Puškin, « Fils prodigue transfiguré » ou « Orgue vivant des dieux » ? - article ; n°3 ; vol.68, pg 413-422
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Puškin, « Fils prodigue transfiguré » ou « Orgue vivant des dieux » ? - article ; n°3 ; vol.68, pg 413-422

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Description

Revue des études slaves - Année 1996 - Volume 68 - Numéro 3 - Pages 413-422
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1996
Nombre de lectures 53
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur le Professeur André
Monnier
Puškin, « Fils prodigue transfiguré » ou « Orgue vivant des
dieux » ?
In: Revue des études slaves, Tome 68, fascicule 3, 1996. pp. 413-422.
Citer ce document / Cite this document :
Monnier André. Puškin, « Fils prodigue transfiguré » ou « Orgue vivant des dieux » ?. In: Revue des études slaves, Tome 68,
fascicule 3, 1996. pp. 413-422.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1996_num_68_3_6354POINT SUR LA QUESTION LE
PUSKIN, « FILS PRODIGUE TRANSFIGURE »
OU « ORGUE VIVANT DES DIEUX » ?
PAR
ANDRÉ MONNIER
Les lecteurs de la Revues des études slaves auront certainement beaucoup
apprécié l'article de Marie Sémon publié dans le tome LXVII (1995, fasci
cule 2-3) sous le titre Puškin, le Fils prodigue transfiguré, qui soulève la ques
tion très complexe de ľ« univers spirituel » du poète. La part de l'inspiration
religieuse, et plus particulièrement chrétienne, dans l'œuvre de Puškin, a été
trop souvent mésestimée, y compris avant la Révolution bolchevique, pour
qu'on ne se réjouisse pas de la voir soumise à une analyse précise et docu
mentée, qui réagit sainement contre certaines schématisations.
M. S. a parfaitement raison d'affirmer qu'on dénature l'œuvre de Puškin
lorsqu'on la prétend étrangère aux préoccupations religieuses et tout entière
confinée dans le scepticisme rationaliste que ses poésies de jeunesse manifestent
avec une allégresse provocante. Cette idée appauvrissante et tout simplement
fausse a pris corps dès le XIXe siècle, parallèlement aux interprétations de Gogoľ
ou de Dostoevskij, et elle est devenue pour des raisons évidentes le credo domi
nant de la critique soviétique. Il est pourtant indéniable que les railleries anticlé
ricales, les plaisanteries irrévérencieuses envers la liturgie ou les dogmes chré
tiens, tous ces prolongements de la libre pensée du siècle « philosophique » qui
culminent dans la Gabriéliade, et que les contemporains de Puškin englobaient
sous le vocable très approximatif de « voltairianisme », tout cela s'estompe peu
à peu et ne subsiste plus que sporadiquement dans les poésies de Puškin après
son retour d'exil en septembre 1826. Simultanément, les textes à thématique
religieuse auxquels se réfère M. S., et dont elle relève à juste titre la présence
dès 1817 (Bezverie) prennent une importance croissante, même si leur nombre
demeure au total assez limité. Plusieurs fragments d'écrits réflexifs en prose
confirment cette évolution dans les années trente, soit qu'ils manifestent un vif
intérêt pour la Bible, soit qu'ils reconnaissent dans le christianisme une étape
déterminante et positive de l'histoire humaine, ou encore qu'ils renversent l'ex-
idole en condamnant sévèrement Voltaire pour son ironie jugée dévastatrice1.
1. Cf. l'éloge de l'Evangile dans « Рецензия на перевод книги Силвио Пеллико
Об обязанностях человека » (1836), in : A. S. Puškin, Полное собрание сочинений, М.,
Rev. Étud. slaves, Paris, LXVIII/3, 1996, p. 413-422. 414 ANDRÉ MONNIER
M. S. se montre également soucieuse d'éviter le sectarisme critique d'un
autre bord, dont elle mesure le danger pour les études pouchkiniennes. Après le
Puškin « démocrate » et prophète de la révolution d'Octobre, voici que la Russie
offre de plus en plus souvent à notre adoration l'image pieuse d'un poète ortho-
doxe-puisque-national dont les meilleurs vers seraient voués à la prière ou à la
glorification du Seigneur. Ces oscillations du balancier idéologique ont pour
effet de malmener de toutes parts l'œuvre de l'écrivain le moins idéologue qui
soit. C'est pourquoi on ne peut qu'approuver l'auteur du « Fils prodigue transf
iguré » de commencer par affirmer que les aspirations spirituelles de Puškin
