées du monde qu'on voit apparaître de
nouvelles merveilles et choses étranges comme si la Nature usait en secret d'une
plus grande liberté dans les extrémités du monde qu'elle ne fait ouvertement
dans des régions plus proches de nous dans le milieu de la terre » (cité in Block
Friedman 1981 : 43). Une discontinuité radicale opposait les valeurs attribuées
au proche et au lointain, définies en fonction d'un point fixe, Jérusalem, situé
au centre du disque terrestre. En passant de la représentation d'un monde plat
à celle d'un monde sphérique, la représentation qualitative de l'espace cède le
pas à une représentation quantitative. Dorénavant, la diversité de la Nature
n'est plus fonction de l'éloignement. Avec les progrès de la cartographie et la
découverte du système de projection de Ptolémée, contemporaine de l'appari
tion de la perspective linéaire, l'attention se porte sur les rapports de proport
ions dans la représentation du monde4. Pour un homme comme Cardan, ce
n'est plus aux confins du monde que foisonne la variété des choses étranges ; il JACQUELINE B O L E N S - D U VE R N A Y 158
exprime l'idée que « la nature joue, quant à ce qui est remarquable, moins dans
les petites choses que dans les grandes » (Cardan 1557 : 317).
Une nouvelle représentation de l'Homme
On peut suivre sur les premières cartes d'Amérique les transformations
résultant de cette nouvelle appréciation de l'espace, et leurs conséquences pour
la représentation de l'homme. Déjà en 1507, le cartographe Waldseemüller
place en regard deux modèles géographiques distincts. La représentation de
l'Ancien Monde reproduit les noms de lieux recensés par la tradition médiévale
auxquels s'ajoutent, sur un exemplaire ultérieur — la carte marine de 1516 — ,
les désignations des peuples monstrueux rejetés aux confins de l'Asie (Fischer &
Wieser 1903). En revanche la représentation de l'Amérique laisse le champ à de
nouvelles interrogations sur l'homme : sur la carte qui, selon A. Ronsin (1979 :
149-151), fut peut-être la première à porter la mention « America », l'intérieur
des terres reste pratiquement vide de toute espèce de notations, à l'exception du
mot « gigant »5 placé à côté de « Brazil », sur la côte septentrionale, et de
« canibales » au milieu du continent.
A la suite de Waldseemüller les cartographes continuent d'imposer la pré
sence en Amérique de peuples de géants et de cannibales6. Au retour de l'expé
dition de Magellan en 1522, et après que le récit de Pigafetta eut lancé la nouv
elle qu'un peuple de géants vivait en Patagonie, on voit la mention « Regio
gigantum » s'attacher à l'extrême sud de l'Amérique jusqu'à la fin du
xviie siècle7. La force avec laquelle la représentation de ce peuple de géants
imprègne les esprits du temps ressort distinctement sur la carte de Münster de
1540 où les mots « Regio gigantum » sont la seu

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