Une autre « fin des paysans » : ceux d Afrique noire - article ; n°85 ; vol.22, pg 33-59
28 pages
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Description

Tiers-Monde - Année 1981 - Volume 22 - Numéro 85 - Pages 33-59
27 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 16
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Jacques Lombard
Une autre « fin des paysans » : ceux d'Afrique noire
In: Tiers-Monde. 1981, tome 22 n°85. pp. 33-59.
Citer ce document / Cite this document :
Lombard Jacques. Une autre « fin des paysans » : ceux d'Afrique noire. In: Tiers-Monde. 1981, tome 22 n°85. pp. 33-59.
doi : 10.3406/tiers.1981.3999
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1981_num_22_85_3999UNE AUTRE « FIN DES PAYSANS »
CEUX D'AFRIQUE NOIRE
par Jacques Lombard*
L'affirmation est provocante, elle est à peine excessive, même lors
qu'elle vise un ensemble de pays dont les ressources sont tirées à 70 %
ou plus du secteur rural. H. Mendras avait utilisé cette formule à propos
du paysannat français dans les années soixante1, à une époque où les
contraintes agricoles transformaient le cultivateur traditionnel en un
véritable entrepreneur. La rationalité technique bouleversait les anciennes
logiques paysannes.
Certes, ce phénomène n'est pas totalement applicable à l'Afrique
d'aujourd'hui, où une partie importante de l'agriculture a conservé
son caractère traditionnel, ses cultures anciennes et ses techniques
ancestrales. Mais partout où le changement et l'innovation sont inter
venus, le paysannat africain a été atteint. Non pas que sous l'effet des
transformations agricoles il se soit mué, comme dans les pays économi
quement développés, en un corps de techniciens de l'agriculture, par
tout à la recherche des meilleures variétés culturales ou de l'utilisation
optimale de l'engrais, partout préoccupé de productivité ou de coût
minimum. Si le paysannat africain a été atteint, c'est que les interventions
extérieures (Etat, sociétés de développement, etc.) ont fait du paysan
un homme de moins en moins bien enraciné dans son terroir, fasciné
souvent par d'autres genres de vie et par l'éventualité d'un salariat, là
où la réussite agricole est difficile, stimulé au contraire, lorsqu'il a réussi,
par des stratégies d'exploitation et d'investissements capitalistes, pas
toujours strictement agricoles.
Autrement dit, les politiques du développement agricole ont
* Université de Lille I.
1. H. Mendras, La fin des paysans, sedeis, 1967, et A. Colin, 1970.
Revue Tiers Monde, t. XXII, n» 85, Janvier-Mars 1981 тм — 2 J« LOMBARD 34
contribué d'abord à accroître l'exode rural. Elles ont ensuite ruiné
l'économie paysanne, au sens que lui donne Chayanov, c'est-à-dire une
économie conduite par une unité familiale, travaillant sur sa propre
terre et avec ses moyens de production; elles l'ont transformée soit
en un système d'économie étatisée sinon socialiste, où le cultivateur
devient étroitement dépendant de l'Etat, soit en un système capitaliste
où le producteur est aussi un salarié, soumis cette fois à un homme qui
possède la terre et les moyens de production.
Ainsi, dans tous les cas, l'autonomie de la production paysanne et
sa base familiale ont été fortement atteintes, soit que le paysan ait été
transformé en un ouvrier agricole du gouvernement, producteur indi
viduel et salarié des fermes d'Etat, comme en République populaire
du Congo, soit qu'il se soit mué, comme au Ghana ou en Côte-d'Ivoire,
en un « capitaliste » et homme d'affaires ajustant son comportement à
ses chances de profit et utilisant ses bénéfices en fonction d'intérêts,
pas toujours agricoles. Les études de Polly Hill, présentant le planteur
de cacao ghanéen comme un « capitaliste » rationnel, s'appuyant sur
une main-d'œuvre salariée plutôt que familiale, ont bien montré un
des types d'évolution non paysanne de l'agriculture spéculative2. Car
il n'y a de véritable paysannerie, comme Га montré encore T. Shanin,
que si l'exploitation reste familiale et dominée par l'activité agricole
intégrant la production, mais aussi la consommation3.
