Perception des Anglais et des Irlandais dans la littérature française à l époque des Lumières - article ; n°1 ; vol.54, pg 211-231
22 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Perception des Anglais et des Irlandais dans la littérature française à l'époque des Lumières - article ; n°1 ; vol.54, pg 211-231

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
22 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Cahiers de l'Association internationale des études francaises - Année 2002 - Volume 54 - Numéro 1 - Pages 211-231
21 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 38
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Graham Gargett
Perception des Anglais et des Irlandais dans la littérature
française à l'époque des Lumières
In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 2002, N°54. pp. 211-231.
Citer ce document / Cite this document :
Gargett Graham. Perception des Anglais et des Irlandais dans la littérature française à l'époque des Lumières. In: Cahiers de
l'Association internationale des études francaises, 2002, N°54. pp. 211-231.
doi : 10.3406/caief.2002.1460
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2002_num_54_1_1460PERCEPTIONS DES ANGLAIS ET
DES IRLANDAIS DANS LA LITTÉRATURE
FRANÇAISE À L'ÉPOQUE
DES LUMIÈRES
Communication de M. Graham GARGETT
(University of Ulster)
au LIÎIe Congrès de l'Association, le 4 juillet 2001
Donner une idée de l'image des Anglais et des Irlan
dais, de l'Angleterre et de l'Irlande, comme elle existe
dans la littérature française à l'époque des Lumières, n'est
pas chose facile, car, bien entendu, le sujet est vaste. On
pourrait écrire des volumes là-dessus (1). Afin donc de
concrétiser au maximum nos remarques, nous privilégie
rons deux auteurs et surtout quelques textes, sans nous
priver pour autant d'évoquer des thèmes généraux et de
faire allusion en passant à d'autres auteurs et à d'autres
textes. Et si nous nous limitons surtout à l'époque des phi
losophes, ferons aussi référence quelquefois aux att
itudes qui ont caractérisé le début et la fin du XVIIIe siècle.
*
* *
(1) Pour une des contributions les plus impressionnantes, voir André-
Michel Rousseau, L'Angleterre et Voltaire, Studies on Voltaire and the
Eighteenth-Century (désormais Studies), 145-147, Oxford, Foundat
ion, 1976. 212 GRAHAM GARGETT
En 1726, à l'âge de trente-quatre ans, Voltaire s'exile
volontairement en Angleterre après un court séjour à la
Bastille, suite à sa brouille avec le chevalier de Rohan-
Chabot (2). Huit ans plus tard, donc bien après son retour
en France en 1728, il publie son premier grand ouvrage en
prose, les Lettres philosophiques, dont le titre alternatif était
Lettres écrites de Londres sur les Anglois et autres sujets (3).
Ce petit livre, qui fait scandale, à tel point que le texte est
condamné à être lacéré et brûlé et que Voltaire doit à nou
veau s'exiler, n'est donc pas le fruit d'une réaction instan
tanée ou spontanée, mais un ouvrage longuement médité.
Les sept premières lettres sont consacrées à la religion en
Angleterre et, sur ces sept, quatre - les toutes premières -
aux Quakers. Les Quakers : est-ce que Voltaire aurait pu
choisir un groupe plus typiquement représentatif de l'ex
centricité anglaise, car — au XVIIIe siècle comme de nos
jours — les Français considéraient les Anglais comme des
originaux presque de nature (4). Et pourtant, si Voltaire se
plaît à insister sur l'aspect et le comportement singuliers
de ces énergumènes, il déjoue assez rapidement l'attente
de ses lecteurs, qui s'attendaient sans doute à bien rire —
sans plus — aux dépens des Quakers, déjà assez bien
connus en France pour leurs bizarreries. Mais très vite, en
une dizaine de lignes, c'est le contraire qui arrive. Certes,
Andrew Pitt, auquel Voltaire rend visite à sa maison de
campagne, « étoit vêtu comme tous ceux de sa Religion,
d'un habit sans plis dans les côtés, & sans boutons sur les
poches ni sur les manches, & portoit un grand chapeau à
(2) Pour la biographie de Voltaire, voir surtout Voltaire et son temps, éd.
René Pomeau, 5 vol , Oxford, Voltaire Foundation, 1985-1994 ; réédité, 2 vol.,
Oxford, Voltaire Foundation, 1995.
(3) Cette édition fut publiée à Londres, supervisée par le grand ami de Vol
taire, Thiriot Les éditions de Rouen et d'Amsterdam de la même année
(1734) portent le titre Lettres philosophiques.
