Lyrisme et dépersonnalisation : l exemple de Baudelaire - article ; n°6 ; vol.3, pg 29-37
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Description

Romantisme - Année 1973 - Volume 3 - Numéro 6 - Pages 29-37
9 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1973
Nombre de lectures 35
Langue Français

Extrait

M Victor Brombert
Lyrisme et dépersonnalisation : l'exemple de Baudelaire
In: Romantisme, 1973, n°6. pp. 29-37.
Citer ce document / Cite this document :
Brombert Victor. Lyrisme et dépersonnalisation : l'exemple de Baudelaire. In: Romantisme, 1973, n°6. pp. 29-37.
doi : 10.3406/roman.1973.4950
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1973_num_3_6_4950BROMBERT VICTOR
Lyrisme et dépersonnalisation :
l'exemple de Baudelaire
(Spleen, LXXV)
l'artiste fois ... l'objet une et magie l'artiste et le sujet, suggestive lui-même. le monde contenant extérieur à la à
Baudelaire.
Poetry... is not the expression of per
sonality, but an escape from personality.
T.S. Eliot.
Baudelaire ne veut pas croire au hasard : «... toute composition littéraire,
même critique, doit être faite et manoeuvrée en vue d'un dénouement. Tout un Sonnet ; jugez du labeur !... » Labeur d'autant plus ardu qu'il s'agit
également de nier la prépotence de la subjectivité, et que le « libre exercice
de la volonté », apanage des vrais poètes, doit non seulement soumettre fin
et moyens à une même économie, mais abolir les barrières factices qui sépa
reraient le sujet de l'objet \
Nul poème de Baudelaire n'illustre mieux que Spleen (LXXV) — justement
un sonnet ! — cette manœuvre spéculaire et cet effacement des frontières
permettant au sujet de disparaître dans l'objet: poème de la liquidité et de
la liquidation; poème du temps de la mort (mais d'une mort particulière,
impliquant le point de vue du posthume) ; poème aussi de l'absence, et
spécifiquement de l'absence de «sujet».
Pluviôse, irrité contre la ville entière,
De son urne à grands flots verse un froid ténébreux
Aux pâles habitants du voisin cimetière
Et la mortalité sur les faubourgs brumeux.
Mon chat sur le carreau cherchant une litière
Agite sans repos son corps maigre et galeux ;
L'âme d'un vieux poète erre dans la gouttière
Avec la triste voix d'un fantôme frileux.
Le bourdon se lamente, et la bûche enfumée
Accompagne en fausset la pendule enrhumée,
Cependant qu'en un jeu plein de sales parfums,
1. Correspondance générale, L. Conard, 1947, II, 256 ; Œuvres complètes, Pléiade, 1963,
343, 1099. Victor Brombert 30
Héritage fatal d'une vieille hydropique,
Le beau valet de cœur et la dame de pique
Causent sinistrement de leurs amours défunts.
Pluviôse: ce terme privilégié par sa situation initiale, son isolement dû
au déplacement de la césure, ainsi que l'absence de ponctuation dans le
reste de la strophe, porte une lourde charge. Il contient en fait toutes les
connotations opératoires du poème. Le sonnet s'ouvre sous le signe de l'humi
dité envahissante que confirme l'adjectif totalisateur « entière » à la fin du
premier vers. Deux temps se proposent d'emblée : le temps qu'il fait, le
temps qu'il est — le de la pluie, le temps de l'année désigné par le
mois du calendrier républicain. Plus précisément, il s'agit du cœur de l'hiver ;
Pluviôse, se situant entre Nivôse et Ventôse, indique le centre de la saison
« morte ». Le calendrier instauré en 1793 par la Convention rappelle au
demeurant le règne de la destruction et de la mort, que concrétise l'attribut
funèbre de Pluviôse : l'urne. Mais le règne de la terreur et de la violence
(donc d'une certaine activité) n'est maintenant qu'un pâle souvenir. Dans ce
poème du temps et de la temporalité il s'agit en réalité d'un autre temps, celui
de l'anachronisme. Le calendrier républicain, supprimé par Bonaparte en
1806, signale un temps révolu et cependant relativement récent : Baudelaire
est né à peine quinze ans plus tard. L'anachronisme joue d'ailleurs aussi sur
