L archéologie corrobore-t-elle les mythes de fondation?
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L'archéologie corrobore-t-elle les mythes de fondation?

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Lorsque le thème de l'émergence de la cité dans l'antiquité est traité, il est étonnant de voir que bien souvent nous sont présentées des données religieuses et légendaires, au détriment de faits historiques. Cela semble s'expliquer par le fait que la création de la cité représente un bouleversement, une rupture de l'ordre ou du désordre alors connu. Il s'agit, par conséquent, et selon les sources littéraires, d'un évènement ressenti comme fondamental. Toutefois, ces données testimoniales ne nous permettent pas de comprendre comment cette naissance s'est historiquement déroulée. «Mais c'est sans doute la seule manière dont les Anciens étaient susceptibles de se représenter un tel phénomène. Comment le cadre de la cité était-il apparu? A se reporter aux textes des historiens antiques, le lecteur moderne risque 1d'être déçu: le problème n'est pas véritablement posé ». II- L'archéologie corrobore-t-elle le Mythe de fondation? «Si les textes qui sont censés nous parler de la fondation de la cité, demandent donc à faire l'objet d'un regard critique qui en dénonce le caractère de reconstruction 2théorique et anachronique, sur quoi peut-on se fonder? Bien sûr, sur l'archéologie ». C'est ce que nous tenterons de montrer dans la dernière partie de notre étude.

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Publié le 04 janvier 2013
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Langue Français

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 Lorsque le thème de l'émergence de la cité dans l'antiquité est traité, il estétonnant de voir que bien souvent nous sont présentées des données religieuses et légendaires,au détriment de faits historiques. Cela semble s'expliquer par le fait que la création de la citéreprésente un bouleversement, une rupture de l'ordre ou du désordre alors connu. Il s'agit, parconséquent, et selon les sources littéraires, d'un évènement ressenti comme fondamental.Toutefois, ces données testimoniales ne nous permettent pas de comprendre comment cettenaissance s'est historiquement déroulée. «Mais c'est sans doute la seule manière dont lesAnciens étaient susceptibles de se représenter un tel phénomène. Comment le cadre de la citéétait-il apparu? A se reporter aux textes des historiens antiques, le lecteur moderne risqued'être déçu: le problème n'est pas véritablement posé1».
II- L'archéologie corrobore-t-elle le Mythe de fondation?
«Si les textes qui sont censés nous parler de la fondation de la cité, demandentdonc à faire l'objet d'un regard critique qui en dénonce le caractère de reconstructionthéorique et anachronique, sur quoi peut-on se fonder? Bien sûr, sur l'archéologie2». C'est ceque nous tenterons de montrer dans la dernière partie de notre étude. Mais il est néanmoinsévident que l'interprétation des données matérielles que livre la fouille laisse large part àl'hypothèse et que la prétendue objectivité que certains voudraient attribuer aux donnéesissues de la fouille n'est qu'un leurre. Il me semblait intéressant de souligner le fait que denombreux vestiges ont été rapportés à tort ou à raison aux légendes de fondation.
1 Des vestiges éloquents?-
A. Le cénotaphe de Tarchon à Tarquinia
 Une caisse lithique fut mise au jour près du sanctuaire de l'Ara della Regina à Tarquinia.Il semble vraisemblable qu'il ait pu s'agir d'un cénotaphe en l'honneur de Tarchon3, le héros
1 D. BRIQUELet alii (dir.),La naissance de la ville dans l’Antiquité, Paris, 2003, p.10-11.2 D. BRIQUELet alii (dir.),La naissance de la ville dans l’Antiquité, Paris, 2003, p.12.3 Voir M. BONGHI JOVINO, « Tarquinia. Monumenti urbani», ds ds O. PAOLETTI (dir.),Dinamiche diSviluppo delle città nell’Etruria Meridionale: Veio, Caere, Tarquinia, Vulci (Atti del XXIII Convegno di Studi1
fondateur de la cité.Dans lesecteur B, c'est-à-dire au niveau du sanctuaire de l'Ara della Regina, sous l'autelalpha et suivant la même orientation que ce dernier, fut découverte cette caisse lithiqueconstituée de plaques de pressées ou pressurées. Le respect de l'orientation de l'autel nousconduit à penser qu'il devait s'agir d'un élément d'une importance notable.Sur le plan de la construction, il est possible, grâce aux fouilles, d'affirmer que, lorsque futconstruite la terrasse relative auTempio dei Cavalli Alati, au moment de la granderestructuration du IVe siècle avant notre ère, des blocs équarris furent mis en place autour dela caisse probablement de façon à former une plateforme sur laquelle l'autel alpha devaitreposer. D'autres blocs furent employés pour le remplissage de la caisse, d'autres encorefurent disposés sur les côtés de celle-ci dans l'intention évidente de préserver la petitestructure puisque son élimination aurait été certainement moins onéreuse4.La caisse lithique était oblitérée par un remblai d'argile qui a restitué du matérielcéramique datable de la première moitié du VIe siècle avant notre ère. Cela pourrait être lapreuve que la zone située devant le soubassement archaïque fut aménagée en terrasse deterre5.Ainsi cette caisse était comprise dans le sanctuaire de l'époque archaïque, à l'intérieur dupérimètre de l'enceinte sacrée regroupant, d'après les fouilles entreprises, le temple et la vasteterrasse se déployant au devant. Cette caisse, placée sur la terrasse même, était orientée Sud-Sud/ Ouest- Est- Nord.Il demeure toutefois difficile d'en tenter une explication. Il est, tout au plus, possible deprendre en considération certains données. Tout d'abord, la caisse lithique semble être unpoint focal et, par conséquent, un élément porteur pour le site. Puis, la décision d'établirl'orientation de l'autel alpha sur celle de la caisse rend cette dernière particulièrement'significative'.A ce propos, il convient de considérer que le terrasse était en phase avec leTempio Idevenu le plus grand temple urbain et que le complexe sacré s'insérait au sein d'un momenthistorique de réévaluation des origines et de changements socio- politiques opérés dans laEtruschi ed Italici, 1- 6 octobre 2001), Pise- Rome, 2005, p.309- 322 surtout p.320-321.4 F. CHIESA, « Lo scavo sulla terrazza del Tempio dei Cavalli Alati », dsTarquinia Etrusca, Rome, 2001,p.49.5 M. CUCARZI, D. GABRIELLI, C. ROSA, « Gli interventi della Fondazione Lerici all'Ara della Regina:lettura parziale del territorio circostante mediante magnetometria e carotaggi », dsTarquinia Etrusca, Rome,2001, p.61-64.
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cité, déterminés par le passage d'une société dirigée par un pouvoir aristocratique à unesociété de type tyrannique. La découverte de la caisse lithique en ce point fondamental du siteest en réalité beaucoup plus importante car elle nous amène à reconsidérer les interrogationsque suscitent le célèbre et lacunaire document épigraphique mis au jour à proximité du sitedurant les prospections archéologiques de P. Romanelli sur l'Ara della Regina.Il est nécessaire, en effet, de se demander si la découverte de ce “cénotaphe” n'est pas àenvisager comme un signe archéologique positif, à la faveur de la lecture du nom Tarchon surl'inscription découverte, dans le cadre du débat sur l'interprétation qui s'est ouvert. Lesopinions divergent. M. Torelli intègre les lettres manquantes de l'épigraphe de façon à lireTarchon6, J. Heurgon propose de substituer le nom du héros Tarchon par Holchonius ou unautre éventuel gentilice deprincipes de la Tarquinia étrusque7, plus récemment G. Colonnaest retourné sur l'argument offrant une contribution brillante et indirecte appuyant larestitution du nom Tarchon par le biais de la lecture du toponyme campanienHamae,déplaçant donc le problème sur les rapports entre Tarchon et la protohistoire de la Campanie8.Sur ces bases, il paraît utile de s'interroger plus longuement et de mener des travauxarchéologiques plus poussées afin de savoir s'il est légitime ou non de supposer que la caisselithique ait pu avoir ce caractère caché de cénotaphe, sur la terrasse duTempio I, destiné àperpétuer la mémoire du héros fondateur de la cité. Mais nous sommes dans le domaine del'hypothèse, toute affirmation positive serait purement arbitraire.
B. La déposition de Tagès à Tarquinia
La zone où se saisit l’influence tarquinienne semble ample et témoigne d’une mobilitéactive des habitants dans le territoire alentours. Dans ce cadre est lue la délimitation de la« zone sacrale » de laCivita(zone alpha) à côté de la cavité d’époque proto- villanovienne.Un enclos sacré renfermait un espace quadrangulaire, comprenant des attestations funérairesnotables. En effet, lorsque le sondage numéro six fut pratiqué dans lazone alpha de la zone
6 M. TORELLI, « un nuovo attacco fra gli Elogia Tarquiniensia », dsStEtr XXXVI, 1968, p.467- 470; M.TORELLI,Elogia tarquiniensa, Florence, 1975, p.142- 148.7 J. HEURGON, « un addendum aux Elogia Tarquiniensia », dsAC XXI, 1969, p.88- 91.8 G. COLONNA, « Una proposta per il supposto elogio tarquiniese di Tarchon », dsAtti Tarquinia, 1987, p.153-158.
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sacrée de Tarquinia, au niveau du prélèvement300, fut mis au jour le squelette (293) d’enfantâgé d’environ huit ans.Son crâne était orienté à l’Est, allongé sur le côté gauche, les os des bras placés le long desflancs et ceux des mains sous les restes, en partie réduits en poussière, des fémurs. Le défuntn’était pas doté de mobilier funéraire, exception faite d’un pendant et d’une aiguille, tousdeux en bronze, ainsi que de deux fragments de plomb, peut-être un anneau. Le pendant étaitretombé sous l’oreille droite tandis que l'aiguille était placée sur le thorax. Dans la zoneproche de la déposition, pour laquelle la présence d’une fosse est exclue, mais que l'on peutsupposer accompagnée d’une couverture d’argile partielle, étaient présents quelques débrisd’un niveau de plancher/ de châpe avec des traces d’écailles pressées à l'aide d'un instrumenten forme de massue servant à réduire en filasse ou la macque. De tels résidus de terrain et lesquelette même s’appuyaient sur une strate fine de terrain argileux. Le prélèvement de lastrate a restitué des fragments variés de céramiques àimpasto qui ont fourni une datation(phase IB). Parmi ceux-ci on dénombre de nombreux fragments parois décorées d'urnesprobablement biconiques, de jarres ovoïdes avec une lèvre continue que l’on peut rapporter àla même période, de tasses au bord continu et à vasque arrondie, d'autres aux lèvres distincteset à vasque arrondie, ainsi qu'un fragment résiduelle d’une urne décorée d’époqueprotovillanovienne finale. La chronologie du squelette a ainsi un terminusad quem situé aucours des dernières décennies du IXe siècle avant notre ère9.Les analyses paléo-anthropologiques ont établi que l’enfant de la fin du IXe siècleavant notre ère était épileptique et mourut d’une mort naturelle10. On a supposé que l'enfantavait été affecté dumorbus comitalis des Romains et indiqué un cadre interprétatif qui peutsûrement être mieux appréhendé à la lueur du tableau plus général de l'ensemble de la “zone11sacrée” .Il manquait au squelette la jambe gauche mais cette absence peut être attribuée à la fosse(soprastante) qui pouvait avoir perturbé de fait la déposition. Sur la base des caractérisitiquesde la découvertes, il semble indispensable de formuler une hypothèse sur le fait que la zone dela déposition, dont nous ignorons la forme et les dimensions, puisse avoir été entourée d'un
9 M. BONGHI JOVINO, C. CHIARAMONTE TRERE,Tarquinia, testimonianze archeologiche e ricostruzionestorica, scavi sistematici nell’abitato : campagne 1982- 1988, 1997, p.41.10 G. BARTOLONI, La cultura villanoviana. All'inizio della storia etrusca, Florence, 1989, p.191.11 En ce qui concerne l'enfant, voir G. FORNACIARI, F. MALLEGNI, «I resti scheletrici umani», ds BONGHIJOVINO (dir.),Etruschi di Tarquinia, Modène, 1986, p.198-199.
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enclos en matériau périssable (a tutela) de la déposition même. Cette zone fut dénomméezonealpha.Les clés de lecture ont été variées pour cette individu : qu’il se configurait comme unphénomène rare et prodigieux, commemonstrum, avec des caractères propres d’uneexterminatio.  Cet individu albinos et hydrocéphale, qui renvoie au concept demonstrum12 està rapprocher de la tradition mythique et rappelle l’enfant- devin Tagète. Pour cet enfant, M.Pallottino a parlé deprodigium13 faisant ensuite allusion également à l'impureté et à lacondamnation desmonstra humains qui semblent présents dans les récits des auteursanciens14. En réalité, Tite-Live rappelle une situation analogue et raconte la naissance d'unecréature anormale advenue à Rome aux alentours de la fin du IIIe siècle avant notre ère; leprodige aurait été expié etrusco ritu par le sacrifice d'un nouveau-né et l'offrande à JunonReine, protectrice des naissances, d'une coupe d'or aux termes d'une procession de vierges etde matrones. Le rappel au lienprodigium- etrusca disciplina- Iuno Regina15 est justifié enparticulier si l'on regarde en diachronie en ce qui concerne ce qui est émergé dans le complexede laCivita16.Il pouvait également être l'expression du processus de symbolisation, au sein de lasacralité tarquinienne, maturée dans une progressive élaboration de la perceptionphénoménologique du divin de la part de la communauté. La dernière formulation avancéerenvoie aux très anciennes réunions qui avaient lieu dans la zone sacrée. Il est vraisemblableque dans la réalité de la communauté qui allait se structurant, ces hommes constituèrent unesorte d’entité pré- politique représentative qui légitimait le processus de symbolisation partagépar toute la communauté17.L'apparente contradiction entre le caractère prodigieux du lieu et la sépulture sansmobilier funéraire pourrait également trouver une explication. Il est possible de supposer que18cela était le fruit d'une connexion avec des phénomènes d'ordre religieux .12 M. BONGHI JOVINO,Tarquinia etrusca:Tarconte e il primato della città,Rome, 2008 p.22.13 M. PALLOTTINO, «Prolusione» , ds M. BONGHI JOVINO et C. CHIARAMONTE TRERE (dir.),AA.VV., Tarquinia: ricerche, scavi e propettive. Atti del Convegno internazionale di Studi : La Lombardia pergli Etruschi, Milan 24-25 juin 1986, 1987, p.281.14 M. PALLOTTINO, «Tarquinia : ricerche, scavi e prospettive. Presentazione dell’opera», dsAcme XLII,Milan, 1989, en particulier, p.7.15 C. CHIARAMONTE TRERE, «Altri dati dagli scavi alla Civita sugli aspetti cultuali e rituali », ds BONGHIJOVINO M., CHIARAMONTE TRERE C. (dir.), Tarquinia: ricerche, scavi e prospettive,Atti del ConvegnoInternazionale di Studi La Lombardia per gli Etruschi, Milan, 24- 25 juin 1986, Milan, 1987, p.82.16 G. MAGNETTI,Le teorie del segno nell'antichità classica, Milan, 1987.17 M. BONGHI JOVINO,Tarquinia etrusca : Tarconte e il primato della città,Rome, 2008, p.33-37.18 R. PERONI, «Protostoria dell’Italia Continentale. La Peninsola italiana nell’età del Bronzo e del Ferro», ds
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Il convient d'ajouter que dès le VIIe siècle avant notre ère, la zone de “complexe sacré”,la-ditezone alpha, est restructurée. La hauteur des murs qui entouraient la zone est inconnuedu fait de transformations datant de l'époque archaïque. Un élément d'évaluation provient dela construction d'un mur (US 103) qui conduit à penser à une délimitation du site où avait étédéposé l'individu 293 au cours du IXe siècle avant notre ère19.La question de l'inhumation “protégée” de l'enfant demeure complexe. Décédé entre septet huit ans, ne fut pas enfermé dans un cercueil ou entouré d'une “garde lithique et ne fut pasnon plus doté d'un mobilier funéraire, il portait seulement un pendentif de bronze et un (ago)sur le thorax qui avait probablement servi à fermer sa veste. Il fut (adagiato), à proximité de lacavité naturelle, simplement sur le terrain qui avait été préparé (mediante) un (strato) d'argilegranuleuse, puis recouvert par cette couche20.Cependant, il est utile de préciser que cet enfant n'est pas le seul à avoir été retrouvé dansla zone du complexe sacré. Pourquoi cet enfant, plus que tout autre, devrait être identifiécomme l'un des héros fondateurs de Tarquinia? Simplement parce qu'il est toujours tentant deconfronter les données issues de la fouille avec les données littéraires.
C. La tombe d'Ulysse à Perge, près de Cortone:
 Théopompe, fait émigrer Ulysse en Italie après son retour à Ithaque et lemassacre des prétendants, et plus précisément en Étrurie dans la ville qu'il nomme en grecCurtonaia. Les traditions anciennes nous présentent Ulysse en Etrurie et qui localisentégalement dans cette contrée, précisément à Cortone ou dans ses environs, sa sépulture nemanquent pas. A la différence des traditions antérieures, qui faisaient s’arrêter les navires duhéros à la hauteur de Rome, dans celle de Théopompe21, Ulysse aurait remonté le Tibre etserait arrivé dans la lointaine Cortone : à cette endroit il aurait trouvé la mort. Ulysse, quiétait très respecté en Étrurie, y était appelé Nanos, ce qui signifierait « errant ». A ce propos,PCIA IX, Bologne, 1989, 1989, p.290.19M. BONGHI JOVINO, C. CHIARAMONTE TRERE,Tarquinia, testimonianze archeologiche ericostruzione storica, scavi sistematici nell’abitato : campagne 1982- 1988, p.169.20M. BONGHI JOVINO, C. CHIARAMONTE TRERE,Tarquinia, testimonianze archeologiche ericostruzione storica, scavi sistematici nell’abitato : campagne 1982- 1988, p.158.21 Théopompe est un auteur grec du IIIe siècle avant notre ère.
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le scholiaste alexandrin Tzetzes, dans son commentaire de l'Alexandra de Lycophron,expliquait que Nanos n'était autre que le nom étrusque d'Ulysse et signifieraitvagabond22. Satombe se situerait sur le Mont Perge, non loin de l'actuelle ville de Pergo. Cette sépulturecontenait les restes du guerrier sage et prudent, du plus illustre des mortels, mort dans ce3pays2.L’érudition du XVIIIe siècle n’a pas manqué de lier une telle information àl’existence dans le territoire de Cortone d’une localité de Colline appelée Pergo, à quatrekilomètres de la cité sur la route menant vers l’Ombrie et le Tibre24. Cette signalisation trouveune confirmation dans l’onomastique25 même de Cortone, où se rencontrait, à l’époque deThéopompe, le gentilicePerkna *perce*, qui pourrait avoir été lui- même fréquent en Etrurie,comme toponyme26, survivant par la médiation latine sous l'appellation de Pergo. Pour uneoreille grecque, ou imprégnée de l’épopée grecque, le toponyme « perce » aurait évoqué laPergame homérique stimulant le lien ardu avec les pérégrinations tyrrhéniennes d’Ulysse27.
B. Lavinium: historicité du mythe?
Selon la mythologie romaine, qui liait de façon certaine la cité à Rome, Laviniumfut nommée ainsi par Enée en l'honneur sa femme Lavinia, fille du Latinus, roi des Latins,fils de Faunus, vers 1180 avant notre ère. Enée atteignit l'Italie et là combattit Turnus, roi desRutules. Il ne fonda pas Rome mais Lavinium, le principal centre de la Ligue Latine, delaquelle les gens de Rome descendirent. D’après les sources, nous sommes en mesured’établir que, au moins autour de 300 avant notre ère, il existait à Lavinium une légende quiattribuait à Enée la fondation de la cité, une légende qui avait une forte vitalité et consistancelocales, comme si elle résultait d’un lien direct (même dans les détails) avec les cultes et les
22 LYCOPHRON,Alexandra, v.1244.23 A. NEPPI MODONA,Cortona, Rome, 1920, p.12-14.24 Sur le lien, dû à M. VENUTI voir, M. NEPPI MODONA,op.cit., p.16, n.59.25 G. COLONNA, « Cortona e la leggenda etrusca di Dardano », ds G. COLONNA (dir.),Italia anteRomanum imperium, Scritti di antichità etrusche, italiche e romane(1958-1998),I. Tra storia e archeologia,1, Pise- Rome, 2005, p.193.26 G. COLONNA, «Nome gentilizio e società», dsStEtr XLV, 1977, p.175-192 et en particulier p.181 sqq.27 G. COLONNA, « Cortona e la leggenda etrusca di Dardano », ds G. COLONNA (dir.),Italia anteRomanum imperium, Scritti di antichità etrusche, italiche e romane(1958-1998),I. Tra storia e archeologia,1, Pise- Rome, 2005, p.193-194.
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monuments de la cité même. L’origine de la légende pourrait être considérée au regard duprestige des cultes de Lavinium : les motifs de l’épopée homérique sont perceptibles dans lesenvirons des sanctuaires ; ils pourraient d’autant plus facilement être le noyau originel de lalégende d’Enée fondateur et des Pénates de Troie ; la légende, toujours en considération durôle cultuel de Lavinium, n’eut aucune difficulté à être acceptée par Rome même.Il est banal de s'émerveiller sur la riche moisson des données archéologiquesqu'ont livrés depuis les années 1970 le site et les environs immédiats de Lavinium (Pratica diMare). Certaines de ces données confirment celles de la tradition littéraire; d'autres soulèventdes interrogations ou des controverses; certaines nous révèlent ou nous précisent des aspectsimportants de la religion latiale28.
a. Le sanctuaire d'EnéeSol Indigetis à Lavinium:
Près de l'embouchure du Fosso di Pratica, anciennement nommée Numicus29, surla bande constituée de dunes qui s'étendait entre la mer et la vaste dépression qui, dansl'antiquité (et jusqu'au XVIIe siècle) devait avoir été une large lagune, fut en partie fouilléepar F. Castagnoli30, près de la côte, à Tor Vaianica, dans les années 1966- 1967, une villad'époque impériale, dont les vestiges étaient plus qu'évidents sur les photographies aériennes.Sous la villa furent identifiés des structures et des matériels tels que des terres cuitesarchitectoniques31 et des objets votifs en terre cuite appartenant vraisemblablement à unsanctuaire existant probablement déjà au Ve siècle avant notre ère. La présence d'unsanctuaire à proximité de l'embouchure du Numicus, c'est-à-dire dans cette localité qui senommait Troie et où la légende plaçait l'arrivée d'Enée est d'un intérêt évident. La traditionlittéraire relie la vénération d'Enée au vieux culte lavinien deSol Indiges32. Indiges est unedivinité de l’obscurité liée au fleuve Numicus et identifié auSol Indiges (dans le sanctuaireprès de la côte), ou bien commeDeus Pater Indiges (près de Lavinium ou à Lavinium même),ou enfin commeEnée Indiges(Aeneas Indiges). Selon certains chercheurs, il pouvait avoir
28 F. CASTAGNOLI,Lavinium I, Topografia Generale, fonti e storia delle ricerche, Rome, 1972; ID.,Lavinium II, Le tredici are, Rome, 1975.29 Il faut donc abandonner la théorie ancienne qui consistait à identifier dans leRio Torto l’ancien Numicus.30 F. CASTAGNOLI, «I luoghi connessi con l'arrivo di Enea nel Lazio (Troia, Sol Indiges, Numicus) », dsArcheologia Classica XIX, 1967, p.235 sqq.31 G. DURY MOYAERS,Enée et Lavinium, Bruxelles, 1981, p.143-144.32 G. DURY-MOYAERS,Enée et Lavinium, Bruxelles, 1981, p.211.
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joué un rôle particulier dans la formation de la légende d’Enée : dans la figure de ce héros seserait personnalisée l’antique divinité des frontières à l’origine mal définie33. Il s'agit duLocusSolis Indigetis dont parle Pline l'Ancien. Le culte de l'Indigès se polarisait tant dans la zone del'embouchure qu'à proximité de Lavinium. Il se personnalisa ensuite dans la figure d'Enée, etdans ces deux lieux de culte distincts se développe, respectivement, la légende dudébarquement et celle de la mort du héros.Le site se trouve à 500 mètres de la ligne de côte actuelle et à 4,150 mètres (à vold'oiseau) de l'Acropole de Lavinium34, distance exacte rapportée par Denys d'Halicarnasse. Ondoit l'identification de ce lieu de culte à F. Castagnoli qui mit en liaison ce sanctuaire avec lessources relatives au débarquement d'Enée sur la côte laurentine. Il s'agirait précisément dulocus (oulucus?)Solis Indigetis évoqué par Pline l'Ancien35, « à proximité de l'embouchuredu Fosso di Pratica, l'antique Numicus », « un peu au Nord du Numicus », écrit G. DuryMoyaers36. Mais la carte que reproduit G. Dury situe celocus à l'Est de l'embouchure duFosso della Crocetta soit à quelque deux kilomètres au Sud duFosso di Pratica, ce qui estproprement déconcertant! C'est à quatre stades de la mer que Denys d'Halicarnasse situeTroia,pointd'accostage d'Enée et site du premier campement troyen37. C'est là que s'élèvent encore àl'époque de Denys d'Halicarnasse38 deux autels (l'un à l'Est, l'autre à l'Ouest) édifiés par lesTroyens pour offrir un sacrifice au Soleil en remerciement de l'eau que le dieu avait fait jaillirdu sol pour étancher la soif des navigateurs. Quand se fut réalisée la prophétie des tablesindiquant aux Troyens le terme de leurs errances39, la truie destinée au sacrifice s'échappa.Enée comprit qu'il s'agissait de l'animal qui devait les guider. Il la suivit dans sa course.L'animal s'arrêta sur une colline à 24 stades de la mer40, révélant à Enée l'endroit où il devaitfonder la nouvelle cité. La truie mit bas trente gorets symbolisant les trente année qui devaient33 G. DURY-MOYAERS,Enée et Lavinium, Bruxelles, 1981, p.159.34 F. CASTAGNOLI, « I luoghi connessi con l'arrivo di Enea nel Lazio (Troia, Sol Indiges, Numicus) », dsArcheologia Classica XIX, 1967, p.238. Le site archéologique avait déjà été repéré en 1910 par T. ASHBY,ainsi qu'en témoigne une de ses fiches manuscrites détenues par A. BOËTHUS, cf, F. CASTAGNOLI, « Iluoghi connessi con l'aarivo di Enea nel Lazio (Troia, Sol Indiges, Numicus) », dsArcheologia Classica XIX,1967, p.235.35 PLINE L'ANCIEN,Histoires Naturelles, III.56.36 G. DURY-MOYAERS,Enée et Lavinium, Bruxelles, 1981, p.213.37 DENYS D'HALICARNASSE,Antiquités romaines, I.53.3.38 En ce lieu même se développait également un culte à Vénus (FESTUS, 432 L :in litore Laurentis agri ;SOLIN, II.14 :nei castra, in agro Laurenti) ; Ce culte fut aussi lié à la légende du débarquement d’Enée (il estégalement mentionné un simulacre de Vénus avec un cheval).39 DENYS D'HALICARNASSE,Antiquités romaines, I.55.1-2.40 DENYS D'HALICARNASSE,Antiquités romaines, I.56.
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s'écouler avant la fondation d'une autre cité. Enée sacrifia la truie et ses jeunes41. Selon G.Dury Moyaers, si on convertit en mètres les distances données par Denys d'Halicarnasse,4,262 stades (=24 mètres) séparent l'Acropole de Lavinium du sanctuaire de Troia. Onpourrait donc affirmer, avec F. Castagnoli, que le lieu de culte révélé par les fouilles à 4,150mètres (en ligne droite) de l'Acropole de Lavinium est celui du Soleil. Le Locus SolisIndigetis de Pline l'Ancien. Alors qu'aujourd'hui cinq cents mètres séparent le sanctuaire de lacôte, Denys d'Halicarnasse renseigne 708 mètres (= stades), mais le littoral actuel peut être en3léger recul42. Toujours d'après le constat de G.Dury Moyaers, le témoignage de Strabon4 confirme presque parfaitement celui de Denys d'Halicarnasse. Selon celui-ci, Laviniums'élève à 24 stades de la mer, tandis que chez Denys d'Halicarnasse, la truie s'échappe à troia(c'est-à-dire à quatre stades de la mer) et parcourt encore 24 stades avant d'atteindre la collinede Lavinium. Cette imprécision de Strabon peut provenir d'une compréhension différente dela notion de côte:Troia, escale maritime, pouvait être considérée comme bord de mer bienque située dans un petit estuaire formant une enclave par rapport à la ligne de côte.OutreDenys d'Halicarnasse, de nombreux auteurs évoquent le débarquement des Troyens àTroia.Ainsi,Troia apparaît chez Tite-Live44: « De Sicile, Enée gagna par mer le territoirelaurentin. Ce lieu, lui aussi, se nomme Troia ».Selon Festus45, «Troia (est) un lieu enterritoire laurentin où Enée, en compagnie des siens, installa son premier campement enItalie ».Cependant, il ne semble pas que Pline “place le locusSolis Indigetis juste auseptentrion du fleuve Numicus”46. Le Naturaliste cite successivement Ostie, l'oppidumLaurentum, puis le fameuxlocus, le Numicus et Ardée. Autrement dit, Pline cite bien les citésen allant du Nord au Sud, mais les détails notables de leur environnement et de leur territoirene correspondent pas à un itinéraire rigoureusement “nord- sud”, puisque le Numicus coule auNord- Ouest de Lavinium (qui coïncide avec l'oppidum Laurentum). Denys d'Halicarnasse nesitue pas non plus les deux autels solaires près du Numicus, et quand il parle du hiéron Hélion
41 DENYS D'HALICARNASSE,Antiquités romaines, I.55. Denys situe certainement le sacrifice de la truie làoù s'élevait à son époque le sanctuaire de Vesta et des Pénates.42 D. ALBANI,Indagine preventiva sulle recenti variazioni della linea di spiaggia delle coste italiane, Rome,1933, p.32.43 STRABON,Géographie, V.3.2.44 TITE-LIVE,Histoires Romaines, I.1:Aeneam...ab Sicilia classe ad laurentem agrum tenuisse. Troia et huicloco nomen est.45 FESTUS, p.504L:Troia...locus in agro Laurente, quo primum Italiae Aeneas cum suis constitit.46 G. DURY MOYAERS,Enée et Lavinium, Bruxelles, 1981, p.214.
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aucun épithète ne prouve qu'il s'agisse de Sol Indiges, alors qu'à propos de l'hérôon proche duNumicus ( l'inscriptionpatros theou Chthoniou nous réfère indubitablement à Pater Indiges)47.Mais Denys d'Halicarnasse ne donne pas à penser qu'il se trouve près de la côte!Sur ce point, l'archéologie ne paraît pas élucider les données textuelles, fortimprécises sur la topographie religieuse. Il y eut probablement plusieurs lieux de culteconsacrés à l'Indiges. Les luci que Silvius Italicus48 attribue à l'Indiges (et peut-être faudrait-illire lucus et non locus Solis Indigetis chez Pline49) sont voisins des « lacs laurentins», ce quis'applique à la plaine marécageuse plutôt qu'à l'aride bande côtière. Mais on sait aussi qu'ilexistait jadis à l'embouchure du Fosso di Pratica une énorme lagune de quelque deuxkilomètres50, qui pourrait correspondre à l'évocation des Punica. Denys d'Halicarnasse n'a sansdoute pas tort d'affirmer qu'Enée « succède au dieu primordial en tant qu'ancêtre historique ».Les morts aussi sont censés agir dans le monde souterrain.
b. L'Hérôon d'Enée: Le- dit sanctuaire de laMadonnella, que l'on peut associer au culte d'Aphrodite(vénus), était situé au Sud de l'habitat de Lavinium, le long de la route directe allant de la côteà Albe; il était constitué de trois noyaux différents comprenant les Treize Autels (appartenantà des périodes diverses), un édifice rectangulaire voisin de ces derniers, et à environ centmètres à l'Est, l'hérôon de l'Indigète Enée identifié à l'endroit d'une sépulture princière datantdu second quart du VIIe siècle avant notre ère. C'est sur cette sépulture à tumulus, à lapériphérie de la zone sépulcrale, qui s'élève le long du parcours qui mène à la mer, que sematérialisa probablement le culte d'Enée. Les caractéristiques d’ensemble, la position prochedu Numicus (Fosso di Pratica) près duquel s’était déroulée la bataille entre les Latins et lesRutules, au cours de laquelle Enée disparut, et les dimensions mêmes du monumentcoïncident en tous points et ce, de façon extraordinaire, avec le texte de DenysdHalicarnasse51. Celui-ci affirmait, en effet, qu’après la bataille, le corps d’Enée, n’étantvisible en aucun endroit, certains en déduisirent qu’il avait été transporté parmi les dieux,d’autres qu’il avait péri dans le fleuve, près duquel avait eu lieu la bataille. Et les Latins lui47 DENYS D'HALICARNASSE,Antiquités romaines, I.64.5.48 Voir R. SCHILLING, « Le culte de l'Indiges à Lavinium»,REL LXVII, 1979, p.56 et voir SILIUSITALICUS,Les Guerres Puniques, VIII.39.49 PLINE L'ANCIEN,Histoires Naturelles, III.56.50 Voir DURYS MOYAERS,op. cit., p. 96.51DENYS D'HALICARNASSE,Antiquités romaines,I.64.4-5
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