Les illustrations romantiques des « Fables » de La Fontaine - article ; n°3 ; vol.1, pg 94-111
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Description

Romantisme - Année 1971 - Volume 1 - Numéro 3 - Pages 94-111
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1971
Nombre de lectures 74
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M Alain-Marie Bassy
Les illustrations romantiques des « Fables » de La Fontaine
In: Romantisme, 1971, n°3. pp. 94-111.
Citer ce document / Cite this document :
Bassy Alain-Marie. Les illustrations romantiques des « Fables » de La Fontaine. In: Romantisme, 1971, n°3. pp. 94-111.
doi : 10.3406/roman.1971.6271
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1971_num_1_3_6271ALAIN-MARIE BASSY
Les illustrations romantiques des « Fables »
de La Fontaine
La Fontaine aimait qu'on le crût distrait. Sa seule véritable distraction aura
été, comme un prestidigitateur faussement maladroit, de laisser échapper
de ses manches des pigeons amoureux et des hiboux philosophes, de jeunes
veuves coquettes et des meuniers sensés, des chauves-souris avisées, des
Jupiter paternes; tout un monde qui, après la sortie du maître, s'est mis à
vivre d'une vie autonome, porté par le grand flux de l'histoire et du goût.
La Fontaine aimait qu'on le crût paresseux. Sa seule véritable paresse
aura été d'avoir confié au lecteur le soin d'une création imaginaire sur laquelle,
dans ses vers simplement suggestifs, il se contente d'attirer son attention.
Il aura confié au public « la fable toute nue 1 ». Les illustrateurs se sont faits
ses couturiers. Le modèle, il est vrai, ne manquait ni de charme, ni d'élégance ;
il avait une extraordinaire aptitude à porter avec autant d'allure le « cotillon
court » que la robe d'apparat. Aussi ne nous étonnerons-nous pas de rencontrer
le fabuliste à tous les carrefours de l'histoire. Constamment illustrées depuis
leurs publication en 1668, les Fables n'ont cessé de susciter le talent des
artistes. Elles ont levé une légion de crayons et de burins qui ont fait d'elles
en trois siècles une constante métamorphose.
Mais cette métamorphose continuelle est l'image même de la transformation
du goût. Une étude iconographique des Fables, par les données esthétiques
voire philosophiques qu'elle nous propose, nous renseigne donc, non seul
ement sur l'œuvre elle-même de La Fontaine, mais sur l'évolution historique
de toute une sensibilité. Pareille recherche prend une importance particulière
lorsqu'on s'intéresse aux rapports qu'entretiennent dans la fable les person
nages humains et les personnages animaux, et que l'on recherche, dans les
multiples éditions romantiques, comment les illustrateurs d'alors ont repré
senté ces personnages, ont conçu la hiérarchie de ces êtres fabuleux.
Il est probable en effet que ces personnages n'étaient pas indifférents à
La Fontaine. Sans doute les a-t-il adoptés par contradiction, comme il a
adopté cette « Muse que les autres emploient à laver la vaisselle des cœurs,
1. Tribut envoyé par les animaux à Alexandre, IV, 12, v. 4. Les illustrations romantiques des « Fables » de La Fontaine 95
à faire le ménage des morales2». Il les a adoptés parce qu'il s'était montré
jusqu'ici un « mauvais prospecteur » devant la foule des « personnages en
quête d'auteur réunis pour l'accueillir3». Ceux-là4, il les a abandonnés sans
remords. Mais il s'est attaché aux personnages des Fables. Il les a défendus
par entêtement 5, comme il les abandonnera sans doute par lassitude : parce
qu'ils devenaient encombrants, et que la société devait commencer à lui
reprocher cette crotte qu'H laissait tramer aux antichambres des salons 6. Ainsi
les personnages de La Fontaine accompagnent son itinéraire spirituel, disons
même son itinéraire philosophique.
L'attachement qu'il conçoit peu à peu pour ses personnages l'amenèrent
en effet à suivre les penseurs isolés de son temps qui remettaient en question
certains critères spécifiques de la nature humaine. Comme eux, il accorde aux
animaux, non seulement la sensibilité, l'imagination et la mémoire, mais
encore, avec le père Pardies et Bernier7, des connaissances sensibles, sinon
spirituelles, de « l'esprit », c'est-à-dire une intelligence pré-réflexive 8. La
réflexion, c'est-à-dire la raison, demeure, à ses yeux, la seule frontière réelle
entre l'intelligence animale et la pensée humaine.
