Wagner, ou le procès du XIXe siècle - article ; n°123 ; vol.34, pg 105-118
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Romantisme - Année 2004 - Volume 34 - Numéro 123 - Pages 105-118
Although Wagner defined himself as the theoretician of the work of art of the future , the forthcoming XXth century soon changed this supposedly figure of dawn into nothing but a beautiful twilight. From the promise of a new historical era regenerated by art, Wagner became a synthesis of the past, the entire XIXth century, of which he would, par excellence, present the spiritual face, with its most profound ambiguities. On his features would thus focus those of all the great men of this century, the spirit of which, marked by the grandeur and the sufferings, and conveying wonderful but dangerous utopias, would constitute a challenge for the following century, in charge of disposing of the embarrassing inheritance. To attack Wagner would therefore amount, in literature, to attacking a certain XIXth century, that of Romanticism, of the philosophy of history, of genius, of the sublime, of the dreams of the One and the Whole. But the trial of the XIXth century through Wagner would not probably have had such an importance if it had not been essentially the trial of the XXth century literature against the XIXth century music, which was admired and loathed at the same time, for the latter seemed more gifted thon the former to say the ineffable. Hence, this challenge occurred because, at the dawn of the XIXth century precisely, this literature conceived itself as absolute for the first time, and because at the same moment, music, the heralded queen of the complete work of art, began to represent its uttermost danger.
Wagner a beau s'être défini comme le théoricien de «l'œuvre d'art de l'avenir», le XXe siècle commençant n'a pas tardé à faire de cette figure prétendument aurorale, rien d'autre qu'un «beau crépuscule». De promesse d'une nouvelle ère historique par l'art régénérée, Wagner devient synthèse du passé, l'entier XIXe siècle, un siècle dont il offrirait par excellence, jusque dans ses plus profondes ambiguïtés, le «visage spirituel». En ses traits convergeraient ainsi ceux de tous les grands hommes de ce siècle, dont le génie, marqué par la «grandeur» et les «souffrances», porteur d'utopies magnifiques mais dangereuses, constituerait un défi pour le siècle suivant, chargé de faire un sort à cet héritage embarrassant. Faire le procès de Wagner reviendrait donc, en littérature, à dresser celui d'un certain XIXe siècle, celui du romantisme et de la philosophie de l'histoire, du génie, du sublime, des rêves de l'Un et du Total. Mais le procès du XIXe siècle à travers Wagner n'aurait probablement pas eu une telle importance s'il n'avait été essentiellement un procès de la littérature du XXe à l'égard de la musique du XIXe, admirée et détestée à la fois, parce que la seconde semble plus douée que la première pour dire l'ineffable. Ce défi s'est ainsi présenté parce qu'à l'aube du XIXe siècle précisément, cette littérature s'est pensée pour la première fois comme absolue et que, presque au même moment, la musique, reine annoncée de l'œuvre d'art totale, s'est mise à représenter son plus grand danger.
14 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2004
Nombre de lectures 25
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Timothee Picard
Wagner, ou le procès du XIXe siècle
In: Romantisme, 2004, n°123. pp. 105-118.
Citer ce document / Cite this document :
Picard Timothee. Wagner, ou le procès du XIXe siècle. In: Romantisme, 2004, n°123. pp. 105-118.
doi : 10.3406/roman.2004.1247
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_2004_num_34_123_1247Abstract
Although Wagner defined himself as the theoretician of the "work of art of the future ", the forthcoming
XXth century soon changed this supposedly figure of dawn into nothing but a "beautiful twilight". From
the promise of a new historical era regenerated by art, Wagner became a synthesis of the past, the
entire XIXth century, of which he would, par excellence, present the "spiritual face", with its most
profound ambiguities. On his features would thus focus those of all the great men of this century, the
spirit of which, marked by the "grandeur" and the "sufferings", and conveying wonderful but dangerous
utopias, would constitute a challenge for the following century, in charge of disposing of the
embarrassing inheritance. To attack Wagner would therefore amount, in literature, to attacking a certain
XIXth century, that of Romanticism, of the philosophy of history, of genius, of the sublime, of the dreams
of the One and the Whole. But the trial of the XIXth century through Wagner would not probably have
had such an importance if it had not been essentially the trial of the XXth century literature against the
XIXth century music, which was admired and loathed at the same time, for the latter seemed more
gifted thon the former to say the ineffable. Hence, this challenge occurred because, at the dawn of the
XIXth century precisely, this literature conceived itself as absolute for the first time, and because at the
same moment, music, the heralded queen of the complete work of art, began to represent its uttermost
danger.
Résumé
Wagner a beau s'être défini comme le théoricien de «l'œuvre d'art de l'avenir», le XXe siècle
commençant n'a pas tardé à faire de cette figure prétendument aurorale, rien d'autre qu'un «beau
crépuscule». De promesse d'une nouvelle ère historique par l'art régénérée, Wagner devient synthèse
du passé, l'entier XIXe siècle, un siècle dont il offrirait par excellence, jusque dans ses plus profondes
ambiguïtés, le «visage spirituel». En ses traits convergeraient ainsi ceux de tous les grands hommes de
ce siècle, dont le génie, marqué par la «grandeur» et les «souffrances», porteur d'utopies magnifiques
mais dangereuses, constituerait un défi pour le siècle suivant, chargé de faire un sort à cet héritage
embarrassant. Faire le procès de Wagner reviendrait donc, en littérature, à dresser celui d'un certain
XIXe siècle, celui du romantisme et de la philosophie de l'histoire, du génie, du sublime, des rêves de
l'Un et du Total. Mais le procès du XIXe siècle à travers Wagner n'aurait probablement pas eu une telle
importance s'il n'avait été essentiellement un procès de la littérature du XXe à l'égard de la musique du
XIXe, admirée et détestée à la fois, parce que la seconde semble plus douée que la première pour dire
l'ineffable. Ce défi s'est ainsi présenté parce qu'à l'aube du XIXe siècle précisément, cette littérature
s'est pensée pour la première fois comme absolue et que, presque au même moment, la musique, reine
annoncée de l'œuvre d'art totale, s'est mise à représenter son plus grand danger..
Timoîhée PICARD
Wagner, ou le procès du XIXe siècle
«Avec la même souffrance, la même grandeur que le siècle dont
il est l'expression totale, le dix-neuvième, se dresse à mes yeux
le visage spirituel de Richard Wagner. »
T. Mann '
«Belle conclusion pour le XIXe siècle!»
P. Claudel 2
La téléologie wagnérienne, telle qu'elle ressort de son œuvre et de ses écrits, c'est-
à-dire animée par la trilogie dialectique âge d'or/décadence/rédemption, met en avant
une figure essentiellement moderne du compositeur, une figure tout entière tournée
vers le XXe siècle, siècle où la parabole artistique de régénération historique qu'il a
proposée et s'est employé dès son époque à rendre tangible, devrait devenir historique
ment effective. Une figure de rupture donc, par rapport à un passé et un siècle dont le
contempteur qu'il a été a fait table rase, mais aussi une figure de promesse, promesse
que par-delà tous ces facteurs de séparation et de dégénérescence dont l'époque a été
si féconde, une aube nouvelle se lèvera sur la communauté enfin rassemblée en une
forme esthético-politique absolument et éternellement solide 3. Cette figure-là, nombre
des continuateurs européens de Wagner se sont employés à la nourrir en déclinant à
l'infini les définitions possibles de l'authentique œuvre d'art de l'avenir4, celle qui
opérera le correctif historique nécessaire à la vectorisation déclinante du devenir humain.
Progressivement cependant, les caractéristiques de cette figure toujours si superbe
ment future se renversent en leurs contraires, et de point de départ soumis à la clarté
du siècle nouveau, elle se transforme en borne terminale, en une figure symbolique de
fermeture qui, à la manière de ces finale dont il a le secret, condensent et synthétisent
toute la matière spirituelle et artistique d'un siècle; non pas une aube, mais pour para
phraser le mot célèbre de Debussy un beau crépuscule 5. Non pas l'amorce du XXe
1 Thomas Mann, Souffrances et grandeur de Richard Wagner, in Wagner et notre temps, Félix Bertaud
(trad.), Le Livre de poche, coll. «Pluriel», p. 55.
2. Paul Claude], Richard Wagner, rêverie d'un poète français, éd. critique et commentée par Michel
Malicet, Les Belles Lettres, 1970, p. 71.
3. Selon Wagner, un ferment décadent est venu infléchir vers le bas le vecteur historique qui sous-tend
le devenir humain. Son siècle a accentué cet infléchissement qui a connu deux décrochages historiques:
l'abandon de la tragédie grecque, puis celui du «grand art» chrétien. La séparation des arts, mimétique de la
fragmentation du corps social, en est la preuve manifeste. Seul l'artiste peut, lors du festival inverser les
signes de la décadence historique et, par l'œuvre d'art totale, régénérer l'homme. Le troisième acte des
Maîtres-chanteurs de Nuremberg (1868) et de Parsifal (1882) mettent en scène cette idée de façon explicite.
4. L'œuvre d'art de l'avenir est un des plus importants essais wagnériens. Le programme esthétique que
le compositeur y développe et amplifiera par la suite, sera abondamment commenté, repris, enrichi dans
différentes revues européennes d'inspiration wagnérienne.
5. Claude Debussy, Monsieur Croche et autres essais, Gallimard coll. «L'Imaginaire», 1971, p. 67.
«Wagner, si l'on peut s'exprimer avec un peu de la grandiloquence qui lui convient, fut un beau coucher de
soleil que l'on a pris pour une aurore» {Mercure de France, janvier 1903).
ROMANTISME n° 123 (2004-1) 106 Timothée Picard
siècle, mais bel et bien le XIXe siècle, dont la substance aurait en outre, comme la
physionomie des œuvres et la physiognomonie des génies qui le traversent, au premier
rang desquels Wagner, quelque chose d'à la fois tragique et grandiose.
Rien que de très banal peut-on penser, dans le traitement de ce paradigme historique,
qui ne demanderait finalement, comme tout paradigme, qu'à être surmonté, afin que la
création contemporaine véritablement vivante puisse avoir libre court sans rien devoir
servilement au prestige des figures antérieures, figures que, selon une démarche logique
et naturelle, l'on s'emploie à enterrer plus ou moins définitivement, en tournant sur
elles cette page de l'histoire de l'humanité que l'on considère désormais comme achevée.
Ce, afin que les ferments actifs contenus dans leurs œuvres s'estompent, que ce qui,
grâce à eux, s'est passé, soit dans une certaine mesure irrémédiablement dépassé.
Mais dans le cas de Wagner, ce processus de digestion historique - relevant plus
ou moins, il faut le dire, des utopies propres à la philosophie de l'histoire - s'effectue
particulièrement diffic

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