Thomas Couture ou le bourgeois malgré lui - article ; n°17 ; vol.7, pg 103-122
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Description

Romantisme - Année 1977 - Volume 7 - Numéro 17 - Pages 103-122
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1977
Nombre de lectures 14
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M Pierre Vaisse
Thomas Couture ou le bourgeois malgré lui
In: Romantisme, 1977, n°17-18. pp. 103-122.
Citer ce document / Cite this document :
Vaisse Pierre. Thomas Couture ou le bourgeois malgré lui. In: Romantisme, 1977, n°17-18. pp. 103-122.
doi : 10.3406/roman.1977.5128
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1977_num_7_17_5128Pierre VAISSE
Thomas Couture, ou le bourgeois malgré lui.
L'histoire de l'art au XIXme siècle est à récrire.
Non pas en appliquant aux faits connus ou crus tels les théories
de sciences sur la scientificité desquelles il est permis de nourrir
quelque doute, mais en essayant de combler les lacunes d'une
documentation qui en comporte encore beaucoup trop pour autoriser
des conclusions solides !
Gombrich reprochait à Arnold Hauser de fonder son interprétation
sociale de l'histoire de l'art sur des catégories stylistiques discutables
et qui, faut-il ajouter, reflétaient elles-mêmes une conception fort peu
sociale de de l'art 1. Tous les essais d'interprétation en sont
là : devoir prendre appui sur les résultats d'une recherche qu'il
conviendrait d'abord de remettre en cause, et ne pas tenir compte, par
hâte de conclure, de lacunes dans la documentation pourtant révéla
trices de jugements de valeur portés le plus souvent dans un esprit
étranger à celui de l'interprète. Les interprétations actuelles de l'art
du Х1Хше siècle, celles du moins que l'on rencontre dans les ouvrages
de vulgarisation, et parfois sous des plumes prestigieuses, ne font
guère qu'habiller d'un vocabulaire nouveau des opinions surannées
dont il faudrait commencer par soumettre la genèse à une analyse
critique.
Au centre de ces interprétations, la notion de bourgeois, qui sert à
qualifier, ou plutôt à disqualifier tout un aspect de cet art. On connaît
l'opposition manichéenne, et par là si peu historique, entre l'art
vivant lbis, et un art en qui s'incarneraient la suffisance et la sottise de
la bourgeoisie triomphante. Passons sur ses conséquences : la coupure
qu'elle établit entre des hommes, des œuvres, des idées qu'unissaient
des liens étroits nous prive des moyens de les comprendre2, et l'art
"bourgeois" condamné en bloc se transforme en cette nuit où tous les
chats sont gris, ce qui explique qu'on puisse lui reprocher à la fois
son idéalisme académisant et son réalisme photographique3. Pierre Vais se 104
La notion de bourgeois occupe le centre du problème. En retracer
l'histoire à l'intérieur de l'histoire de l'art serait une entreprise ardue
et de longue haleine. Le présent article n'a d'autre ambition que
d'apporter une pierre à l'édifice, sous la forme d'un texte inédit, suivi
d'un commentaire et précédé de quelques observations de principe.
Il existe, on le sait, plusieurs bourgeois. Tout d'abord le bourgeois
de l'historien, que définissent son activité, son mode de vie, son
comportement, sa mentalité, celui, par exemple, dont Adeline Daumard
a recherché par un patient dépouillement d'archives notariales la
trace à Paris de 1815 à 1848 4. Le bourgeois, ou plutôt les bourgeois,
du petit boutiquier vivant dans son arrière-boutique à l'héritier d'une
immense fortune peuplant d'objets précieux son hôtel, de l'habitué
des ventes de tableaux et d'art au visiteur annuel du Salon,
événement de la vie parisienne comme les revues de troupes ou les
courses à Longchamp5.
Ces bourgeois paraissent peu dans les ouvrages concernant l'art,
et pour cause : nous ne possédons encore, à quelques exceptions près,
d'études sérieuses ni sur le public des Salons et des galeries d'art
(quelques vignettes d'humoristes et les pages que lui consacre Zola
dans l'Œuvre ne suffisent tout de même pas pour s'en faire une idée),
ni sur les collectionneurs d'art moderne et le commerce d'art au
XIXm* siècle, véritable terra incognita d'un abord difficile et peuplée
de légendes6. En leur absence, les quelques éléments épars dont nous
disposions nous permettent de supposer que les amateurs de Delacroix,
de Courbet ou de Manet ne se recrutaient pas parmi les ouvriers en
blouse et que, par sa clientèle, l'art d'avant-garde mérite autant le
qualificatif de bourgeois que celui auquel on prétend l'opposer.