En cela, il ne fait pas que récuser un cartésianisme d'ailleurs assez mal
compris. A une époque où « l'unité de l'âme humaine était chose indiscutée 9 »,
il affirme la dualité de celle-ci 10 : « l'homme est un animal à deux âmes
(animal « dipsuchon ») dont l'une est matérielle et périssable » — celle qu'il
partage avec les animaux — , « l'autre spirituelle et immortelle " ». Cette
thèse, probablement empruntée au médecin anglais Thomas Willis 12, substi-
2. Jean Giraudoux, Les cinq tentations de La Fontaine, Paris, Grasset, 1938, in-16,
p. 207.
3. Id., p. 189.
4. Par exemple Achille, ou les personnages de l'Eunuque.
5. Cf. sa prise de position dans la querelle du gassendisme et du cartésianisme.
6. Voir l'Epilogue du livre XI : dans les sept derniers vers, La Fontaine, en un brusque
retournement, conseille aux poètes qu'il venait d'inviter à poursuivre son œuvre de traiter
plutôt des succès militaires du monarque. Cet envoi respectueux pourrait bien être la pré
sentation ironique d'un reproche adressé à La Fontaine lui-même, retranché dans un
« emploi », décidément trop « doux », de sa « Muse innocente ». Le fabuliste aurait donc
pu connaître, avec ses animaux, la mésaventure survenue au chasseur avec son milan
(Le roi, le milan et le chasseur, XII, 12).
7. Voir Henri Busson, « La Fontaine et l'âme des bêtes », Revue d'histoire littéraire de
la France, Paris, 42e année, 1935, in-8°, pp. 1-32.
8. Cf. Les deux rats, le renard et l'œuf (IX, Discours à Mme de la Sablière) :
« ... Je rendrai mon ouvrage
Capable de sentir, juger, rien davantage,
Et juger imparfaitement. » (vers 214-216)
On trouve plus haut une idée sans doute empruntée à Du Hamel :
« Or, vous savez Iris, de certaine science,
Que, quand la bête penserait,
La bête ne réfléchirait
Sur l'objet ni sur sa pensée. »
(Ibid., vers 61-64)
9. Busson, op. cit., p. 21.
10. Voir Discours à Mme de la Sablière, vers 218-225.
11. Busson, op. cit., p. 22.
12. Willis avait publié son traité De anima Brutorum en 1672, à Oxford. Cet ouvrage
avait été réimprimé à Amsterdam en 1674. De nombreux exemplaires en circulaient donc
à Paris et le Journal des Savants en avait donné un compte rendu qui devait être connu
dans la société savante du salon de Mme de la Sablière. (Voir Busson, id., p. 21.) 96 Alain-Marie Bassy
tuait à la séparation absolue entre la créature humaine et la créature animale
la fluctuation d'un « plus humain » à un « moins humain », soumise unique
ment au développement de « l'organe », c'est-à-dire du corps. Les Fables,
en douant les animaux, par l'artifice affabulatoire, d'un sens de l'argument
ation et de la déduction 13, de qualités comme la parole, et de sentiments
comme l'amitié ou la haine 14, ne pouvaient que souligner cette ambiguïté
entre les deux règnes de créatures. Celle-ci n'est pas étrangère à un certain
courant baroque qui se développe parallèlement au classicisme, et l'on peut
penser qu'elle trouvera une poétique éclosion dans la mode des contes de
fées qui bat son plein en France dans les dernières années du siècle 15.
Or, l'image donne une réalité plus dense à ces êtres de qualité incertaine
que sont les personnages des Fables; elle objective et définit les rapports
qu'ils entretiennent entre eux, et avec leur auteur, aux yeux de l'illustrateur.
Comment n'être pas frappé dès lors qu'aucun des illustrateurs du poète,
au xvrie comme au xvnr9 siècle, n'a tenté de traduire une certaine ambiguïté
entre les deux règnes de créatures. Qu'on regarde les gravures données par
Chauveau16, par Oudry et Cochin17, par Vivier18 : toutes portent la marque
d'un anthropocentrisme triomphant. L'homme règne en maître sur une nature
pittoresque et rassurante, où le jeu des animaux n'est tout au plus, chez
Oudry, que le délicieux artifice d

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