Thèmes sociaux dans la poésie de Marina Cvetaeva - article ; n°1 ; vol.55, pg 217-229
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Description

Revue des études slaves - Année 1983 - Volume 55 - Numéro 1 - Pages 217-229
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1983
Nombre de lectures 18
Langue Français

Extrait

Madame Véronique Lossky
Thèmes sociaux dans la poésie de Marina Cvetaeva
In: Revue des études slaves, Tome 55, fascicule 1, 1983. Communications de la délégation française au IXe
Congrès international des slavistes (Kiev, 7-14 septembre 1983). pp. 217-229.
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Lossky Véronique. Thèmes sociaux dans la poésie de Marina Cvetaeva. In: Revue des études slaves, Tome 55, fascicule 1,
1983. Communications de la délégation française au IXe Congrès international des slavistes (Kiev, 7-14 septembre 1983). pp.
217-229.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1983_num_55_1_5317THÈMES SOCIAUX DANS LA POESIE DE MARINA CVETAEVA
PAR
VÉRONIQUE LOSSKY
Les thèmes sociaux apparaissent dans l'œuvre d'un poète lyrique lors d'une
confrontation entre son expérience intime et la réalité concrète dans laquelle il vit.
Cette peut engendrer une attitude critique ou même le refus d'un
monde imparfait qui ne peut le satisfaire.
La critique débouche parfois sur des prises de position sociales ou politiques,
à condition de superposer au réel vécu un monde meilleur dont les fondements
seraient : justice et égalité sociales et bien-être matériel. Les thèmes sociaux trouvent
alors une expression qui dépend de l'insertion sociale du poète et des choix qu'il
fait en face des biens du monde.
Marina Cvetaeva n'aime pas le monde dans lequel elle vit ; elle souffre de l'inadé
quation entre un univers rêvé, régne d'âmes pures, et la société de profiteurs matér
ialistes où elle ne trouve guère sa place, surtout après la révolution de 1917 en
Russie. Son insatisfaction revêt tour à tour dans son œuvre les formes du non-
conformisme, de la révolte, de la violation des normes sociales ou littéraires établies,
mais au lieu de s'attacher à construire une société idéale, Cvetaeva adopte dans son
œuvre des attitudes antinomiques, voire paradoxales. Si elle refuse l'injustice, si la
misère la révolte, elle affiche en même temps son mépris envers la possession
matérielle et ne peut en aucun cas en faire l'élément fondamental sur lequel s'édi
fierait un monde satisfaisant pour elle ou idéal.
La biographie même de Cvetaeva suggère la possibilité d'une évolution chronolog
ique des thèmes sociaux dans son œuvre.
Faisant partie de la classe aisée des intellectuels russes du début du siècle,
Cvetaeva ne devait pas, avant le cataclysme de 1917, se poser de questions sur les
aspects matériels de la société dans laquelle elle était insérée tout comme ses
proches, ses amis ou les gens de son milieu. Ainsi on trouve dans les vers de 1916,
année importante de son cheminement poétique, des phrases qui témoignent de
son indifférence à l'égard de la maison familiale ou des objets qui contribuent
au confort de la vie quotidienne. Par contre, après la révolution et pendant la guerre
civile, les thèmes de l'inconfort et de la maison dévastée seront développés pour des
raisons évidentes : qui donc, en 1919, vivait confortablement à Moscou ? La maison
Rev. Êtud. slaves, Paris, LV/1. 1983, p. 217-229. 218 V.LOSSKY
de Cvetaeva à cette époque était tout aussi froide et vide que celles de son entour
age. Ses écrits en prose se rapportant aux années 1917-1919 brossent un tableau
hallucinant de sa situation matérielle d'alors.
Dans ce contexte historique et biographique, Cvetaeva se plaît à décrire son
détachement envers la maison, symbole de sécurité et de durée, son insouciance
devant les soucis quotidiens. Voici un exemple de poème-formule :
Кто дома не строил -
Земли недостоин.
Кто дома не строил -
Не будет землею :
Соломой - золою...
- Не строила дома.
26 августа 1918
(P. 1341.)
La même bravade pousse le poète à décrire son emploi du temps avec la plus
grande fantaisie. Le premier vers d'un poème de la même année est suivi d'une
