Michelet, la femme de chambre et la sorcière : à propos de Sylvine - article ; n°58 ; vol.17, pg 47-57
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Michelet, la femme de chambre et la sorcière : à propos de Sylvine - article ; n°58 ; vol.17, pg 47-57

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Description

Romantisme - Année 1987 - Volume 17 - Numéro 58 - Pages 47-57
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1987
Nombre de lectures 31
Langue Français

Extrait

Martine Gantrel
Michelet, la femme de chambre et la sorcière : à propos de
Sylvine
In: Romantisme, 1987, n°58. pp. 47-57.
Citer ce document / Cite this document :
Gantrel Martine. Michelet, la femme de chambre et la sorcière : à propos de Sylvine. In: Romantisme, 1987, n°58. pp. 47-57.
doi : 10.3406/roman.1987.4901
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1987_num_17_58_4901Martine GANTREL
Michelet, la femme de chambre et la sorcière
à propos de « Sylvine »
En 1861, Michelet, toujours attelé au grand projet de sa vie, à ce qu'il
considère être son devoir premier, achève le tome XIV de son Histoire de
France consacré à la fin du xvn€ siècle. Or ce travail est loin de suffire à
épuiser les ressources de son auteur. Au contraire, il y a en lui, comme il
le dit dans son Journal, un « trop-plein > qui le tourmente et qui a besoin
pour s'épancher d'un terrain moins contraignant, moins résolument histo
rique peut-être que ne l'est le passé national. En particulier, il supporte
mal de devoir se consacrer à ces années austères où la politique d'un
Louis XIV vieillissant reflète l'intransigeance et la foi dévote de Mme de
Maintenon. Elles sont en effet à l'opposé de cet élan pour les forces de la
vie et de la nature que sa passion pour sa jeune épouse, Athénaïs Mialaret,
a fait naître en lui. Il se sent divisé, frustré, en désaccord avec lui-même :
« Si je peux expédier la fin de Louis XIV, Fénelon, Bourgogne, etc., j'arri
verai au triomphe de la nature rajeunie au xviir siècle, je reviendrai à la
lumière, à l'amour. Alors mon amour me sera une excitation et non un
empêchement » г.
Depuis quelques années déjà, c'est dans ce qu'il nomme « l'histoire
naturelle > que Michelet trouve des sujets d'inspiration dans lesquels épan
cher ce « trop-plein » : L'Oiseau (1856), L'Insecte (1857), L'Amour (1858),
La Femme (1859), La Mer (janvier 1861). Dans ces livres où Michelet
décrit la nature toutes les fois qu'elle l'a inspiré, le savoir abstrait se conjugue
à l'expérience vécue et le travail de description reflète les divers mouve
ments de la sensibilité. Ainsi, selon Michelet, ces sujets permettent de réin
tégrer à son œuvre d'écrivain cette partie de lui-même que l'Histoire, lui
semble-t-il, méconnaît ou aliène : l'homme désirant, l'amour indéfiniment
séduit par les mystères de l'amour et de la vie, qui sont aussi ceux de la
femme et de la nature. Avec Athénaïs, l'historien découvre un nouveau
champ épistémologique et un nouveau type de vérité : non plus la grande
épopée des siècles disparus, la marche de l'Histoire, mais la vérité « sédent
aire > et répétitive, domestique en quelque sorte, contenue dans le quotidien,
dans les phénomènes biologiques et les rythmes naturels. L'histoire natur
elle se trouve donc à mi-chemin entre l'homme-Michelet et Michelet-histo-
rien : с Ton devoir est l'Histoire. Epanche le trop-plein dans l'histoire natur
elle > 2. Ou bien, autre organisation du triangle, c'est Michelet amoureux
et écrivant une с Histoire de l'Amour > et des « Mémoires » sur sa vie intime Martine Gantrel 48
avec Athénaïs qui se trouve au milieu, entre l'histoire naturelle et l'Histoire :
« Le milieu des deux [de l'Histoire et de l'histoire naturelle], c'est
l'amour, et l'histoire de l'amour et l'histoire de la mort ou de l'amour
au-delà de la vie. Le cadre de de l'amour est assez élastique
pour que tout y soit contenu. Il permet, il exige que tu y verses et ta
spiritualité, et ta sensualité » 3.
Réconciliation, dans et par l'histoire naturelle, de la chair et de l'esprit, de
la « spiritualité » et de la sensualité ». Inspiré par l'amour, le désir se tran
