La projection transnationale de lEtat-Nation dans les processus de mobilisation des diasporas : le cas roumain. ∗ Mihaela Nedelcu Sociologue et doctorante à lInstitut de Sociologie de lUniversité de Neuchâtel, mihaela.nedelcu@unine.ch
Résumé En mettant en évidence les changements opérés dans la politique de lEtat roumain vis-à-vis de ses ressortissants depuis le début des années quatre-vingt-dix, cet article analyse le rôle de lEtat dans la création dun espace transnational daction pour la diaspora. Nous examinerons comment est redéfini le projet national afin de mobiliser les migrants roumains, et notamment les élites hautement qualifiées, pour le développement du pays dorigine. Létude est basée principalement sur un nombre réduits dentretiens avec quelques acteurs-clé (représentants consulaires et de la diaspora), réalisés en 2003-2004, ainsi que sur lanalyse de textes législatifs et dautres documents élaborés entre 1990 et 2005, concernant plusieurs initiatives de lEtat qui participent à favoriser la création dun espace transnational de dialogue, de rencontre, de mobilisation, voire daction de la diaspora. 1. Introduction Leffondrement des systèmes communistes des pays de lEst à la fin des années quatre-vingt a provoqué, au cours de ces derniers quinze ans, non seulement lapparition dun nouvel acteur sur la scène migratoire mais aussi une diversification fulgurante des formes migratoires qui en sont issues. Dans le cas roumain, malgré le caractère récent de ces phénomènes migratoires, nous assistons au développement dune dynamique transnationale complexe (Potot 2003 ; Diminescu, 2003 ; Lagrave et Diminescu, 1999 ; Lazaroiu et al., 2003 ; Sandu et al., 2004), accélérée et démultipliée par lusage des technologies dinformation et de communication (Nedelcu, 2003, 2004). Cette dynamique sexprime, entre autres, par lémergence de nouvelles formes daction et de participation - tant socioéconomiques et culturelles, que politiques - des migrants par rapport à leur pays dorigine. Les appartenances et les loyautés multiples de ces derniers se déploient à travers des instruments très divers et la maturation de ces processus se traduit par linstitutionnalisation des liens et des échanges transnationaux. Plusieurs acteurs concourent à cette institutionnalisation : il sagit, dune part, de réseaux et dassociations de migrants qui sorganisent afin de fédérer leurs ressources et de maximiser les effets de leur action collective et, dautre part, de lEtat même qui cherche à mobiliser les ressources de la diaspora en faveur du pays dorigine 1 . Car, si lidentification socioculturelle des migrants à une nation dorigine et ∗ M. Nedelcu, 2005. 1 Pour comprendre les dynamiques des processus qui relient migrants et non migrants dans les différents espaces parcourus et de résidence, les concepts de diaspora et de transnationalisme méritent une mise en perspective très fine. Si, dans cet article, nous les utiliserons parfois de manière interchangeable, il sagit dune simplification voulue, dont nous sommes entièrement conscients. 1
linstrumentalisation dune citoyenneté flexible dépassent les limites territoriales, échappant parfois au contrôle de lEtat, ce dernier fait aussi des efforts pour adapter ses instruments afin de réincorporer la diaspora et dintégrer ainsi la prolongation de facto transnationale de la nation. En ce sens, cet article se propose de mettre en perspective le rôle quassume lEtat roumain dans les processus transnationaux reliant migrants et non migrants, dans les espaces de départ et daccueil. Nous voulons regarder, entre autres, quels sont les formes et les instruments institutionnels qui permettent et incitent, tout particulièrement aujourdhui, à la mise en œuvre de liens transnationaux connectant les migrants avec leur univers dorigine, dans lequel ils ont la possibilité dagir à distance (au niveau social, politique, économique). Afin de développer cette analyse, létude est organisée en quatre parties. Dans un premier temps, quelques brèves considérations théoriques faciliteront la compréhension, à travers lapproche transnationale, de la nécessité de repenser les cadres et les frontières de la vie sociale, pour redonner sens aux unités primaires traditionnelles danalyse – la famille, la citoyenneté, lEtat-nation. Tout cela, dans une perspective de simultanéité socioculturelle qui va au-delà de territoires géographiquement et politiquement bornés (Levitt et Glich-Schiller, 2003). Ensuite, pour mieux situer les processus migratoires contemporains, nous procéderons à un succinct rappel de lhistoire migratoire de la Roumanie moderne. En troisième lieu, nous allons mettre en perspective – à partir des données historiques – lévolution des rapports entre lEtat roumain et ses « fils errants » au fil du temps, depuis la fin du XIX ème siècle. Enfin, nos propres recherches de terrain ainsi que lanalyse de différents documents récents 2 nous permettront de nous interroger sur le changement de la politique de lEtat roumain vis-à-vis de ses ressortissants, intervenu au début des années quatre-vingt dix. Nous examinerons sur quelles bases procède-t-il à la (re)définition des projets et des stratégies nationales, et en particulier, quels sont les nouveaux outils institutionnels quil élabore pour mobiliser les « diasporians »– et notamment les élites hautement qualifiées. Cette mobilisation devrait contribuer à lachèvement des processus de transition économique et politique et, plus généralement, au développement du pays. Dun autre côté, nous parlerons aussi des initiatives des migrants, plus nombreuses et moins formelles, qui échappent souvent aux circuits institutionnels de lEtat mais qui simposent davantage par leur portée et par leur réussite. En conclusion, nous formulerons quelques remarques sur les difficultés darticulation et dharmonisation de ces différents types dinitiatives « par le haut » et « par le bas . » 2. Lapproche transnationale – une clé de lecture pour les nouvelles dynamiques migratoires Les dynamiques migratoires actuelles se sont beaucoup complexifiées, en raison des processus de mondialisation des marchés, de la prolifération des réseaux de transport et de la propagation 2 Cette étude se base principalement sur un nombre réduits dentretiens réalisés en 2003-2004, avec quelques acteurs-clé (représentants consulaires et du département des « Roumains de partout », représentants de la diaspora), dans le cadre dune recherche doctorale qui porte sur les stratégies de reproduction des capitaux des migrants hautement qualifiés. Sajoute à cela lanalyse de textes législatifs et dautres documents émis entre 1990 et 2005, portant sur plusieurs initiatives de lEtat qui concourent à la création dun espace transnational de dialogue, de rencontre, de mobilisation, voire daction de la diaspora.