Les politiques agraires vietnamiennes entre dogmatisme et nouvelle donne - article ; n°128 ; vol.32, pg 791-810

Nguyên Trongnamtrân

Description

Tiers-Monde - Année 1991 - Volume 32 - Numéro 128 - Pages 791-810
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: TIERS-MONDE
• Publié le: 01 janvier 1991
• Nombre de lectures: 17
• Langue: Français
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Extrait

Nam Nguyen Trong
Les politiques agraires vietnamiennes entre dogmatisme et
nouvelle donne
In: Tiers-Monde. 1991, tome 32 n°128. pp. 791-810.
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Nguyen Trong Nam. Les politiques agraires vietnamiennes entre dogmatisme et nouvelle donne. In: Tiers-Monde. 1991, tome
32 n°128. pp. 791-810.
doi : 10.3406/tiers.1991.4628
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1991_num_32_128_4628LES POLITIQUES
AGRAIRES VIETNAMIENNES
ENTRE DOGMATISME
ET NOUVELLE DONNE
par Nguyên Trong Nam Trân*
Pourquoi être triste petite sœur aimée ? Vf sao buôn hoi em yêu
Nous sommes en train de construire l'avenir Chung ta dang xây důng tůong lai
Pour avoir des arbres où puisse se percher l'oiseau De со cây cho chim dâu
Et la barque pour t'amener sur l'autre rive. Va со thuyê*n cho em sang sông.
(Chanson populaire) (Bài dân ca Viêt-nam)
INTRODUCTION
« Quoiqu'elle augmente annuellement, la production de vivres reste instable
et incapable de répondre aux besoins minimaux de la société. La pénurie et la
répartition irrationnelle des moyens de production ont fait obstacle à la culture
intensive. Dans la politique d'échanges de marchandises entre l'Etat et les paysans,
il y a trop d'inégalités et d'abus d'autorité. L'oppression et la corruption ont
engendré des injustices et n'incitent pas à produire... h1
Tel est le constat, en forme d'autocritique, du secrétaire du Comité central
du Parti sur les résultats de la politique de socialisation agraire, menée par les
dirigeants du Parti et de l'Etat confondus, à la suite du VIe Congrès du Parti
communiste vietnamien (pcv) en décembre 1986. Le Bureau politique
réaffirme la résolution de rénover (dôi moi) non seulement les objectifs et
* cnrs-cecod, iedes, Université de Paris I.
1. Discours de Pham Thê Duyêt, secrétaire du Comité central du Parti communiste du
Viêt-nam (pcv), président de la Fédération des Syndicats du Viêt-nam, au cours d'un meeting
n° à l'occasion 7, 1987, p. de 13. la Journée internationale du Travail (1er mai 1987), in Le Courrier du Viêt-nam,
Revue Tiers Monde, t. XXXII, n" 128, Octobre-Décembre 1991 792 Nguyen Trong Nam Trân
les tâches, mais aussi les politiques et les méthodes d'action à l'égard de
l'agriculture et de la paysannerie2.
De fait, les préoccupations des leaders politiques ont été centrées, jus
qu'en 1986, sur des facteurs économiques, sur une agriculture modernisée,
la place des paysans (trois quarts de la population active) étant réduite à
une subordination doctrinaire à la « classe ouvrière dirigeante », et leur rôle
restreint à des tâches parcellisées plus ou moins contraignantes dans les
structures de production collective.
D'autres facteurs, aggravant l'insuccès de cette politique agraire, sont une
certaine faiblesse structurelle de l'appareil d'Etat (n'excluant pas, néanmoins,
l'autoritarisme) et les répercussions de la crise socio-économique interne. Le
contexte international a, semble-t-il, aussi pesé lourdement (embargo écono
mique et boycott politique des Etats-Unis et du bloc occidental depuis 1975,
arrêt de l'aide chinoise en 1977)3.
A la suite d'interrogations de chercheurs sur la validité des dogmes
marxistes-léninistes suivis, au départ, sans discernement critique, les pouvoirs
publics ont reconnu dans leurs discours récents qu'il y avait effectivement un
(( problème paysan »\ s'exprimant sinon ouvertement, tout au moins dans
des tensions revendicatives. Le Viêt-nam, comme d'autres démocraties
populaires, n'avait pu refuser l'homogénéisation politique et économique
voulue par l'Union soviétique. Ce modèle correspondait, historiquement,
aux convictions idéologiques et politiques du pouvoir en place, pour gagner
et conserver l'indépendance politique tout en obtenant un progrès écono
mique et social rapide et en atténuant les différenciations génératrices
d'exploitation et de paupérisation de la masse.
Dans la pratique cette idéologie, a priori généreuse, semble s'être traduite
par des effets pervers graves. Tant que la politique agraire a voulu organiser
l'agriculture à grande échelle, par la voie collectivisatrice, sans les paysans
(en négligeant leur libre adhésion et leurs aspirations), elle a rencontré des
échecs répétés. C'est à cette sous-estimation du facteur humain, de l'acteur
paysan créateur potentiel, au profit d'objectifs ou d'intérêts économico-
politiques, que sont consacrés les développements qui suivent.
2. Nguyên Van Linh, discours au Ier Congrès national de l'Union des Paysans du Viêt-nam,
Hànôi, 18 mars 1988.
3. « Notre pays doit, en permanence, faire face aux actes d'agression et de blocus écono
mique de forces hostiles », in VIe Congrès du pcv, Documents, Hànôi, Ed. en Langues étran
gères, 1987, p. 8.
4. « Le problème de la paysannerie et de la production agricole est sujet de discussions,
surtout dans les mass media. Tous sont unanimes à reconnaître qu'il existe un problème paysan. »
Cf. Trân Le, Le Congrès des paysans du Viêt-nam : le contexte et les problèmes, in Le Courrier
du Viêt-nam, n° 7, 1988, p. 7. Les politiques agraires vietnamiennes 793
I — VOLONTÉ PRODUCTIVITE ET FAIBLESSES STRUCTURELLES
Pour saisir les raisons des difficultés rencontrées par l'équipe dirigeante
sur le « front agraire » (mat trân nông nghiêp), il semble nécessaire d'analyser
les défis et les enjeux auxquels les pouvoirs publics ont été confrontés après la
réunification administrative et territoriale de 1975.
Le défi immédiat était d'assurer les besoins en vivres de toute la nation,
laquelle ne disposait en 1976, par tête d'habitant, que de 274 kg de céréales
(en équivalent paddy) ce qui, converti en calories effectivement disponibles
(1 800 environ), représentait une ration insuffisante par rapport aux normes
de la fao, par exemple. Satisfaire la demande des non-producteurs (fonc
tionnaires, soldats, ouvriers et employés des entreprises d'Etat et autres
soutiens urbains du pouvoir) par un ravitaillement régulier constituait en
fait le premier problème à résoudre.
a) Produire plus tout en luttant contre les différenciations
Pour parvenir à Pautosuffisance et à l'abondance alimentaires, les dir
igeants ont choisi la voie socialiste de modernisation agraire :
« Pour surpasser la production agricole individuelle, il n'est pas d'autre voie
que l'acheminement vers la grande production socialiste, la pleine garantie aux
masses d'être le maître collectif, la promotion de la révolution technique. »5
Sur quels critères Le Duân, alors secrétaire général du Parti communiste
vietnamien (pcv), a-t-il pu asseoir ces certitudes? Il faut préciser que son
discours avait pour contexte une conférence nationale sur les problèmes du
développement agricole, tenue en août 1974, pour tirer les enseignements de
l'expérience accumulée et définir la politique agricole à venir. Or, les leçons
ont été celles d'une décennie d'édification du socialisme de combat dans
le Nord du pays, où différentes formes de coopération ont été concrétisées :
« Nous avons pour l'essentiel achevé l'intégration des paysans dans les coopér
atives, et, en plusieurs étapes, affermi les nouveaux rapports de production.
Les coopératives ont enregistré des résultats positifs dans la production, dans le
combat contre l'agresseur et le maintien du niveau de vie de la population... »e
En conséquence, tout en poursuivant le mouvement de progression de
l'agriculture vers la grande production socialiste (agps) dans les régions
5. Le Duân, Vers une agriculture de grande production socialiste, Hànôi, Ed. en Langues
étrangères, 1975, p. 33.
6. Le Duân, op. cit., p. 21. 794 Nguyen Trong Nam Trân
septentrionales, les dirigeants ont entrepris la socialisation de la production
dans le Sud, à la suite du IVe Congrès du Parti communiste (pcv)7.
(( Le socialisme débute par la collectivisation de la paysannerie conformément
à la thèse générale de Lénine sur la coop