le plan historique et politique, l'esprit révolutionnaire, à l'époque où Baudel
aire écrit, se tournant de plus en plus vers le passé. Monde irrécupérable,
mais aussi monde suranné qui s'impose dès l'image néo-classique du mois
accompagné de son urne décorative et vaguement mythologique2. Pluviôse
se propose surtout, et d'entrée de jeu, comme une divinité malveillante pro
diguant non la vie, mais la mort.
De ce premier mot du poème partent tous les fils du réseau thématique :
(1) La liquéfaction : l'« urne » aux valeurs multiples, les grands « flots », le
verbe « verse » (intégré à une inversion syntaxique), l'adjectif « ténébreux »,
la « gouttière » de la deuxième strophe, la pendule « enrhumée » et les sales
« parfums » du premier tercet, la vieille « hydropique ». Cette dernière image,
impliquant l'accumulation morbide de sérosités, constitue d'ailleurs un lien
sensible avec l'ensemble sémantique apparenté de (2) la maladie: annoncé
dès la première strophe par le verbe adjectival « irrité » et l'adjectif substantive
« froid », rendu plus aigu par l'emploi ambigu de « pâles » qui
prépare la « mortalité » du vers suivant, ce motif émerge pleinement dans la
deuxième strophe («litière», «agite», «sans repos», «maigre», «galeux»,
« frileux »), se prolonge dans le sizain avec « lamente » et « enrhumée », et
aboutit à cet « héritage fatal » de la vieille hydropique, suggérant une tare,
une maladie congénitale et inguérissable — mais constituant aussi, grâce à
l'adjectif « fatal », un lien avec le thème central (3) la mort : la structure du
sonnet, sa fermeture sur lui-même qui fait que le dernier mot (« défunts »)
répond à plus d'un titre au premier terme (« Pluviôse »), renforce la théma-
2. Sur les éléments néo-classiques et désuets de ce premier quatrain, voir les remarques
excellentes de J.-D. Hubert dans L'Esthétique des « Fleurs du Mal », Pierre Cailler,
Genève, 1953, 107. et dépersonnalisation : ï exemple de Baudelaire 31 Lyrisme
tique funèbre. Après l'urne qui déverse les ténèbres et la pâleur des habitants
(mot bien ironique dans ce contexte lugubre et dépeuplé), ce sont des
signaux encore plus spécifiques : « cimetière », « mortalité », l'âme qui « erre »,
le « fantôme » doublement irréel (puisqu'il n'existe ici, au vers 8, qu'en tant
que terme de comparaison) — pour ne pas parler d'éléments moins explicites,
tels ce « carreau » du vers 5 ou de la dame de pique à résonance symbolique.
Cependant l'héritage «fatal» suppose une perspective particulière sur la
mort — nullement celle d'un néant absolu — puisque le mot héritage renvoie
à la notion d'un survivant, c'est-à-dire à une notion plus tragique peut-être
encore que la mort, (4) le posthume: la douleur évoquée semble en effet
être celle d'un deuil permanent, c'est-à-dire de ce qui a lieu après la mort.
Vie installée dans la mort, mort contaminant la vie — les termes mêmes
(l'« urne » qui contient et célèbre la mort, le « cimetière » qui semble enserrer
la seule vie possible) proclament l'omniprésence de la mort, en même temps
que son culte. Contagion de deux réalités qui justifie, dans le contexte, l'évo
cation du « fantôme » (précisément un revenant), d'autant plus qu'il signale
une absence-présence venant hanter un monde qui ne serait ni vivant ni
absolument mort.
Voilà qui justifie également la juxtaposition et l'interférence des (5) diffé
rents temps du poème : le temps-climat, le temps-saison, le temps de l'horloge
(la « pendule enrhumée »), le temps de l'Histoire, celui des enterrements et
des enterrés, le temps du deuil, le temps de l'éternel discours du dernier
vers (« causent sinistrement ») qui maintient ouverte la structure poétique en
dépit de la fermeture du sonnet sur lui-même. Mais surtout temps de l'absence :
il est remarquable qu'à l'animation factice du début répond une fausse inani
mation. Les deux quatrains suggèrent des morts qui semblent vivre

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