Nom, essence et existence : les modalités de l’énonciation dans le mariage - article ; n°1 ; vol.27, pg 277-289
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Cahiers de linguistique hispanique médiévale - Année 2004 - Volume 27 - Numéro 1 - Pages 277-289
L’examen du lexique du mariage dans les différentes langues romanes montre l’existence d’une multitude de termes qui sont équivalents en principe mais que l’examen attentif révèle fort différents dans leur contenu conceptuel et sémantique. Peut-on traduire sans plus « casamiento » et « matrimonio »
par « mariage » ? « Novia » et « fiancée » sont-ils des termes équivalents ? Disent-ils la même chose? Si le nom dit l’essence, alors il faut accepter la réalité du discours nominal, or il se trouve que le discours des mots dans le contrat/sacrement est parlant, très parlant. Ces mots lourds de sens disent une réalité qui est celle de la société énonciatrice. L’ébauche d’analyse comparative qui est proposée ici essaie de mettre en évidence la spécificité d’un vécu social dénoncé par les mots.
El léxico del matrimonio en las diversas lenguas románicas muestra una multitud de términos que son en principio equivalentes pero que se revelan de muy diferente sentido si se analiza el contenido conceptual. ¿«casamiento», «matrimonio», «mariage», son términos verdaderamente equivalentes? ¿Son la «novia» y la «fiancée» mujeres en situaciones idénticas? Si el nombre dice la esencia, entonces hay que aceptar la realidad del discurso nominal, aceptar, si nos referimos al discurso del matrimonio/sacramento, que los términos son elocuentes y que dicen una realidad, la realidad específica de la sociedad enunciante. El ensayo de análisis comparativo que proponen estas líneas trata de poner de relieve la realidad de una situación social espécifica, denunciada por las palabras de ambas lenguas.
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Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 2004
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Langue Français

Extrait

Nom, essence et existence : les modalités de l’énonciation dans le mariage
Estrella R -G  P 
Université de Caen, SEMH (EA 2357) SIREM (GDR 2378, CNRS)
R  L’examen du lexique du mariage dans les différentes langues romanes montre l’existence d’une multitude de termes qui sont équivalents en prin-cipe mais que l’examen attentif révèle fort différents dans leur contenu conceptuel et sémantique. Peut-on traduire sans plus casamiento et matrimo-nio par mariage ? Novia et fiancée sont-ils des termes équivalents ? Disent-ils la même chose ? Si le nom dit l’essence, alors il faut accepter la réalité du dis-cours nominal, or il se trouve que le discours des mots dans le contrat/ sacrement est parlant, très parlant. Ces mots lourds de sens disent une réa-lité qui est celle de la société énonciatrice. L’ébauche d’analyse compara-tive qui est proposée ici essaie de mettre en évidence la spécificité d’un vécu social dénoncé par les mots. R  El léxico del matrimonio en las diversas lenguas románicas muestra una multitud de tér-minos que son en principio equivalentes pero que se revelan de muy diferente sentido si se analiza el contenido conceptual. ¿ casamiento, matrimonio, mariage , son térmi-nos verdaderamente equivalentes ? ¿ Son la novia y la fiancée mujeres en situaciones idénticas ? Si el nombre dice la esencia, entonces hay que aceptar la realidad del discurso nominal, aceptar, si nos referimos al discurso del matrimonio/sacramento, que los tér-minos son elocuentes y que dicen una realidad, la realidad específica de la sociedad enun-ciante. El ensayo de análisis comparativo que proponen estas líneas trata de poner de relieve la realidad de una situación social espécifica, denunciada por las palabras de ambas lenguas.
, , , p. 

 -  Ainsi appris-je, triste, le résignement : Aucune chose ne soit, là où le mot faillit Stefan George . Lorsque l’on s’attarde à regarder de près le lexique du mariage dans les différentes langues romanes, on constate que l’on se trouve face à une multitude de termes qui sont en principe équivalents mais que l’examen attentif révèle comme étant fort différents de par leur contenu concep-tuel et sémantique. Peut-on traduire sans plus casamiento ou matrimonio par mariage ? Novia et fiancée sont-ils des termes équivalents ? Disent-ils la même chose ? Si l’on admet qu’« aucune chose n’est là où manque le mot » 1 , alors il faut admettre que là où les mots sont, les choses sont, et que les diffé-rences dans les mots expriment des différences dans les faits. Ainsi j’ai demandé aux mots de l’Espagne entre Latran IV et Trente de me « dire » les choses ; ces choses qui font la réalité du contrat/sacrement dans les modalités de son application sociale. J’ai donc exploré ce vocabulaire et j’ai demandé à la langue française de me fournir l’élément de comparai-son indispensable à tout essai de connaissance. Je commencerai donc par une très brève exposition de la théorie du contrat/sacrement et je don-nerai ensuite la parole aux mots.
U     Le mariage/sacrement est une construction extrêmement complexe et élaborée. Un condensé de philosophie platonicienne et de droit romain transcendé par la mystique chrétienne. Il est issu très probablement des pères de l’Église grecque et réélaboré sans doute par la scolastique de l’école de Chartres, mais c’est le droit romain qui a permis la mise en forme pratique de ce qui est devenu le contrat/sacrement. Le droit romain, moyen d’application à l’origine, semble avoir pris le pas sur l’idée platonicienne, car même de nos jours les traités ou les ouvrages sur le mariage sont ou bien des ouvrages juridiques, ou bien des traités de morale. L’application de ce mariage et donc l’imposition à l’ensemble de la chrétienté fut très difficile et mit très longtemps à se faire. L’Église dut lutter contre le pouvoir civil, contre des formes de conjugalité plus anciennes, mieux adaptées à la réalité, et très solidement implantées 2 . 1. Là-dessus, Martin HEIDEGGER, Acheminement vers la parole , Paris : Gallimard, 1988, et en particulier les pages 143 à 179 sur le « Mot », poème de Stefan George, dont j’ai tiré l’épi-graphe de cet article. 2. C’est le cas des barraganías , mariage civil reconnu par les Partidas , que l’avancée du mariage/sacrement a réduit à la catégorie d’un concubinage ; là-dessus, E. RUIZ-GÁLVEZ, « La Barraganía du mariage “sine-manu” au simple concubinage », Droit et société , 14, 1990.
        
Ainsi, l’implantation du contrat/sacrement s’avère être le résultat d’une bataille entre l’Église et la société civile, une bataille qui se situe dans la longue durée, essentiellement du  e siècle – moment où commence à se manifester la volonté d’imposition de l’Église, moment où l’enveloppe juridique est à peu près achevée – au  e siècle où le concile de Trente met en place l’efficacité d’un dispositif administratif d’application et de contrôle 3 . Dans la version espagnole, le contrat/sacrement passe par trois phases qui sont en fait des reliquats des formes de conjugalité très anciennes. La première phase, les esponsales, correspond à l’accord au niveau des familles, accord au niveau économique concernant le montant des arrhes et de la dot. La deuxième étape, les desposorios , était destinée à mettre en présence les contractants qui devaient échanger en public les mots du consente-ment. Ces mots, pleins de sens, étaient censés exprimer une libre volonté. La formule de l’engagement exprimait les limites et les nuances. Ainsi les desposorios par paroles portant sur le présent et employant les termes de mari et femme correspondaient à un véritable mariage dont la consomma-tion pouvait être ajournée, mais qui était déjà un mariage. En rev anche la formule employant des paroles portant sur le futur ou employant les termes d’ époux/épouse correspondait à une promesse de mariage. C’était lors de cette cérémonie que l’épouse recevait les arrhes, en fait le prix de sa personne physique, et l’anneau, signe de son engagement moral : « l’alliance ». Le père marieur mettait fin à la cérémonie par ce « daros las manos » – mettez-vous l’un dans la puissance de l’autre – qui consacre le happy end des comédias du Siècle d’or. La troisième étape, les velaciones, mit un certain temps à se mettre en place. Le terme apparaît certes au  e siècle, mais son déroulement à l’église peut se dater de la fin du  e siècle. Voyez l’admiration que cause le connétable Miguel Lucas de Iranzo voulant célébrer ses velaciones à l’église 4 . En fait, les velaciones n’étaient au départ que l’imposition du voile à la femme, ce voile qui est la parure propre à son état de femme mariée, et le symbole de son état de soumission au mari. Cependant, et petit à petit, ces velaciones vont finir par se confondre avec la bénédiction nuptiale donnée par le prêtre. Une bénédiction qui, avant Trente, venait rappeler le caractère sacramentaire d’un mariage généralement déjà consommé. Le mariage d’avant Trente garde un caractère civil très marqué. Certes l’Église était déjà intervenue en introduisant les interdits de 3. Sur le mariage en général, je renvoie à mes travaux à propos du Statut socio-juridique de la femme en Espagne au XVI e siècle : une étude sur le mariage chrétien…, Paris : Didier Érudition, 1990. 4. Hechos del condestable don Miguel Lucas de Iranzo, édition de Juan de Mata CARRIAZO Y URRUTIA, Madrid : Espasa Calpe, 1940, chap. 5, p. 39-69.
  - 
consanguinité et d’affinité, mais même à l’intérieur de l’Église le carac-tère sacramentaire du mariage ne fut pas un fait acquis à l’unanimité. Il eut des opposants de la taille d’un Abélard, ou d’un Pierre de Jean Olivi 5 , or ce qui permettait la sacralisation du mariage, c’était justement la nature juridique de ces desposorios issus directement de la coemptio 6 de la Rome républicaine, l’existence à leur niveau d’un engagement contrac-tuel exprimé par les mots du libre consentement, car à la base de la construction du mariage chrétien, on trouve la théorie contractuelle propre à la société chrétienne médiévale. Le Droit a structuré la pensée ecclésiastique à tous les niveaux. Ainsi, l’Incarnation du Verbe, fait fondamental de la religion chrétienne, qui représentait pour saint Paul l’union entre le Verbe et la chair, le mariage entre le Christ et son Église, se formulait au niveau de la scolastique médiévale en termes d’union de volontés, en termes de pacte et con-sensus. Il était rappelé que l’Incarnation avait été précédée d’une requête, celle faite par Dieu à la Vierge, celle de l’annonce faite à Marie, et que l’Incarnation avait eu lieu parce qu’il y avait eu acceptation librement exprimée par cette dernière. C’est le fiat de la Vierge qui permet que la volonté de Dieu s’accomplisse 7 . L’incarnation était donc le fruit d’un consensus , et le consensus de ce pacte fondateur devenait ainsi la norme contractuelle de la société chrétienne, le modèle associatif de base. Il faut ajouter à ce qui vient d’être dit ici que la modélisation sociale proposée par le contrat/sacrement ne se limite pas à l’imitation de la norme consensuelle, loin de là, car Dieu a certes « épousé » l’humanité, mais étant donné que c’est la deuxième personne de la Trinité qui vient au monde, on peut dire que le Christ est le Fils de Dieu marié avec l’Église/humanité, et que le christianisme est la religion du Fils à l’état de Mari. Cette image très forte est le pivot de tout le système social chrétien, le modèle à imiter. On comprend ainsi que ce soit le mariage et non la maternité qui ait atteint la dignité de sacrement dans le contexte chré-tien. Il est évident qu’une religion fondée sur une déesse mère aurait sublimé avec autant d’aisance la maternité, fait au départ aussi naturel et aussi peu spirituel que le mariage, mais il se trouve que le christianisme
5. Sur Pierre de Jean d’Olivi et sur son hostilité à la sacramentalisation du mariage, voir Alain BOUREAU, « Pierre de Jean Olivi et l’émergence d’une théorie contractuelle de la royauté au  e siècle », in : Représentation pouvoir et royauté à la fin du Moyen Âge . Actes du colloque de l’université du Maine (1994) , Paris : Picard, 1995. 6. La coemptio était un mariage propre aux classes plébéiennes de la Rome républicaine. Il était structuré sur le schéma du contrat d’achat et vente ; là-dessus, E. RUIZ-GÁLVEZ, Statut 7. Se souvenir de l’étroitesse du lien existant entre Voluntas et Amor . Cette manifestation du Noüs s’énonce en langue espagnole sous le terme de querencia , du verbe querer .
         est la religion du Fils et non point celle des mères. On comprend aussi que dans ce contexte le statut de la femme dans la société chrétienne soit celui d’une épouse. La femme se définit en fonction de son association à l’homme. Elle est célibataire en attente de mari. Mariée : unie à un mari. Veuve : ayant perdu son mari. La religieuse est l’épouse de Dieu… La maternité n’est pas un état civil, c’est une circonstance naturelle. Enfin ; il n’y a pas que les femmes qui soient concernées par cette modélisation, sur l’image du Fils marié. En fait l’adoption du modèle proposé affecte aussi le statut des pères, déjà parce que dans la religion du Fils, les hommes sont frères entre eux, et donc en situation d’égalité vis à vis du seul Père possible : Dieu qui est aux cieux… Ensuite parce que ce contrat/sacrement affecte aussi le statut des enfants. En effet comment les situer vis-à-vis de cet homme/mari qui n’a pas besoin d’en avoir pour être en conformité avec le modèle ? La bulle d’Eugène IV est là-dessus sans ambiguïté : La cause efficiente du mariage est régulièrement le consentement mutuel exprimé par paroles portant sur le présent. Le mariage comporte un triple bien, le premier est la descendance qu’on a et que l’on élève pour le culte de Dieu. Le deuxième est la fidélité que chacun des époux doit garder à l’autre. Le troisième est l’indissolubilité du mariage parce qu’il signifie l’union insépa-rable du Christ et de son Église… (Concile de Florence, 1439) En somme, « prole, fides et sacramentum », en commençant par le bas et en finissant par le haut. Les enfants ne sont pas le but principal du mariage et c’est bien pour cela que la stérilité ne peut pas constituer un motif recevable dans une demande d’annulation. En fait le contrat/sacrement fondé sur le Fils marié portait en germe cette famille unicellulaire propre à l’Occident moderne, une famille fort différente de celle créée par la société patriar-cale, un type de famille qui correspond pleinement à la société faite selon le modèle du Corps mystique, celui formé par la communauté des croyants et dont le Christ est la tête. Les dispositions canoniques concer-nant les interdits en raison des liens de consanguinité et d’affinité allaient aussi dans ce sens-là. Le mariage devient ainsi le véritable état civil de tous les chrétiens, « soltero – dit Francisco de Osuna – es nombre de cristiano ninguno, porque a nadie tiene Dios suelto » 8 . L’image du Fils marié par amour est proposée à l’imitation des fidèles, elle est projetée au niveau du contrat/sacrement
8. Francisco de OSUNA, Norte de todos los estados, Séville, 1531 ; la société chrétienne est communautaire et solidaire. Les célibataires n’avaient pas d’état, ils étaient « asociaux » et « incomplets », car manquant du complément perfectif apporté par le conjoint, la complétude qui rend fécond.
  -  au moyen d’une législation adaptée aux buts poursuivis, une législation qui a commencé par utiliser l’existant, un existant transformé de l’inté-rieur. En effet, il suffit de revenir sur la question du consensus pour constater d’abord qu’il était déjà le fondement du mariage dans la société romaine 9 , mais pour constater aussi et par la suite que ce consensus a été transformé lors du processus de sacralisation. Ainsi le consensus du mariage chrétien est certes l’expression d’une volonté, mais cette volonté se veut sans faille, car une fois exprimée, le consensus est irrévocable, la Fides étant justement la volonté de maintenir dans le temps l’accord consenti. Il faut aussi noter que l’engagement consensuel des contrac-tants ne se fait pas sur des clauses librement discutées, le consentement se fait sur un contrat aux clauses préétablies où les rôles des conjoints sont hiérarchiquement fixés : un mari qui tient le rôle du Christ, une femme qui tient celui de l’Église/humanité. Le néoplatonisme scolastique utili-sera tout l’arsenal métaphorique de la philosophie platonicienne pour justifier les limitations et les incapacités civiles de la femme mariée 10 Les . canonistes s’occuperont de fournir les outils juridiques. Le mariage fait du couple l’unité de base de la société chrétienne ; le couple, pas la famille. Le couple qui reproduit le binôme Christ/Église, le couple rappel de l’androgyne primitif qui est à l’instar de Dieu fécond créateur et « immortel ». Le programme du contrat/sacrement est révo-lutionnaire et pas toujours socialement assimilable. La langue garde les traces des résistances, elle porte les marques des contraintes et des refus.
M      ? A  ? R  ? D     
Les étapes préliminaires Commençons par le début, c’est-à-dire par les étapes préparatoires au mariage. Les esponsales de la langue espagnole trouvent une correspondance exacte dans le terme épousailles . Les deux termes trouvent leur origine
9. « Nuptias non concubitus sed consensus facit », Ulpian, au Dig., L 17, 30. 10. Juridiquement les incapacités civiles de la femme mariée sont le fait de la cohabitation : le mari devant cohabiter avec son épouse fait amener l’épouse chez lui. De ce fait elle n’est plus chez elle mais chez son mari qui exerce les droits du maître de maison, « ex lex cohabitationis conjugalis iure constat, maritum posse uxorem vindicare, id est petit eam in uxorem ; uxorem huius cohabitationis ration & iure, marito subditam esse […] ex eodem iure cohabitationis & conjugalis consortii, deduci posse […] nempe uxorem absque mariti licentia contrahere non posse », Didaci COVARRUBIAS, In quartum librum decretalium de sponsalibus et matrimoniis Epitome , Francfort, 1573, p. 110.
        
dans le latin  : « promettre ». En revanche le terme de desposorios, que Nebrija 11 fait dériver de  , introduit une notion de récipro-cité que traduit parfaitement le terme français de fiançailles avec une nuance très importante. Le  de desposorios me semble faire preuve d’un caractère plus concret que le terme de fiançailles où l’on voit apparaître la notion de foi :  . Il ne s’agit pas uniquement de pro-mettre mais d’échanger « la foi », c’est-à-dire la volonté de permanence dans le temps. La notion de Fides est certes une notion juridique. Alphonse X, dans le contexte du mariage, traduit le terme par lealtad , mais ce terme, autant dans la langue latine que dans les langues romanes, a – par son côté immatériel et absolu – une connotation qui approche la sphère du sacré. Les velaciones . De  . Martín Alonso 12 enregistre l’existence du terme dans le Poema de mio Cid . Il apparaît dans les Partidas. Covarrubias le fait dériver de velambre . Le dictionnaire de Gaffiot nous ramène à --, de  : prise de voile dans un monastère. Ce terme n’a pas une traduction exacte en français. César Oudin 13 traduit mal le terme mais sa maladresse « traduit » bien la difficulté de la traduction, l’étrangeté de la situation pour un public français : « Velaciones de los novios : les épousailles, selon aucuns le temps que l’on ne se marie point. » Le dictionnaire de Cormon 14 donne sa correspondance exacte au niveau du temps du mariage ; « donner la bénédiction nuptiale ». Cepen-dant le terme français bénédiction nuptiale ne fait pas allusion a la cérémo-nie elle-même dont l’origine est dans le Flamineo nuptiale velare de la confar-reatio romaine : le mariage des classes patriciennes, mariage indissoluble et pénétré du sens du sacré. Le terme espagnol est normalement usité dès la deuxième moitié du XV e siècle, pour signifier le mariage solennel béni ou pas à l’Église. La chronique du connétable Miguel Lucas de Iranzo offre de très nombreux exemples. Que faut-il penser ? Les femmes cessent d’être mozas en cabellos en se mariant. Partout en Europe et jusqu’au milieu du  e siècle elles portent voiles et coiffes… Le terme espagnol dit-il un geste sans plus ?… Faut-il voir une véritable per-manence par rapport au modèle romain ?
11. Antonio de NEBRIJA, Vocabulario español latino (1 re édition : 1495), Madrid : RAE, 1951. 12. Martín ALONSO , Diccionario medieval español, Salamanque : Universidad pontificia, 1986. 13. César OUDIN, Tesoro de las dos lenguas española y francesa (1675), édition fac-similée, Paris : Ediciones hispanoamericanas, 1968. 14. Francisco CORMON, Nuevo diccionario de las lenguas española, francesa y latina, Anvers, 1759.
  -  Le contrat/sacrement L’Espagne des Partidas nomme ce contrat matrimonio o casamiento . Le titre II de la quatrième Partida : « De los casamientos » lui est consacré. Dans la loi 1, le roi définit la notion de matrimonio : Matrimonio es ayuntamiento de marido e de mujer hecho con la intencion de vivir siempre en uno e de non se departir guardando lealtad cada uno dellos al otro… (L1-T2-P4) Dans la loi II de ce même titre deux, le roi explique les raisons du nom, « onde tomo este nome e porque razon llaman assi al Casamiento e non Patri-monio » : Matris et munium son palabras de Latin que quier dezir tanto en romance como « oficio de madre ». E la razon porque llaman Matrimonio al Casamiento , e non Patrimonio es esta : porque la madre sufre mayores trabajos que el padre. Ca como quier que el padre los engendra la madre sufre muy mal embargo con ellos do mientras que los trae e sufre muy grandes dolores quando han de nascer e despues que son nacidos a muy grande trabajo en criar a ellos mismos de por si. E demas desto porque los fijos mientra son pequeños mayor menester han de la ayuda de la madre que del padre. E por todas estas razones sobredichas que caben a la madre de fazer e non al padre, por ende es llamado Matrimonio e non Patrimonio . Le terme français que l’on utilise pour parler du contrat/sacrement est celui de mariage : union légale d’un homme et d’une femme. Le mot vient du Latin  , « unir au mari ». Il est clair que les termes ne sont pas équivalents. Dans le premier cas on met l’accent d’abord sur le foyer : « casa », « casamiento » : il s’agit d’installer une future famille ; de donner « état », d’établir. L’accent est mis ensuite sur l’élément féminin : la mère, la femme en situation de maternité, ce qui nous ramène a la notion de des-cendance, de famille. « Matrimonio es ayuntamiento de mujer y de marido », la définition du roi laisse peu de doutes sur le statut social de la femme : elle est une mère en puissance, et le contrat, cet ayuntamiento dont elle est l’élément de base, est fait dans ce but. Notons la façon dont le terme patrimonio est mis hors jeu. Le terme ici ne désigne point l’ensemble des biens appartenant au père de famille. Patrimonio est terme qui désigne ici l’office de père, un « office » qui se considère moins lourd que celui de la mère. Le terme, dans l’acception que lui donnent les Partidas, se forme sans aucun doute à partir de la notion de « matrimonio ». Paternidad , paternité, eut été peut-être préférable, mais selon Corominas, ce terme est un cultisme qui ne fait son apparition que vers 1490 1 . Là où le mot faillit… » 5 «
15. Joan COROMINAS, Breve diccionario etimológico de la lengua castellana, Madrid : Gredos, 1987.
        
Dans le terme français l’accent est mis sur le couple, ou plutôt sur l’homme en état de mari, sur l’homme auquel on ajoute une femme. L’homme, - , le mâle, donne nom à la femme qui devient marita , « mariée ». Le terme, peu usité en espagnol, existe : maridada , mais avec une connotation toujours négative mal maridada : « la bella malmaridada… de las más lindas que vi ». Si nous nous plaçons dans l’optique du contrat/sacrement tel qu’il vient d’être décrit ici, il est clair que le mariage français traduit une plus grande fidélité, une véritable adhésion à l’idée prônée par l’Église. Le matrimonio espagnol, axé sur cette prole si peu considérée par l’Église semble sensiblement éloigné du modèle ecclésiastique. Les noms donnés aux protagonistes du contrat/sacrement reflètent les mêmes différences. La femme mariée est dite en espagnol casada de casa , « hogar ». « Casar – dit Covarrubias – : contraer matrimonio. Casamiento, el tal contrato » 16 . De même on parlera de pareja pour nommer le couple, mais si ce couple est légalement « marié », alors on dira un matrimonio . Le terme français ménage pourrait traduire l’espagnol casados , mais je ne trouve aucun terme pour traduire exactement matrimonio au sens de « couple ». Par ailleurs, le mot couple vient du latin  , lien, et nous ramène à la notion d’union, en revanche le mot pareja introduit une notion d’égalité, « pareja : mujer legítima de igual condición que el marido ». Le vocable est présent dans le Poema de mio Cid et est ainsi défini par Martín Alonso. La racine - est commune aux deux langues dans mari/marido ; le rôle dévolu a la femme et les noms que lui sont donnés présentent plus de difficultés de traduction. Ainsi la fiancée promise ou épouse des desposorios ou fiançailles est dite en espagnol esposa, prometida o desposada , mais aussi novia du latin * novius selon Corominas, « que se está casando ». Le terme apparaît, selon ce der-nier, vers 1220-1250. Le terme a aussi un masculin novio . Selon Martín Alonso, c’est à partir du  e siècle que l’on voit apparaître le terme dans son sens actuel, sens qui l’apparente à celui de novicio , « ceux qui sont en période de probation sans encore professer ». Fernández Santaella enre-gistre le terme en 1499 dans son Vocabulario eclesiástico 17 . L’apparition du terme dans le contexte du mariage dénonce l’apparition d’une nouvelle situation, celle des noviazgos , « temps de probation », fiançailles parfaite-ment chastes, mais situées dans la longue durée. La nupta latine du verbe nubo n’a pas de traduction exacte en français,
16. Sebastián de COVARRUBIAS, Tesoro de la Lengua castellana o española , édition fac-similée, Madrid : Turner, 1979. 17. Rodrigo FERNÁNDEZ SANTAELLA, Vocabulario eclesiástico, Salamanca, 1540.
  -  mais le terme latin répond très exactement à celui de velada puisque nupta est le participe passé de nubo, « voiler, recouvrir de ce voile jaune que portait la domina romaine lors de la confarreatio » 18 , situation qui, nous venons de le voir, correspond aux velaciones du mariage espagnol. Ces velaciones ont une importance considérable dans le mariage espa-gnol. En effet, c’est des velaciones que l’on fait démarrer l’émancipation des enfants. Une émancipation réclamée à cors et à cris par l’Église, mais que la société civile ne sera pas pressée d’octroyer. On comprend aisé-ment l’argumentation ecclésiastique et l’importance de l’enjeu, car le « libre consentement » implique par le seul fait d’exister la notion de « liberté », qualité qui lui est inhérente, mais qui, en revanche, est parfai-tement étrangère au statut féminin 19 . Les Partidas n’émancipaient pas les enfants par le mariage, et il faut attendre 1505 et les lois de Toro pour trouver une loi dans ce sens-là. Il s’agit de la loi 47, « Que el hijo o la hija casado, velado, sea avido por emancipado en todas sus cosas para siempre ». Ce siempre de la loi 47 semble poser des problèmes aux juristes espa-gnols du  e siècle, puisqu’ils se demandent si la loi 49 de ce même recueil, qui condamne les mariages faits sans consentement des parents, peut s’appliquer aux filles veuves qui se remarient d’elles-mêmes. En fait Diego de Covarrubias et Gregorio López del Tovar se font écho, dans leurs commentaires, des lois des Partidas et du Fuero real. Ces codes ne reconnaissaient pas l’émancipation par le mariage, et ils gardaient aux pères des famille, des droits considérables sur les enfants mariés, droits qui, malgré l’existence des lois allant à leur encontre telles que la loi V, titre I, livre V des Ordenanzas reales de Castilla , persistaient dans la réalité. Cependant, c’est au niveau des lois sur les adultères que le principe d’émancipation concernant les femmes mariées se trouve plus nettement battu en brèche. En effet la loi 82 du Recueil de Toro (1505), dénie au mari le droit de se faire justice lui-même en cas de flagrant délit d’adultère, et finit en renvoyant sur la loi 6, titre 4, livre 4 du Fuero real de España , qui réservait au père de la femme ou à son frère le droit de punir par la mort l’adultère de la femme. Punir « sin pena », c’est-à-dire « impunément pour le meurtrier ». C’était aussi une faculté donnée au père par les Partidas (loi 14-17-7) 20 .
18. La confarreatio était le mariage propre aux classes patriciennes romaines. Mariage très solennel et indissoluble, il appartient surtout à la période républicaine. 19. Par le fait de s’exprimer, le « libre » consentement manifeste une liberté qui par voie de conséquence est libératoire et émancipe l’homme de la puissance paternelle, en revanche le « libre » consentement de la femme manifeste une « libre » acceptation de son état de servitude, car la femme par le contrat / sacrement passe « librement » sous la puissance maritale. 20. « … hic igitur Iure Cesareo, marito non licere uxores etiam in crimine deprehensas occidere […] Patri autem permitu filiam adulteram simul adulterum in crimine deprehensas, impune occidere… » Diego de COVARRUBIAS, op. cit., p. 133.
         La famille du conjoint On déduit de ce qui vient d’être exposé ici que la femme espagnole ne quitte jamais sa famille et par voie de conséquence qu’elle n’intègre pas la famille de son mari. Ici le vocabulaire est vraiment éloquent. La langue française appelle belle la famille du conjoint, et elle l’appelle ainsi en par-fait accord avec l’Église, car cette famille est belle parce qu’elle est issue des liens spirituels créés par le sacrement. Une famille qui trouve son ori-gine dans l’esprit et pas dans ces liens obscurs que tissent le sang et les femmes. Les sacrements créent des liens. Ainsi pour cette nouvelle naissance qu’est le baptême, il y a un parrain : père selon l’esprit, et une marraine, mère selon l’esprit. Nouvelle et véritable famille qui aurait dû remplacer la famille de sang. Elle ne l’a pas fait, mais les familles selon l’esprit créent des liens d’affinité qui sont presque aussi puissants que les liens de consanguinité. Au niveau du mariage les empêchements en raison d’affi-nité sont quasiment au même rang que les empêchements par consan-guinité. Enfin, comment traduire beau-père ou belle-mère ? L’espagnol, qui appelle política la belle famille, donne aux beaux parents les noms de sue-gra et suegro , du latin  ; « la suegra » ; le masculin s’étant formé à par-tir du féminin de base. Autrement dit, à partir du mot servant à nommer celle qu’il conviendrait d’appeler la matriarche. Le beau-fils est el yerno , un terme qui comme le français gendre vient du latin - . La belle fille est la nuera du latin vulgaire  , dérivé du classique -, « la jeune femme ». Le terme français bru vien-drait du goth  . Le Larousse , prudent, ajoute : « on dit plus souvent belle-fille ». Les beaux-frères et belles-sœurs sont cuñados y cuñadas, de  , « parents consanguins, unis par le sang ». Le terme agnado, « pariente por consanguinidad cuando ambos descienden de un tronco común de varón a varón », apparaît, selon Martín Alonso, à partir du  e siècle et ne semble pas avoir eu d’incidence dans l’énoncé de la famille conjugale. Les réjouissances Parlons enfin des réjouissances qui accompagnent le départ du nouveau couple. Le français parlera de noces , du latin vulgaire , « le nouveau marié », qui vient évidemment de  . En revanche, l’espagnol, tou-jours plus près du contrat civil, parlera de bodas . Le terme apparaît selon Corominas vers 1250 et vient du latin  , pluriel de , « pro-messe ».
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