énumération d'actes apparemment ineptes, et dans sa deuxième moitié sont rassem
blés les fruits de ce comportement ; l'expression toute faite qui clôt l'ensemble
enlève tout tragique au texte :
Мой день беспутен и нелеп :
У нищего прошу на хлеб,
Богатому даю на бедность,
В иголку продеваю - луч,
Грабителю вручаю - ключ,
Белилами румяню бледность.
Мне нищий хлеба на дает,
Богатый денег не берет,
Луч не вдевается в иголку,
Грабитель входит без ключа,
А дура плачет в три ручья -
Над днем без славы и без толку.
29 июля 1918
(Р. 132.)
Et les mots slava et tolk du dernier vers sont compris exactement à l'opposé de ce
qu'ils signifient réellement.
L'expérience de la pauvreté en Russie après l'aisance de l'enfance va susciter chez
Cvetaeva une réflexion consignée dans ses journaux intimes de 1919. Un essai en
prose intitulé De la reconnaissance développe des idées que Cvetaeva, on le sait,
mettait en pratique : le don du riche n'est qu'un dû pour lequel le pauvre n'a pas
à témoigner de reconnaissance.
Moins nous apprécions les biens extérieurs, plus il nous est facile de les donner et de les
prendre et moins nous éprouvons de reconnaissance pour en avoir reçu. (T. I, p. 1032.)
La reconnaissance est décrite par Cvetaeva comme une forme d'amour acheté,
c'est-à-dire qu'elle est offensante pour le donateur qui s'adresse au tube digestif et
non à l'être-essence du nécessiteux. Le texte rassemble en formules incisives une
1. Tous les poèmes sont cités d'après l'édition : Marina Cvetaeva, Избранные произве
дения, M. - L., 1965.
2. Les œuvres en prose sont citées d'après l'édition : M. Избранная проза в
двух томах, New York, Russica, 1 979. THEMES SOCIAUX CHEZ CVETAEVA 219
condamnation sans appel de la richesse matérielle qui n'a à ses yeux aucune valeur ;
l'auteur ne se contente pas de prendre la défense de ceux qui reçoivent, elle en
appelle à la justice :
Le pain pour le mendiant, c'est le rétablissement de ses droits. (T. I, p. 104.)
A mesure que croît la pauvreté personnelle du poète et que les difficultés quoti
diennes s'amoncellent autour d'elle, Cvetaeva va mûrir en leur sein. Sa voix prendra
des accents d'indignation devant l'injustice et la honte, mais en même temps et
jusqu'au terme de sa vie, elle répétera inlassablement que l'argent ne fait pas le
bonheur, que l'homme ne se nourrit pas que de pain et que la vérité n'est pas sociale
ou collective, mais individuelle et personnelle.
Exilée à Prague, Cvetaeva fait connaissance avec la vie urbaine ordinaire et ses
avanies ; en même temps qu'un cycle intéressant et complexe intitulé les Arbres,
elle va créer le Poème des usines, que sa fille a appelé plus tard ľ« antithème » des
arbres. Le sujet en est bien « social » ; il comprend les éléments essentiels du genre :
l'usine avec sa fumée et sa sirène, le prolétariat, la lutte des classes. La misère
évoquée dans le poème est sordide et le poète prête sa voix à des personnages
doublement malheureux : à leur misère matérielle — faim, labeur anonyme et
ingrat, maladie — s'ajoute leur incapacité à dire leur peine, seule la plainte de la
sirène ponctue leur vie. Le mot russe est volontairement ambigu : truba signifie
tantôt la cheminée de l'usine, tantôt la sirène qui appelle au travail, tantôt la
trompette du Jugement dernier — reprise d'une image déjà présente dans certaines
œuvres de jeunesse et sur laquelle s'achève le Poème des usines :
И навстречу, с безвестной
Башни - в каторжный вой :
Голос правды небесной
Против земной.
1922
(Р. 213)
L'injustice, dont toute sa vie l'indigent est victime, doit donc être réparée par le
renversement d'un ordre inique. Pourtant, il serait vain de chercher dans ce poème
l'appel à une révolte organisée, et, encore moins, la représentation d'un ordre social
juste.
Une autre facette de l'indignation de Cvetaeva devant l'injustice est le rejet de
la satiété. Ne disait-elle pas dès 1918 :
Два на м иру у меня врага, близнеца - неразрывно-слитых :
Голод голодных - и сытость-сытых !
(Р. 133)
Ainsi les rats qui ont envahi la ville allemande bourgeoise et ordonnée du poème-
conte l

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