Romanesque et énonciation «philosophique » dans le récit - article ; n°124 ; vol.34, pg 53-70
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Romantisme - Année 2004 - Volume 34 - Numéro 124 - Pages 53-70
Literature and philosophy may be, according to the approach and especially according to the era, either opposing or complementary discourses. Romanticism worked to make literature the privileged basis of all available discourses, be they aesthetic or intellectual. The novel, a polymorphous and polyphonic genre, could not fail to show interest in, and absorb, the discourses of philosophy, as well as all enunciative forms of reason. But through this process, the very conception of the dramatic interest of its contents, culturally assimilated to the novelistic , was renewed. Using the example of La Nouvelle Heloïse, the founding text, as well as certain fictions by Balzac and George Sand, this study shows the different modes through which the authors integrated the philosophical discourse and the discourse of ideas in the novel; a variant of this process may be found in the social novel of the second half of the nineteenth century.
«Littérature» et «philosophie» seraient, selon les approches, et surtout selon les époques, deux discours opposés, ou complémentaires. Le Romantisme a travaillé à faire de la «littérature» le support privilégié de tous les discours disponibles, sensibles ou intellectuels. Le roman, genre polymorphe et polyphonique, ne pouvait qu'accueillir avec intérêt les discours de la philosophie, et toutes les formes énonciatives du raisonnement. Mais c'est toute une conception de l'intérêt dramatique de son contenu, assimilé culturellement au «romanesque», qui en fut renouvelée. À travers l'exemple de La Nouvelle Héloïse, le texte fondateur, puis de certains récits de Balzac et de George Sand, cet article étudie les différents choix de modalisation du discours «philosophique» et du discours d'idées dans le roman, dont le roman social de la seconde moitié du XIXe siècle fut aussi une variation.
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 32
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Éric Bordas
Romanesque et énonciation «philosophique » dans le récit
In: Romantisme, 2004, n°124. pp. 53-70.
Abstract
"Literature" and "philosophy" may be, according to the approach and especially according to the era, either opposing or
complementary discourses. Romanticism worked to make "literature" the privileged basis of all available discourses, be they
aesthetic or intellectual. The novel, a polymorphous and polyphonic genre, could not fail to show interest in, and absorb, the
discourses of philosophy, as well as all enunciative forms of reason. But through this process, the very conception of the dramatic
interest of its contents, culturally assimilated to the "novelistic ", was renewed. Using the example of La Nouvelle Heloïse, the
founding text, as well as certain fictions by Balzac and George Sand, this study shows the different modes through which the
authors integrated the "philosophical" discourse and the discourse of ideas in the novel; a variant of this process may be found in
the social novel of the second half of the nineteenth century.
Résumé
«Littérature» et «philosophie» seraient, selon les approches, et surtout selon les époques, deux discours opposés, ou
complémentaires. Le Romantisme a travaillé à faire de la «littérature» le support privilégié de tous les disponibles,
sensibles ou intellectuels. Le roman, genre polymorphe et polyphonique, ne pouvait qu'accueillir avec intérêt les discours de la
philosophie, et toutes les formes énonciatives du raisonnement. Mais c'est toute une conception de l'intérêt dramatique de son
contenu, assimilé culturellement au «romanesque», qui en fut renouvelée. À travers l'exemple de La Nouvelle Héloïse, le texte
fondateur, puis de certains récits de Balzac et de George Sand, cet article étudie les différents choix de modalisation du discours
«philosophique» et du discours d'idées dans le roman, dont le roman social de la seconde moitié du XIXe siècle fut aussi une
variation.
Citer ce document / Cite this document :
Bordas Éric. Romanesque et énonciation «philosophique » dans le récit. In: Romantisme, 2004, n°124. pp. 53-70.
doi : 10.3406/roman.2004.1257
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2004_num_34_124_1257Eric BORDAS
Romanesque et enonciation «philosophique» dans le récit
La présence d'« idées» dans un roman n'est jamais bien vue: cela choque, sur le
plan esthétique, comme une impureté, sans jamais convaincre sur le plan intellectuel,
comme une facilité. Le roman disqualifie l'idée, et l'idée discrédite le roman. Le pré
jugé délimite, littéralement, le XIXe siècle littéraire, dans ses repères les plus respectés.