combinent des orientations diverses au sein d'un vaste syncrétisme religieux, où
Apollon et Dionysos côtoient l'Éternel, Mahomet ou le Christ. Puškin est bien
comme son prophète « languissant de soif spirituelle », mais il désaltère son
âme à plusieurs sources, incluant évidemment celle où la foi de ses ancêtres
l'incite à s'abreuver, et il lui arrive aussi de rester sur sa soif quand ces sources
lui paraissent purs mirages. Cela ne signifie pas que la religion n'intéresse
Puškin qu'en tant que phénomène culturel susceptible d'entrer dans son champ
de vision universaliste, si bien perçu par Dostoevskij. Le caractère protéiforme
de la quête de Dieu atteste sans aucun doute le refus de cloîtrer la réflexion
poétique dans les certitudes dogmatiques, mais on voit mal comment il pourrait
témoigner d'une indifférence de l'écrivain au domaine religieux. À moins de
réduire son œuvre à un habile maniement de formes et à un ensemble d'exer
cices d'assimilation stylistique sur des thèmes soigneusement affranchis de toute
relation à sa sensibilité personnelle !
M. S. est donc fondée à se poser la question essentielle des antinomies
pouchkiniennes. Elle le fait comme toujours avec beaucoup de finesse, de sens
des nuances, et une conviction communicative. Sa démarche n'en appelle pas
moins un certain nombre de réserves, soit qu'elle ne prenne pas en compte plu
sieurs textes importants, soit que son interprétation des œuvres citées tende à
gommer progressivement une poétique de l'ambivalence très caractéristique du
génie de Puškin parvenu à maturité.
L'antinomie, comme opposition de thèmes, d'images et d'idées totalement
incorporées à ces thèmes et à ces images, est une constante de la création poé
tique de Puškin. Il nous semble que le tort de M. S. consiste à la placer dans une
perspective purement évolutive impliquant un ultime dépassement de la contra
diction. Certes, les manifestations de scepticisme, de paganisme, voire de « nihi
lisme », sont objectivement évoquées, mais elles seraient autant d'indices d'une
ferveur religieuse qui s'ignore ou qui, provisoirement, s'égare jusqu'au
triomphe de la vraie foi dans les dernières poésies et au seuil de la mort.
L'attitude de Puškin envers le sacré présenterait une succession de moments
antithétiques qui jalonneraient un itinéraire chaotique vers la lumière divine, que
M. S. compare au cheminement spirituel des moines de l'Église d'Orient,
ponctué de chutes et de relèvements.
Cette comparaison n'est probablement pas une simple figure de style. Elle
révèle un glissement de critères qui tend à fausser l'analyse. La conduite des
moines s'apprécie en fonction de normes éthico-religieuses. Puškin, lui, ne con-
AN SSSR, 1937-1949, t. 12, p. 99 ; l'apologie historique du christianisme in «О втором томе
Истории русского народа H. Полевого» (1830), in ПСС, t. Il, p. 127 ; la critique de
Voltaire in «О ничтожестве литературы русской» (1834), in ПСС, t. 1 1, p. 268-272. « FILS PRODIGUE TRANSFIGURÉ » 415 PUŠKIN,
naît pas d'autres normes que les exigences spécifiques de la poésie, ni d'autre
finalité que la réalisation de l'œuvre d'art, quelles que soient les significations
que celle-ci irradie. Il ne « tombe » pas lorsqu'il jette au Ciel son fameux cri de
reproche et de détresse (« Дар напрасный, дар случайный... »), pas plus qu'il
ne se redresse quand il compose son acte de contrition en réponse au sermon
versifié du métropolite Philarète (« В часы забав... »). C'est parce qu'il est
toujours hissé sur les cimes de l'art qu'il confère une égale dignité poétique, et
par conséquent la même densité de pensée aux conceptions philosophiquement
contradictoires qu'il exprime. Le propre de son génie est d'unifier esthétique
ment les contraires sans les concilier ni les synthétiser, et sans peser sur l'un des
termes de l'antinomie. À l'instar de ces tragédies sans véritable dénouement
qu'il affectionnait, l'œuvre entière de Puškin ressemble à un drame monumental
où des voix discordantes ne cessent de s'interpeller. Et ces dialogues entre
croisés restent aussi ouverts que ceux de ses petites tragédies : ils n'ont pas de
fin, pas de conclu

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