Quant au déracinement de ce paysannat, on a investi du temps et
de l'argent à en étudier les causes. On a cherché à comprendre les moti
vations déterminantes de l'exode rural, phénomène encore plus import
ant en Afrique qu'ailleurs. On a montré d'abord, et à juste titre, l'iné
galité des revenus entre citadins et ruraux, les privilèges économiques
et sociaux des premiers par rapport aux seconds. On a compris pour
tant peu à peu que ce n'était pas la seule pauvreté paysanne qui entraî
nait le départ de la ville et que les contingents de migrants n'étaient pas
composés des cultivateurs les plus démunis des zones les plus peuplées,
mais souvent de paysans dont la survie était loin d'être menacée. L'Ada-
mawa camerounais continue de retenir ses montagnards survivant au
prix d'une ingéniosité remarquable et grâce à des techniques élaborées,
alors qu'Abidjan, Accra ou Douala se peuplent de planteurs nantis en
provenance de leur arrière-pays. Mais si le café et le cacao contribuent
à stimuler paradoxalement l'exode rural, les échecs des grandes opérations
agricoles, comme celles du Bassin de la Volta au Ghana, ont entraîné
2. Polly Hill, Studies in rural capitalism in West Africa, Cambridge, up, 1970.
3. Theodor Shanin, Le paysan est bien là, Céris, nov.-déc. 1972. UNE AUTRE « FIN DES PAYSANS » : CEUX D' AFRIQUE NOIRE 35
le départ de 60 % des paysans anciennement installés, qui n'ont pu ou
voulu se recaser dans les nouveaux périmètres de culture4.
Ainsi, l'intervention extérieure, qu'elle soit positive par l'intr
oduction valorisante de cultures commerciales, ou négative par l'échec
de réaménagements techniques, conduit à une« déstabilisation» paysanne
et à un renforcement de l'exode rural.
Le développement agricole, tel qu'il est conçu jusqu'à maintenant,
n'a pas réussi à attacher le paysan à sa terre. On a cru longtemps que le
meilleur moyen de porter remède à la fuite vers les villes était d'améliorer
le niveau des revenus agricoles, de façon à combler le fossé grandissant
entre la campagne et les centres urbains. On s'aperçoit que les opérations
de développement, qu'elles se traduisent par l'apport de cultures ren
tables ou par des innovations techniques avec ou sans transfert de
population, risquent d'entraîner une encore plus grande mobilité pay
sanne, mobilité démographique et mobilité sociale se confondant sou
vent dans chacune des stratégies individuelles ou collectives. L'innovation
semble être allée à l'encontre de son objectif initial : maintenir en place
un paysannat par l'amélioration de ses conditions de vie.
Or, vingt ans après les indépendances africaines, l'impérieuse priorité
du développement agricole n'a jamais été aussi évidente, car les raisons
qui militaient déjà en i960 en faveur d'une telle politique se sont aujour
d'hui multipliées. Paradoxalement, plus cette nécessité apparaît avec évidence ;
moins grandes sont les chances des pays africains d'accroître leur production et
de faire face à leurs besoins alimentaires. Tant à cause du poids grandissant
de leur démographie que du fait du dépeuplement des campagnes au
profit des villes, où viennent se rejoindre paysans pauvres ou sans
terre, mais aussi exploitants et planteurs absentéistes et, depuis peu,
cultivateurs désabusés par les grandes opérations d'aménagement rural.
LES ECHECS DES IDEOLOGIES
ET LA PRIORITÉ DU DÉVELOPPEMENT AGRICOLE
En i960, comme aujourd'hui, les Etats se trouvaient et continuent
de se trouver devant deux types de situations. Ou ils sont exportateurs
d'énergie et de matières premières, auquel cas ils attendent de leur
agriculture qu'elle réponde à leurs seuls besoins alimentaires, et ils
4. J. A. Dadson, Land Use and Smallholder Agriculture in the Volta Bassin, in Maîtrise
de l'espace agraire et développement en Afrique tropicale, Colloque de Ouadadougou (dé
cembre I978), CNRST-ORSTOM, p. 131. $6 J. LOMBARD
financent leur développement industriel par le produit de leurs expor
tations non agricoles : c'est le cas de pays comme l'Algérie ou le Zaïre,
même s'ils n'y parviennent encore que parti

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