Pouvoir contre « puissances ». Bref essai de démonologie hindoue-musulmane - article ; n°131 ; vol.34, pg 29-55
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Pouvoir contre « puissances ». Bref essai de démonologie hindoue-musulmane - article ; n°131 ; vol.34, pg 29-55

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Description

L'Homme - Année 1994 - Volume 34 - Numéro 131 - Pages 29-55
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 8
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

Jackie Assayag
Pouvoir contre « puissances ». Bref essai de démonologie
hindoue-musulmane
In: L'Homme, 1994, tome 34 n°131. pp. 29-55.
Citer ce document / Cite this document :
Assayag Jackie. Pouvoir contre « puissances ». Bref essai de démonologie hindoue-musulmane. In: L'Homme, 1994, tome 34
n°131. pp. 29-55.
doi : 10.3406/hom.1994.369776
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1994_num_34_131_369776Assayag Jackie
Pouvoir contre « puissances »
Bref essai de démonologie hindoue-musulmane*
Jackie Assayag, Pouvoir contre « puissances ». Bref essai de démonologie hindoue-
musulmane. — En dépit de différences qui ne sont pas toutes de détail, les basses castes
hindoues et musulmanes partagent un modèle cognitif de l'attaque surnaturelle, de
l'affliction, de l'infortune et de la thérapeutique. Nonobstant la fluidité et la proliféra
tion de « puissances » échappant au panthéon — « puissances » que les hindous
appellent bhüt(a) et les musulmans jänn — , un même substrat démoniaque sous-tend
l'ensemble de leurs pratiques et de leurs représentations. Une identique dynamique du
pouvoir divin, celui du saint (pTr) thaumaturge et de la déesse de bon augure, est à
l'œuvre dans les tombes (dargäh) et les temples (gudi) que fréquentent, dans une rela
tive indifférence de leur appartenance religieuse, les dévots (bhakta) de la société castée
et les fidèles de la communauté (umma).
Le mal seul fait remarquer et apprendre et permet de décom
poser les mécanismes que sans cela on ne connaîtrait pas.
M. Proust, Sodome et Gomorrhe.
L% observation de l'hindouisme « populaire », c'est-à-dire de la reli
gion pratiquée à des fins pragmatiques, a mis en évidence l'ambi
valence des divinités du panthéon en soulignant l'ambiguïté des
représentations qui y étaient attachées, notamment cette juxtaposition de pro
tection et punition qui caractérise la plupart des divinités locales : aussi bien
celles dont dépend la santé ou l'affliction que celles auxquelles on doit la
chance ou l'infortune, voire la misère ou la prospérité. Non seulement la nature,
bienveillante ou malveillante, de ces personnalités divines reste le plus souvent
en suspens lorsqu'elle ne s'inverse pas subitement, mais l'iconographie et les
* Les données recueillies dans cet essai proviennent de deux enquêtes effectuées dans le Karnataka ;
l'une en 1991 financée par le Ministère de la Recherche et de la Technologie, l'autre en 1992 par la
fondation Fyssen.
L'Homme 131, juil.-sept 1994, XXXIV (3), pp. 29-55. JACKIE ASSAYAG 30
attributs de chacune peuvent varier en fonction du lieu ou du moment. En sorte
que l'ethnographe indianiste, quelle que soit la région où il travaille, s'épuise à
déterminer les figures des panthéons dont il prétend rendre compte.
Constat ampliatif plus on descend jusqu'au niveau «inférieur» du pan
théon, et davantage encore lorsqu'il s'agit de brosser le portrait d'« êtres » que,
pour les besoins de la traduction, on a coutume d'appeler « démons ». Car ces
<< puissances » aériennes et informes, qui hantent les espaces ouverts en
s' affranchissant des contraintes figuratives, paraissent indépendantes de la
société des dieux, échappant, pour une bonne part, aux évidentes relations qui
nouent les hommes à ceux-ci. N'étant pas des divinités de temple (dëvgudi)
(K) ! ou de village (uradadëvta) (K), elles ne se confondent pas avec les divini
tés individuelles (istadëvta) (K), lignagères (kutumbadëvta) (K) ou domestiques
(manëdëvaru) (K) ; bref, elles ne sont pas plus associées à la souveraineté qu'à
la défense de l'agglomération ou à la sauvegarde du patrician. N'ayant pas de
