Les Verts anneaux acides - article ; n°3 ; vol.13, pg 176-186
12 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les Verts anneaux acides - article ; n°3 ; vol.13, pg 176-186

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
12 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

L'Homme - Année 1973 - Volume 13 - Numéro 3 - Pages 176-186
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Yvonne Verdier
Tina Jolas
Françoise Zonabend
Les Verts anneaux acides
In: L'Homme, 1973, tome 13 n°3. pp. 176-186.
Citer ce document / Cite this document :
Verdier Yvonne, Jolas Tina, Zonabend Françoise. Les Verts anneaux acides. In: L'Homme, 1973, tome 13 n°3. pp. 176-186.
doi : 10.3406/hom.1973.367372
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1973_num_13_3_367372All
LES VERTS ANNEAUX ACIDES*
par
TINA JOLAS, YVONNE VERDIER,
FRANÇOISE ZONABEND
A Minot, on ramasse, en saison, les champignons, les escargots, les salades
des champs, les simples, les baies, les fruits acres des morts-bois... On aménage
des lieux de cueillette au sein du cultivé : orties pour la soupe, bouillon-blanc,
herbes à lapin, qu'on laisse délibérément proliférer dans un coin du jardin ;
murgers réservés au milieu des pâtures, où croissent une épine, un poirier sauvage.
Mais plus que son importance effective, c'est l'importance affective de la
cueillette, la passion qu'elle soulève, qui surprend ; passion particulièrement
marquée, nommée, pour un produit spécifique, le mousseron de printemps (Tri-
choloma georgii) : « Les gens sont jaloux des mousserons. » Le ramassage devient
alors chasse, course, « aux mousserons tout le monde y court ». Or, à l'égard de ce
produit sauvage, donc en principe non appropriable, on emploie le langage de
l'appropriation : « Les mousserons c'est privé, c'est bien gardé », contradiction qui
laisse entrevoir un conflit. De fait, la course aux mousserons apparaît comme un
jeu à travers lequel s'exprime — et, selon les cas, se résout ou s'exacerbe — une
opposition entre deux ordres, deux groupes sociaux. C'est par le biais de cette
course que nous chercherons à saisir les termes de cette opposition et, plus géné
ralement, le sens de toute cueillette aujourd'hui.
Les champignons, c'est localement, et presque génériquement, le mousseron
dit « mousseron de la Saint-Georges » ou du 23 avril, dénomination temporelle
intéressante en ce qu'elle associe la course au mousseron à tous les gestes d'ouver
ture qui marquent cette période : sortie des bêtes sur le finage, renouvellement des
baux, remue-ménage de la nuit des mais.
« Les mousserons viennent en rond. »x La « place à mousseron », la mousseron-
* «... Ye demi-puppets that, by moonshine, do the green sour ringlets make... » (Shake
speare, The Tempest, acte V, scène 1).
1. Ailleurs, ces ronds sont appelés « cercles de fées » ou « ronds de sorcières ». VERTS ANNEAUX ACIDES 177
nière, se trouve « sur le pas des vaches », dans les friches et les pâtures ; c'est « une
trace verte, et ça fait cercle », une herbe plus drue, d'un vert profond tirant sur
le bleu, dont « les vaches sont friandes » et que l'on met en rapport avec leur
urine. Il faut « repérer le cercle sinon on perd son temps et on risque d'en oublier
la moitié, voir dans quel sens il tourne et le suivre » ; perception fugitive, parfois
la mousseronnière ne se révèle au chercheur que pour disparaître aussitôt, plu
sieurs cercles interfèrent, se confondent, qui sont autant de « signes de rnousse-
ronnières », une inscription au sol qu'il s'agit de déchiffrer, « quand les yeux
viennent d'en trouver, ils trouvent plus facilement qu'au bout d'un moment
qu'on n'en trouve plus ».
Régulière au sol où elle dessine des figures géométriques, la mousseronnière
« retombe » chaque année au même endroit, à la même saison. En vertu de cette
double régularité, on tend à l'assimiler à un produit cultivé : « La terre blanche,
le blanc qui entoure les tout premiers venus, c'est peut-être bien un genre de
levain... c'est leurs graines », et certains s'efforcent de la domestiquer, de la trans
planter dans le jardin, mais les tentatives demeurent infructueuses et on se rit