Pourtant "la nouvelle peinture ne peut être soupçonnée de complic
ité avec l'ordre bourgeois", affirme Gaëtan Picon, qui se fait l'écho
d'une opinion répandue, pour ne pas dire dominante7. En soi, la
question mérite d'être discutée ; tout dépend de la méthode adoptée
pour la résoudre. Les rapports de l'art à la clientèle, son degré de
dépendance à l'égard de celle-ci ont fait l'objet de débats théoriques
appuyés sur des recherches précises, qui toutes, malheureusement,
concernent des époques antérieures à la nôtre, comme si les historiens
de l'art avaient craint de s'engager sur un terrain trop difficile 8. Pour
le XIXme siècle, des affirmations semblables à celle de Gaëtan Picon
s'appuient, non sur l'analyse critique de ces rapports, mais sur une
conception du bourgeois fort différente de celle de l'historien, et
savoureusement décrite par Micheline Tison-Braun — du bourgeois
bouc émissaire, incarnation de tout ce que le XXm# siècle déteste, après
le XIXme, aurait-elle pu ajouter9. Lorsqu'elle conclut que "la plupart
des satires modernes du bourgeois sont ineptes", on doit préciser que
l'ineptie tient moins à l'outrance qu'à l'incohérence, car en elle s'ama
lgament des haines et des mépris d'origines contraires. L'hostilité entre Thomas Couture ou le bourgeois malgré lui 105
la blouse et la redingote était profonde au XIXme siècle, mais à l'image
du bourgeois vu par le faubourg Saint-Antoine se superposent celle
du vu par le Saint-Germain, par les nostalgiques
de la culotte à la française, et celle du bourgeois tel qu'on le voyait
des ateliers d'artistes, image complexe, où l'orgueil a sa part aussi
bien que les ressentiments. L'étude n'en a pas été sérieusement entre
prise par les historiens de l'art, peut-être parce qu'elle paraît trop
familière. Elle est en grande partie le négatif de l'image que les
artistes se faisaient d'eux-mêmes, et qui dépendait de leur situation
matérielle et morale. La description de quelques symptômes 10, quel
ques études qui portent en particulier sur les changements intervenus
depuis la fin de l'Ancien Régime и n'épuisent pas le problème. En ce
qui concerne la psychologie de l'artiste, il est regrettable, et significatif,
que R. et M. Wittkower aient cru devoir s'arrêter au seuil de notre
époque, jugeant le terrain trop vaste et trop accidenté 12, et le pamphlet
de J. Gimpel ne comble pas cette lacune, malgré des vues fort
pertinentes &.
Le bourgeois, c'est d'abord celui qui est exclu de l'élite à laquelle
les artistes ont le sentiment d'appartenir. Ils "nomment bourgeois
quiconque n'a pas droit de cité, comme les Romains disaient les
barbares", écrivait Félix Pyat en 1834 14. Tel il apparaît encore un
demi-siècle plus tard sous la plume du peintre de batailles de Neuville
dans une lettre à Manet, où il lui dit que le bourgeois "s'esbrouffera"
de sa croix 15. Le bourgeois ne comprend pas l'art ; d'où le mépris de
l'artiste. Mais c'est qu'il lui est interdit de le comprendre — sans quoi
l'élite n'existerait plus ! L'artiste a besoin du bourgeois pour se confort
er dans son sentiment de supériorité. Dans l'exorde de son Salon de
1846, Baudelaire a dénoncé ce pharisaïsme avec une remarquable
clairvoyance 16. La distinction qu'il introduit entre les techniques —
disons les moyens — des arts, dont la connaissance constitue le bagage
professionnel de l'artiste, et le sentiment de l'art, accessible à tous,
amène à se demander si l'importance prise par les problèmes formels
dans l'art depuis plus d'un siècle n'aurait pas été partiellement condi
tionnée par le désir, même inavoué, de prouver l'existence d'une élite
par l'incompréhension forcée du vulgum pecus, quitte à la dé

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