résidence, ni de fonction protectrice, bien au contraire, elles ne satisfont géné
ralement aucun vœu (harïkë) (K). À charge pour ces circonlocutions ébauchant
une théologie négative de suggérer que leur caractère indescriptible est syno
nyme de dangerosité.
Tandis que les hindous conçoivent les « démons », bhüt(a), ou pisäc(a) (K),
comme une espèce particulière de « déité » (daiva) (S) — terme générique qui
inclut les grands dieux : áiva, Visnu, Brahma — , les musulmans attribuent à
Allah lui-même la création des jänn (à partir du feu) simultanément à celle des
« anges » (faristah) (P) et des « démons » (shayâtïn) (P). Et si on a fréquem
ment relevé la complémentarité dans l'hindouisme populaire du « Seigneur des
démons » et de la Déesse (DevT) (S) — villageoise ou non2 — , un parallèle
avec les « saints » (pïr, wall (P) ou bäbä (T)) — tenus par les musulmans pour
des « Maîtres » (Shaikh, Mälik) (P) de démons bien qu'ils n'appartiennent pas à
la même catégorie qu'eux — n'a jamais, à ma connaissance, été proposé3. Or
l'intérêt du parallèle dépasse la mise en évidence in situ de l'acculturation, déjà
en soi assez complexe, des membres des deux communautés4. Car l'ethnogra
phie comparée des usages que font les acteurs du divin (hindou) et de la sain
teté (musulmane) atteste que les conceptions locales sur lesquelles ils se
fondent ne sont pas, loin s'en faut, contradictoires avec les traditions cano
niques respectives. D'où la vanité de ravaler la religion populaire à une forme
de superstition engluée dans le folklore.
1. La translittération des termes vernaculaires — indiquée pour le kannada par (K), pour l'arabo-per-
san par (P), pour le sanscrit par (S), pour l'arabe par (A), pour le turc par (T) et pour le tamoul par
(t) lors de la première occurrence — suit, autant que faire se peut, la prononciation locale.
2. Parmi les nombreuses références, retenons Dumont 1975, Biardeau 1981a, Reiniche 1975, 1981,
et Beck 1981.
3. Hormis la somme de S. Bayly (1989), mais sur un mode historiographique et non anthropologique.
Aussi s'étonne-t-on que l'ouvrage de C. W. Troll, Muslim Shrines in India (1989) — par ailleurs
excellent bien qu'il néglige le sud du sous-continent — laisse de côté cette dimension constitutive
de l'islam indien ; sans doute cela tient-il au privilège qu'il accorde aux « grands » dargäh très
— trop ? — connus qui font écran à une approche de l'islam populaire.
4. Pour des exemples régionaux de cette acculturation complexe, voir Assayag 1992b, et s.d. Pouvoir contre puissances 31
Selon l'hindouisme lettré, en effet, les « dieux célestes » (deva) (S) et les
habitants du royaume des ténèbres (asura) (S), quoiqu'en permanent rapport
d'hostilité, sont consanguins (Biardeau 1981b : 294) : identique est leur nature,
seule leur fonction diffère comme le jour se distingue de la nuit en la chassant
(O'Flaherty 1976 : 58) ; encore qu'on puisse légitimement douter qu'un type de
dieu(x) ou de déesse(s) représente une fonction unique en système polythéiste
(Toffin 1992 : 690).
Quant à l'islam scripturaire, non seulement les jänn y sont pleinement
acceptés mais il leur confère un statut légal bien que controversé. À preuve,
dans le Qu ran, la compénétration de leur monde et de ceux des « anges »
(farishtagän) et des « êtres sataniques » (shayatïn) qu'incarne l'équivoque
figure d'Iblîs qui appartenait à une tribu d'anges (aj-jinn) (P) avant sa malédict
ion (Me Donald & Massé 1961 : 549 ; Fahdh 1971 : 176-177).
Afin de cadrer les observations qui vont suivre — principalement effectuées
dans le nord Karnataka lors de cultes à des saints musulmans (pîr) spécialisés le traitement des « démons » — , précisons que les mausolées appelés dar-
gäh (P) sont majoritairement fréquentés par les castes subalternes de la société
indienne, mais entendue au sens large. Car l'attachement soit à l'hindouisme,
soit à l'islam, voire au christianisme5, y compte moins que l'efficacité d'un agir
visant à contrôler des « puissances » maléfiques qui s'imposent et se dérobent
tout à la fois. Surtout lorsqu'il s'agit de combattre la maladie ou l'affliction, les
appartenances religieus

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