de celui qui est joué par la nature : « Le René Mairet, il en a sorti une, il l'a mise
dans son jardin, eh bien, ça n'a rien donné ! »
II y a donc le mousseron, paradigme du bon champignon, « les mousserons de
la Saint-Georges, c'est les meilleurs, on ne peut pas être empoisonné avec ceux-
là », dont la vertu s'étend à la saison — « les champignons qui poussent en avril,
on peut les manger tous, ils ne sont pas empoisonnants » — , aux lieux — « avec
les champignons de friche, il n'y a pas de risques ». Toutes les autres espèces sont
jugées selon leur plus ou moins grande conformité aux mœurs du mousseron.
La faveur que l'on accorde aux espèces automnales passe par le cercle privi
légié de la mousseronnière qui d'une saison à l'autre prépare comme un terrain
favorable. Les plus conformes sont les « bleus » (Rhodopaxillus nudus) dits pieds-
bleus ou pieds-violets qui poussent dans les friches sur les mêmes cercles que les
mousserons : « Ça fait des ronds bleus, des coins bleus, on dit, c'est des violets. »
On cueille aussi les rosés (Psalliota campestris) et les boules de neige (Psalliota
arvensis), qui viennent également « en mousseronnière », dans les prés, et que l'on
situe d'emblée du côté du cultivé : « C'est les mêmes que les champignons de
couche, mais ça a encore bien ses coins. »
La méfiance commence dès que l'on s'écarte un peu du cercle rassurant : « Les
trompettes (Clitocybe geotropa), c'est encore bien ramassé, mais beaucoup de gens
n'y croient pas. » Leurs traces annelées sont moins rigoureuses - — ils poussent
parfois en ligne — , leur dénomination est plus floue. On désigne ces grands cham
pignons sous des noms divers : cul de trompette, clou de roue, roue de voiture,
pied de chandelier, et, cueillis petits, on tend même à y voir une autre espèce, les
boutons de guêtre, parfois refusés par ceux-là qui acceptent les trompettes :
« Les boutons de guêtre, je ne vous conseille pas d'en manger. La femme d'à côté, TINA JOLAS, YVONNE VERDIER, FRANÇOISE ZONABEND 178
elle, elle les mange, elle n'a jamais eu de pépins. Mais chez nous, on ne les a jamais
mangés. »
Ce refus indigné — et l'attribution au voisin d'un goût singulier voire reprehens
ible — devient plus vif dès que l'on passe des friches aux chemins, aux sapinières,
à la forêt, tous lieux où les champignons poussent au hasard : « On les voit une
année et on ne les revoit plus ensuite. » Leur origine fait mystère, il ne s'agit plus
de graine, « c'est la fermentation ».
Pour certains champignons des bords de chemin, tête de mort (Bovista gigan-
tea) et prêvet (Russula delica), la méfiance s'accompagne parfois d'une violente
répulsion qui provient, pour le second, de ce que l'on peut s'y tromper : « Y en a
qui ressemblent bien aux prêvets et quand on va les toucher, il y a du lait dessous,
je n'y touche pas ; j'ai vu des gens qui en cueillent qui ne sont pas morts ; mais moi,
j'irai pas en manger. »
Entre friche et forêt, dans les sapinières, « ça touche à la forêt, mais ce n'est
pas ça », on reconnaît une catégorie de champignons, les « gris », qu'on détaille
en vert de gris (Lactarius deliciosus) , « ils ne poussent pas en rond ; il y en a beau
coup qui les ramassent », petit gris ou gris de sapin (Clitocybe nebularis), « y en
a à l'automne qui les ramassent, mais jamais nous on n'y va et on n'en mang
era pas ».
Plus négative encore est l'attitude envers les champignons de forêt : général
ement on les ignore, « les girolles, on n'en parle pas tellement ». Quant aux morilles
et aux truffes, « je voudrais bien en trouver, mais je ne sais pas où ça pousse ».
Seuls quelques experts détiennent le secret de leurs places, secret bien gardé. Les
autres s'en remettent au hasard qui parfois ménage des surprises : « Une année,
j'ai trouvé des morilles sans les chercher, en allant aux escargots, là il y en avait
une jolie dans le fossé. » Le cèpe, à l'extrême, est totalement inconnu, on prétend
même qu'il n'y en a pas. En ayant entendu parler, une fermière se mit un jour
en route pour en trouver : « Les cèpes, je voulais en manger et puis je voulais voir
ce que c'était, je n

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents