Nature des choses et qualité des personnes. Le Consulat de commerce de Turin au XVIIIe siècle - article ; n°6 ; vol.57, pg 1491-1520
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Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 2002 - Volume 57 - Numéro 6 - Pages 1491-1520
The nature of things and the quality of persons: the Consulate of Commerce in Turin during the 18th Century.
Legal pluralism, a topic often evoked by the historians of the Old Regime societies, has scarcely received any attention from scholars. The purpose of this article is to understand how, in a specific place and historical moment (18th-Century Turin), at least two systems of right vindication and justice administration were able to coexist. The summary procedure (used in the Consulate of Commerce) inspired by the ideals of natural right and the nature of things gave legitimacy to social practices as sources of law: ordinary procedure on the other hand was subject to criteria linked to hierarchical statutes. Actually, this satisfied various social demands, a supralocal or local conception of law. Between 1720 and 1730, summary justice was replaced by ordinary procedure. The analysis of the workings of the Consulate and of its trials shows that it did not suffer from the inevitable process of progressive prof essionalization of law, but rather from two competing ways of conceiving and claiming what is 'just. In fact, the history of the rapports between the two procedures is that of the connection between action and statute as well as of the dialectic between the local and supralocal dimensions of law. These are the prevailing themes of the legal culture of the Old Regime.
Le pluralisme juridique est un objet souvent évoqué par les historiens des sociétés d'Ancien Régime, mais hélas rarement étudié. Cet article cherche à comprendre comment, dans une même situation et à un même moment historique (Turin au XVIIIe siècle) ont pu coexister au moins deux systèmes de revendication des droits et d'administration de la justice. La procédure sommaire (en vigueur dans le Consulat de commerce), s 'inspirant des idéaux du droit naturel et de la « nature des choses », légitimait les pratiques sociales comme sources du droit; la procédure ordinaire était en revanche sensible à des critères liés à la hiérarchie des statuts. En fait, elle satisfaisait à des demandes sociales différentes, à une conception supra-locale, ou bien locale, du droit. Entre 1720 et 1730, la justice sommaire fut supplantée par la procédure ordinaire. L'analyse du fonctionnement du Consulat et des procès qui s'y tinrent montre qu'elle ne fut pas la victime d'un processus inéluctable de professionna- lisation progressive du droit, mais plutôt d'une compétition entre deux façons de concevoir et de revendiquer le «juste ». En fait, l'histoire des rapports entre les deux procédures est celle de l'articulation entre l'action et le statut, ainsi que de la dialectique entre les dimensions locales et supra-locales du droit. Autant de thèmes qui dominent la culture juridique d'Ancien Régime.
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 26
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Simona Cerruti
Nature des choses et qualité des personnes. Le Consulat de
commerce de Turin au XVIIIe siècle
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N. 6, 2002. pp. 1491-1520.
Citer ce document / Cite this document :
Cerruti Simona. Nature des choses et qualité des personnes. Le Consulat de commerce de Turin au XVIIIe siècle. In: Annales.
Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N. 6, 2002. pp. 1491-1520.
doi : 10.3406/ahess.2002.280122
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2002_num_57_6_280122Abstract
The nature of things and the quality of persons: the Consulate of Commerce in Turin during the 18th
Century.
Legal pluralism, a topic often evoked by the historians of the Old Regime societies, has scarcely
received any attention from scholars. The purpose of this article is to understand how, in a specific
place and historical moment (18th-Century Turin), at least two systems of right vindication and justice
administration were able to coexist. The summary procedure (used in the Consulate of Commerce)
inspired by the ideals of natural right and the "nature of things" gave legitimacy to social practices as
sources of law: ordinary procedure on the other hand was subject to criteria linked to hierarchical
statutes. Actually, this satisfied various social demands, a supralocal or local conception of law.
Between 1720 and 1730, summary justice was replaced by ordinary procedure. The analysis of the
workings of the Consulate and of its trials shows that it did not suffer from the inevitable process of
progressive prof essionalization of law, but rather from two competing ways of conceiving and claiming
what is 'just". In fact, the history of the rapports between the two procedures is that of the connection
between action and statute as well as of the dialectic between the local and supralocal dimensions of
law. These are the prevailing themes of the legal culture of the Old Regime.
Résumé
Le pluralisme juridique est un objet souvent évoqué par les historiens des sociétés d'Ancien Régime,
mais hélas rarement étudié. Cet article cherche à comprendre comment, dans une même situation et à
un même moment historique (Turin au XVIIIe siècle) ont pu coexister au moins deux systèmes de
revendication des droits et d'administration de la justice. La procédure sommaire (en vigueur dans le
Consulat de commerce), s 'inspirant des idéaux du droit naturel et de la « nature des choses »,
légitimait les pratiques sociales comme sources du droit; la procédure ordinaire était en revanche
sensible à des critères liés à la hiérarchie des statuts. En fait, elle satisfaisait à des demandes sociales
différentes, à une conception supra-locale, ou bien locale, du droit. Entre 1720 et 1730, la justice
sommaire fut supplantée par la procédure ordinaire. L'analyse du fonctionnement du Consulat et des
procès qui s'y tinrent montre qu'elle ne fut pas la victime d'un processus inéluctable de professionna-
lisation progressive du droit, mais plutôt d'une compétition entre deux façons de concevoir et de
revendiquer le «juste ». En fait, l'histoire des rapports entre les deux procédures est celle de
l'articulation entre l'action et le statut, ainsi que de la dialectique entre les dimensions locales et supra-
locales du droit. Autant de thèmes qui dominent la culture juridique d'Ancien Régime.Nature des choses
et qualité des personnes
Le Consulat de commerce de Turin au xvine siècle
Simona Cerutti
La procédure est un objet peu captivant en apparence, négligé non seulement par
les historiens mais aussi par les historiens du droit, « comme s'il ne s'agissait pas
d'un véritable droit et donc indigne d'attention pour les juristes anciens - de même
qu'aujourd'hui pour les historiens1 ». C'est pourtant sur ce terrain que s'établissait
le lien entre les individus et les institutions quant à la question controversée de la
légalité. Le problème de la procédure était d'une grande importance pour les
contemporains, professionnels du droit aussi bien que public des tribunaux. Objet
de nombreuses discussions, c'est seulement dans ce cadre que l'on parlait de la
preuve, thème qui, en revanche, a davantage occupé les historiens, soucieux de
trouver des indicateurs de l'archaïsme ou de la modernité des systèmes judiciaires2.
La raison en est que, sous l'Ancien Régime, penser la justice voulait surtout dire
penser aux sujets à qui elle s'adressait; or, la procédure rendait manifestes les
critères pris en compte pour administrer cette justice. En ce sens, l'étudier permet
une approche non anachronique (c'est-à-dire non préconçue) des idéaux et des
pratiques de justice des sociétés d'Ancien Régime.
Mais quels sont-ils dans le cas étudié ? La procédure sommaire, peu formelle
et peu coûteuse, qui s'inspirait des idéaux du droit naturel et de la « nature des
1 - Mario Ascheri, « II processo civile tra diritto comune e diritto locale: da questioni
preliminari al caso délia giustizia estense », Quaderni Storici, 101-2, 1999, pp. 355-389,
ici p. 364.
2 - Voir Simona Cerutti et Renata Ago, introduction au numéro monographique « Pro
cedure di giustizia», Quaderni Storici, 101-2, 1999, pp. 307-313, ici p. 307 sq. I ft" I
Annales HSS, novembre-décembre 2002, n°6, pp. 1491-1520. SIMONA CERUTTI
choses», légitimait les pratiques sociales comme sources du droit; la procédure
ordinaire, celle qui prenait en compte la « qualité des personnes », selon l'expres
sion des contemporains, était en revanche sensible à des critères liés à la hiérarchie
des statuts. Les deux procédures - chacune dotée de systèmes probatoires cohé
rents avec leurs propres idéaux de justice - ont pu coexister longtemps, satisfaisant
des demandes sociales différentes. Cependant, elles finirent par entrer en conflit,
et la justice sommaire fut supplantée par la procédure ordinaire, cette justice pro
fessionnelle contrôlée par les hommes de loi et qui nous est aujourd'hui plus
familière. La transformation fut perçue comme radicale par les contemporains qui,
pour beaucoup, s'en désolèrent.
Un tel basculement peut de toute évidence être inscrit au sein d'un processus
de spécialisation et de professionnalisation du droit, évolution au cours de laquelle
les justices « mineures » furent absorbées et dénaturées3. Mais, en y regardant de
plus près, ce conflit entre les différents systèmes juridiques dépasse les rapports
de pouvoir instaurés par les professionnels du droit. Dans le cas étudié — le fonctio
nnement du Consulat de commerce turinois au XVIIIe siècle -, la défaite de la procé
dure sommaire en est venue à nier les principes mêmes de la nature des choses,
et donc la légitimité même de l'expérience commune et des pratiques sociales
dans leur statut de sources du droit. Elle a en revanche conduit à affirmer la
hiérarchie des statuts en tant que principe d'attribution et de revendication de ces
mêmes droits. Avant l'intervention des légistes, cette justice « mineure » avait été
rongée de l'intérieur par la confrontation entre ces deux façons de concevoir et de
revendiquer le «juste», car la scène judiciaire elle-même avait été transformée,
où il n'était plus concevable (comme avec la procédure sommaire) que chacun soit
«juge et partie ». Il s'avère donc indispensable d'analyser dans le détail les modal
ités de ce changement ainsi que ses enjeux.
L'histoire du rapport entre les deux procédures est celle de l'articulation
entre l'action et le statut, entre la relative ouverture du tissu social et la fermeture
corporative. C'est aussi celle de la dialectique entre les dimensions locale et non
locale du droit, caractéristique de l'Ancien Régime. Le problème de la relation
entre les pratiques et le statut (dont l'opposition entre droits réels et droits person
nels est un aspect) traverse ces sociétés et provoque bien des conflits. Dans le
processus de fixation des identités sociales et professionnelles, il est crucial de
déterminer quels sont les éléments essentiels. Le statut est-il conféré par l'autorité
(le titre, l'honneur, la fonction ?) ou par les actions accomplies ? Faire du commerce
transforme-t-il l'individu en négociant ? Est noble qui vit noblement, ou bien celui-
là seul qui peut se vanter d'un titre qu'on lui a octroyé ? Le citadin est-il celui qui

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