smue en savoir ; l'acte sexuel se prolonge par la découverte intellectuelle :
« C'est en sortant d'elle, écrit Michelet dans son Journal, que j'ai eu mes
plus grandes idées peut-être : L'Amour au 16 mars 1856, La Mer au 15 sep
tembre 1857 » 4. La femme est ici l'inspiratrice et pour cause, puisqu'elle
est elle-même « Nature », une créature cyclique et un reposoir de fécondité,
et que, inversement, « Nature est une femme » 5. C'est pourquoi l'histoire
naturelle a cet avantage sur l'autre, l'Histoire — celle des événements et
des hommes, dans laquelle les femmes n'interviennent pas, ou mal, ou à
mauvais escient — qu'elle se laisse pénétrer comme une femme, en même
temps que la femme : < La femme est une nuit d'où, quand on sait fouiller,
peut sans cesse jaillir la lumière » e.
Pourtant, en ce début 1816, ce n'est pas dans l'histoire naturelle que
Michelet cherche un sujet d'inspiration qui le divertisse de l'Histoire. C'est
dans un roman qu'il intitule « Sylvine ou les Mémoires d'une femme de
chambre ». L'idée de ce roman lui est venue à la lecture des Mémoires de
Mme de Staal qu'il consulte alors en vue de son prochain tome de YHistoire
de France consacré à la Régence7. Dans ses Mémoires, l'auteur — une
demoiselle sans richesses et sans titre qui épouse sur le tard le vieux duc
de Staal afin de s'établir — raconte entre autres les années qu'elle a passées
au service de la duchesse du Maine, l'épouse du duc du Maine, fils légitimé
de Louis XIV et de Mme de Mohtespan. D'abord femme de chambre, puis
dame de compagnie, elle y décrit les peines et les contraintes de sa condition.
Elle y raconte aussi la façon dont elle fut impliquée dans la conspiration de
Cellamare, faisant ainsi de ses Mémoires un témoignage de premier ordre
sur une affaire qui a secoué là Régence et a définitivement compromis les
chances du duc du Maine d'exercer un certain pouvoir8. C'est d'ailleurs
pour sa valeur documentaire que Michelet consulte cet ouvrage avant d'y
trouver l'idée d'un roman.
Ce qui attire particulièrement Michelet dans ces Mémoires et qu'il
reprendra en partie dans Sylvine, c'est l'idée d'une narration à la première
personne, faite par une femme, cette femme étant, de par sa condition infé
rieure, amenée à vivre sous la dépendance d'une grande dame dont elle
partage l'intimité. Regard oblique sur l'Histoire donc, et surtout convergence
de trois perspectives que l'histoire traditionnelle ne saurait généralement tolé
rer : la subjectivité (des « mémoires » comme ceux qu'écrit Michelet pour
rendre compte de sa vie privée avec Athénaïs), la Femme (Mme de Staal,
ses maîtresses successives, les autres femmes de chambre), et le < Peuple »
(une jeune fille sans titre, une « demi-demoiselle »). La narration à la pre
mière personne, en inscrivant la totalité de l'individu, corps et âme, dans le
texte, est un mode d'écriture qui permet de réconcilier « sensualité » et с spi
ritualité », perspective historique et subjectivité. Avec la Femme ou les
femmes, c'est aussi d'une certaine manière la Nature et l'Histoire, de Michelet 49 Sylvine,
le quotidien et l'événement. Une femme de chambre est à ce titre double
ment précieuse : par sa nature, d'une part, parce qu'elle est à la fois Femme
et Peuple — ces « Autres » par excellence de l'Histoire ; par sa fonction,
d'autre part, parce qu'elle est placée au cœur du quotidien et de la vie privée.
Domestique, occupée à des tâches qui chaque jour se répètent, en butte aux
tracasseries de sa maîtresse mais aussi son alliée pour tout ce qui relève de
la maison et de la toilette, la femme de chambre est par excellence celle
grâce à qui l'Histoire change de sexe, s'il est vrai, comme l'écrit Michelet,
que « L'Histoire, que nous mettons très sottement au féminin, est un rude
et sauvage mâle, un voyageur hâlé, poudreux » 9.
C'est dans un passage bien précis, situé au début des Mémoires, que
Michelet trouve le point de départ de son roman. Mme de Staal, alors très
jeune et sur le point de quitter le couvent où elle a grandi, hésite à accepter
la proposition que lui fait une dame de la noblesse de l

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