En 1800, Madame de Staël est catégorique: «On ôte à l'analyse sa profondeur, au
roman son intérêt, en les réunissant ensemble.» ' En 1927, le grand œuvre proustien
rappelle la règle, en une comparaison accablante et destinée à devenir un sujet classi
que de dissertation de lycée: «Une œuvre où il y a des théories est comme un objet
sur lequel on laisse la marque du prix.» 2 «Analyse», «théories»: deux mots qui
décrivent le développement discursif de la raison, qui affirment, dans leur vertu syn
thétique, l'existence d'idées volontaristes dans le texte proposé. Entre ces deux réfé
rences majeures, le rappel revient, régulièrement, sous la plume des écrivains et des
critiques, presque toujours d'accord sur ce point, du moins dans les déclarations
d'intention: «Celui qui raconte ne doit pas disserter, sous peine de rendre son récit
ennuyeux et, du reste, hybride et ambigu. Celui qui enseigne ne doit pas raconter des
histoires.» 3 Même sans être l'adepte d'un «art pour l'art» vite suspect de stérilité, il
semblerait donc que l'écrivain ne doive pas mêler esthétique et raisonnement s'il ne
veut pas perdre sur les deux plans.
L'impératif soulève quelques problèmes: on s'attachera à la dimension énonciative
de la question. La présence d'« idées» dans un roman relève-t-elle nécessairement de
la «philosophie»? Mais surtout, qu'est-ce qu'une «idée», d'un point de vue formel? À
quoi l'identifie-t-on? S'agit-il d'un énoncé ou d'une enonciation? Une maxime, par
exemple, comme il s'en trouve beaucoup dans les romans de Balzac, de Stendhal, de
Sand, de Hugo, relève-t-elle nécessairement d'un discours d'« idées» parce qu'elle
impose l'autonomie d'une pensée à l'intérieur de la linéarité du récit factuel, parce que
son enonciation est de référence généralisante? Et cette enonciation est-elle pour
autant «philosophique»? L'incompatibilité affirmée des deux prétendus discours ne
serait-elle pas le reste d'une certaine mauvaise foi à l'égard du rapport à la fiction? On
s'interrogera donc sur les modalités, diverses et diversifiées, selon lesquelles «la
littérature», et en particulier sa réalisation moderne la plus forte, le roman, peuvent,
1. De la littérature, A. Blaeschke (éd.), Garnier, 1998, p. 249. La citation complète est la suivante: «je
répéterai [voir Essai sur les fictions, 1795] que, sous le rapport du mérite littéraire, l'on se tromperoit en
croyant donner plus de piquant aux vérités philosophiques par le mélange des personnages et des aventures
qui servent de prétexte aux raisonnemens. On ôte à l'analyse sa profondeur, au roman son intérêt, en les
réunissant ensemble. Pour que les événemens inventés vous captivent, il faut qu'ils se succèdent avec une
rapidité dramatique; pour que les raisonnemens amènent la conviction, il faut qu'ils soient suivis et
conséquens; et quand vous coupez l'intérêt par la discussion, et la discussion par l'intérêt, loin de reposer
les bons esprits, vous fatiguez leur attention; il faudroit beaucoup moins d'efforts pour suivre le fil d'une
idée aussi loin que la réflexion peut la conduire, que pour reprendre et quitter sans cesse des raisonnemens
interrompus et des impressions brisées» {ibid).
2. Le Temps retrouvé, dans M. Proust, À la recherche du temps perdu, J.-Y. Tadié (éd.), Gallimard,
coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1987-1989, t. IV, p. 461.
3. É. Faguet, Balzac, Hachette, 1913, p. 67.
ROMANTISME n° 124 (2004-2) 54 Éric Bordas
sinon produire de la philosophie, du moins figurer sa représentation active. Suivant la
leçon de Pierre Macherey, «on mettra en avant l'aspect opératoire, effecteur d' œuvres
réelles, qui noue concrètement le réseau à l'intérieur duquel littérature et philosophie
s'unissent en se transformant l'une l'autre»4.
Tout d'abord, il convient de rappeler, comme les autorités liminaires de Madame
de Staël et de Proust l'indiquaient, que la problématique est spécifiquement dix-
neuviémiste. L'interaction des idées et des Belles-Lettres, que celles-ci soient roman
ou poésie, ne semble pas poser de problème jusqu'au XVIIIe siècle: les «contes
philosophiques», les fables en tout genre, sont autant de variations appréciées du
modèle biblique de la parabole, qui passe par le détour de la fiction illustrative pour
délivrer un message explicite et didactique 5. Bien sûr, ces historiettes ne sont que peu
de chose, destinées aux femmes, à côté des discours intimidants de la science, mais
leur existence n'est pas critiquée.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, on assiste à l'émergence de la «littérature»
comme concept et comme référence, et cette nouveauté se définit tout de suite en une
dialectique avec la philosophie. Entre 1759, année où Lessing commence à écrire dans
la revue Brief e die neueste Literatur betreffend fondée par Nicolaï, et 1800, année de
la publication de De la littérature, précisément, premier ouvrage de sociologie historique
littéraire raisonnée, le terme «littérature» commence à être utilisé à la place de «Lettres»
ou «Belles-Lettres» pour désigner l'ensemble de la production écrite animée d'une
manifeste ambition esthétique, qui doit se suffire à elle-même. En somme, et s

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