(4) Pour les ouvrages que les Français pouvaient consulter sur les Quakers,
Kouacres, ou Trembleurs, voir Voltaire, Lettres philosophiques, éd. Gustave
Lanson, révisée par André-M. Rousseau (Paris, Didier, 1964), t.l, p.10-11.
Toutes nos références sont à cette édition. ANGLAIS ET IRLANDAIS CHEZ LES LUMIÈRES 213
bords rabatus comme nos Ecclésiastiques ». De plus, ce
Quaker méconnaît les règles les plus élémentaires de la
courtoisie : « il me reçut avec son chapeau sur la tête, &
s'avança vers moi sans faire la moindre inclination de
corps ». Pis encore, il tutoie sans façon ce représentant de
la culture et de la civilisation françaises qu'est Voltaire :
« Ami, me dit-il, je vois que tu es un étranger, si je puis
t'être de quelque utilité, tu n'as qu'à parler » (t. I, p. 2). Et
pourtant ce Quaker est décrit dans des termes extrême
ment positifs : « c'étoit un vieillard frais qui n'avoit jamais
eu de maladie, parce qu'il n'avoit jamais connu les pas
sions ni l'intempérance » (p. 1). Voltaire déclare n'avoir
jamais vu en sa vie « d'air plus noble ni plus engageant
que le sien » (p. 1-2). Si la maison de Pitt est de taille
modeste, elle est « bien bâtie [et] pleine de propreté sans
ornement » (p. 1). Et, bien que le Quaker néglige les
conventions normales de la société, « il y avoit plus de
politesse dans l'air ouvert & humain de son visage, qu'il
n'y en a l'usage de tirer une jambe derrière l'autre, &
de porter à la main ce qui est fait pour couvrir la tête ». Et
Voltaire de renchérir : « Monsieur, lui dis-je, en me cour
bant le corps et en glissant un pied vers lui, selon notre
coutume, je me flatte que ma juste curiosité ne vous
déplaira pas, et que vous voudrez bien me faire l'honneur
de m'instruire de votre Religion ». Maintenant, ce n'est
plus du tout ce sectaire anglais qui est ridiculisé, mais
plutôt les us et coutumes de la société française. Le Quak
er a le dernier mot : « Les gens de ton pais, me répondit-
il, font trop de compliments & de révérences [...]» (p. 2).
La simplicité et le bon sens d'Andrew Pitt servent donc à
dévoiler le caractère faux et artificiel de la société français
e. Cette conclusion n'a pas de résonance proto-rous-
seauiste, nous semble-t-il. Les choses ne sont pas tournées
au noir. Simplement, d'une façon ironique et grâce à une
virtuosité stylistique extraordinaire, Voltaire montre qu'il
faut non seulement tolérer l'Autre, mais — beaucoup plus
— qu'on peut apprendre de lui, et que nos réactions 214 GRAHAM GARGETT
envers ceux que nous méconnaissons peuvent nous
éclaircir sur nous-mêmes.
Ce message de tolérance anime non seulement les
Lettres philosophiques (ou Lettres [...] sur les Anglais) tout
entières mais aussi le reste de l'œuvre de Voltaire. Et, très
souvent, cet Autre qu'il faut essayer de comprendre pour
mieux nous entendre nous-mêmes, c'est l'Angleterre et les
Anglais qui le représentent. Traditionnellement, en France
et dans les autres pays catholiques, on avait reproché aux
Églises protestantes leurs variations, qui contrastaient
avec la vérité unique et indivisible incarnée par l'Église
catholique (5). Voltaire, par contre, loue la multiplicité des
sectes en Angleterre. Si elles se détestent mutuellement,
leur nombre oblige leurs clergés respectifs à se comporter
sagement pour attirer des fidèles. D'où la formule
célèbre : « S'il n'y avoit en Angleterre qu'une Religion, le
despotisme seroit à craindre, s'il y en avoit deux, elles se
couperoient la gorge ; mais il y en a trente, & elles vivent
en paix heureuses » (t. I, p.74). Autant de leçons pour la
France et les Français, car — manifestement — pendant
les Guerres de Religion il y avait bien eu en France deux
religions, et elles s'étaient effectivement coupé la gorge
d'innombrables fois, l'exemple le plus scandaleux étant le
massacre de la Saint-Barthélémy. Plus tard, avec la sup
pression du protestantisme, la France n'avait plus qu'une
seule religion, et Voltaire laisse à son lecteur le soin de
tirer la leçon subversive de son texte.
Or, ce petit livre explosif, d'après Gustave Lans

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents