Comment défendre la psychanalyse & La psychanalyse comme arme politique
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Dans quelques jours je vais enfin pouvoir consulter une correspondance échangée entre Augustin Hamon, intellectuel et militant socialiste en Bretagne et plusieurs autres militants de la région. Il y a en particulier des lettres de socialistes mobilisés durant la Première Guerre mondiale, souvent l’unique source pour mieux connaître leur parcours durant ce conflit. Je sais aussi qu’il y a en outre plusieurs lettres d’Yves Le Lay dont j’ai eu l’occasion de parler ici à quelques reprises. Et plus je lis d’articles de lui dans la presse socialiste, ou plus j’apprends dans les archives des renseignements sur lui, plus je me dis qu’il n’a pas la place qu’il aurait fallu ni dans l’histoire du mouvement ouvrier, ni dans l’histoire de la psychanalyse en tant que premier traducteur français de Freud et de Jung.
Les détracteurs de la psychanalyse ont-ils déformé le projet freudien pour mieux le critiquer ? Il y a des raisons de le penser, selon Vannina Micheli-Rechtman. Il reste que défendre
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La psychanalyse comme arme politique: retour sur Yves Le Lay
8 décembre 2012
ParBenoît Kermoal
Dans quelques jours je vais enIn pouvoir consulter une correspondance échangée entre Augustin Hamon, intellectuel et militant socialiste en Bretagne et plusieurs autres militants de la région. ïl y a en particulier des lettres de socialistes mobilisés durant la Première Guerre mondiale, souvent l’unique source pour mieux connaître leur parcours durant ce conit. Je sais aussi qu’il y a en outre plusieurs lettres d’Yves Le Laydont j’ai eu l’occasion de parler ici à quelques reprises. Et plus je lis d’articles de lui dans la presse socialiste, ou plus j’apprends dans les archives des renseignements sur lui, plus je me dis qu’il n’a pas la place qu’il aurait fallu ni dans l’histoire du mouvement ouvrier, ni dans l’histoire de la psychanalyse en tant que premier traducteur français de Freud et de Jung.
Retrouver l’ombre rouge d’Yves Le Lay . Photographie DR, août 2012
ïl faut reconnaître qu’il semble avoir bien séparé les deux domaines, mais à y regarder de plus près, on peut toutefois voir que ses deux activités, celle de militant et celle de traducteur des premiers travaux de la psychanalyse, se rencontrent dans certains cas qui obligent dès lors à l’étudier selon un axe d’étude plus large.
L’aaire de Bégard : Freud et les prêtres pédophiles
J’ai ainsi sous les yeux un article qui est paru le 24 avril 1927 dans l’hebdomadaire socialiste des Côtes du Nord,L’éveil breton.Le titre semble de prime abord anodin : «l’Aaire de Bégard». On peut, en eet, parfois s’étonner de voir que dans la presse militante socialiste, il y a aussi de nombreux entreIlets relatant tel ou tel fait divers lié à la vie locale. Mais dans ce cas, le fait divers est évoqué dans une perspective autre: il s’agit tout d’abord d’armer une combative identité laque, et
par la suite de déployer une argumentation teintée de psychanalyse qui devient une arme politique socialiste.
L’aaire de Bégard, un petit village des Côtes du Nord, concerne deux ecclésiastiques qui viennent d’être arrêtés en avril 1927 pour avoir contraint de jeunes enfants à avoir des relations sexuelles avec eux. Cette arrestation comme l’écrit Le Lay «fait beaucoup de bruit dans la région» et l’hebdomadaire socialiste n’hésite pas à l’utiliser comme un argument anticlérical. Les journaux à audience nationale de la SIo font de même puisqu’on peut lire plusieurs comptes rendus de l’aaire dansLe PopulaireouLe Midi socialiste[1].
Pour Le Lay, il s’agit davantage d’expliquer que c’est la naturemêmede la fonction de prêtre qui rend possible de tels actes pédophiles. ïl précise tout d’abord qu’il n’écrit pas cet article pour armer sa haine de la religion :
«Il ne nous plaît point de manifester à cette occasion la haine de la religion que nos adversaires nous prêtent et que nous n’avons jamais eue.»
Mais il apporte des éléments d’explication où les théories freudiennes sont bien apparentes : ce fait divers «apprend aussi que la sexualité refoulée conduit au vice» et qu’il est impossible selon lui que les prêtres puissent continuellement exercer leur vœu de célibat car «on ne lutte pas ainsi contre l’instinct sexuel, le plus puissant qui soit, le plus impérieux, le plus violent».
Si on retrouve ici un argumentaire où l’on perçoit aisément que Le Lay maîtrise parfaitement l’apport psychanalytique, on peut lire ensuite que le militant socialiste en tire un certain nombre d’enseignements pour armer la supériorité d’une éducation laque et s’opposer au «catholicisme de combat» que doivent aronter les socialistes en Bretagne.
Yves Le Lay : un parcours à suivre
Ce petit billet souhaitait aussi s’attarder sur la richesse des nombreux articles d’Yves Le Lay : bien souvent en eet, les publications socialistes départementales sont remplies d’écrits peu originaux, englués dans une rhétorique ennuyeuse associée à des développements théoriques superIciels. Avec Le Lay, c’est totalement diérent et ses écrits laissent apparaître l’esprit d’un intellectuel militant qui mériterait de ne pas rester dans l’oubli.
Dicile surtout de détacher mon propos du moment de lectures récentes, en particulierles romans noirs de Ken Bruenqui éclairent sous la lumière vive les errements de l’église irlandaise sur les crimes sexuels anciens ou récents de nombreux prêtres dans ce pays. Dans un
autre article, Yves Le Lay précise aussi ce qu’il pense de l’utilisation de la religion dans l’espace public et politique :
«Ah ! Comme ils se dressent sur le piédestal de leur religion ; comme ils se sentent ïers d’avoir « évité » la honte ; comme les soutanes tonnent contre le péché honteux, le péché de la chair, celui qui constitue dans leur monde artiïciel, le Péché par excellence.»
[1]On peut y apprendre que les deux abbés, responsables d’un collège catholique sont condamnés à plusieurs années de prison après avoir été reconnus coupables de viols sur des enfants de moins de 13 ans. Ce type d’aaire est fréquemment utilisée par les anticléricaux et la libre pensée. Voir à ce sujet, Jacqueline Lalouette,La Libre pensée en France 1848-1940,Paris, A.Michel, 2001.
Comment défendre la psychanalyse ?
parAlexandre Abensour[23-01-2008]
Les détracteurs de la psychanalyse ont-ils déformé le projet freudien pour mieux le critiquer ? ïl y a des raisons de le penser, selon Vannina Micheli-Rechtman. ïl reste que défendre la psychanalyse comme elle le fait peut sembler ne pas lui faire entièrement justice.
par Alexandre Abensour
Recensé : Vannina Micheli-Rechtman,La psychanalyse face à ses détracteurs, Paris, Aubier, 2007, 289 p., 21 euros.
La psychanalyse a toujours dû faite face à des critiques plus ou moins virulentes, plus ou moins fondées. Elles viennent essentiellement d’autres discours et pratiques cliniques (psychiatrie, divers courants de la psychologie) et de la philosophie, qui s’attaque à certains aspects du freudisme : son positivisme, son modèle familialiste, la centralité de la sexualité etc. En 2005, avec la publication duLivre noir de la psychanalyse, le débat se focalise surtout sur la violente polémique issue de psychologues comportementaux et d’historiens très critiques de l’œuvre de Freud. L’intérêt de l’ouvrage de Vannina Micheli-Rechtman est de prendre du recul sur cette actualité trop brûlante, et de présenter quelques-unes des grandes critiques philosophiques de la psychanalyse. L’auteur parvient ainsi
à situer, bien que trop succinctement, l’originalité de la place de Freud dans les débats épistémologiques du dix-neuvième et du vingtième siècles.
Quoi de neuf depuis Popper ?
En eet, l’introduction permet au lecteur français de se familiariser avec certaines critiques de la psychanalyse issues du monde anglo-saxon, et dont nous ne sommes pas toujours au fait. Quoi de neuf depuis Popper, serait-on tenté de dire ? On connaît bien les arguments de l’auteur deLa logique de la découverte scientiIque: la psychanalyse ore le modèle d’une pseudo-science, parce que ses énoncés sont non-réfutables. Dans le contexte des années trente, il était évidemment tout sauf anodin de montrer que le marxisme et la psychanalyse n’avaient de science que la prétention. L’argument reposait sur un paradoxe savoureux : ces deux théories sont d’autant moins des sciences qu’elles prouvent le plus… Vannina Micheli-Rechtman rappelle justement l’un des exemples favoris de Popper ainsi que son mode d’argumentation : « Popper prend (…) l’exemple des rêves contraires au désir, ou des cauchemars, et il examine les réponses de Freud à ces contre-exemples, à savoir qu’il peut exister chez un patient le désir de prouver à Freud qu’il a tort, ce qui sert à conIrmer sa thèse du rêve-désir. Ce sont là pour Popper à la fois une manière de déroger à la règle scientiIque qui veut que l’on se concentre, au sein de la construction d’une théorie scientiIque, sur les hypothèses les plus exposées aux démentis empiriques et une façon de produire un sentiment d’invincibilité qui n’est plus, selon lui, de nature épistémologique, mais sociologique » (pp. 22-23). Mais il faudrait voir s’il s’agit uniquement pour Freud d’une aaire de pouvoir sur ses patients, ou si le pouvoir est celui de l’interprétation elle-même dans sa capacité à faire sens. De toute façon, nous ne sommes plus dans le cadre des règles des sciences physiques, Freud n’ayant d’ailleurs jamais prétendu à ce type de rigueur, ne serait-ce qu’à cause de l’absence de mesure exacte de l’énergie psychique.
Mais, nous le disions, l’intérêt de cette introduction est de prolonger la critique classique par les travaux plus récents, et moins connus en France, d’Adolf Grünbaum (né en 1923), qui fut professeur de philosophie des sciences à l’université de Pittsburgh. Auteur notamment deThe Foundations of Psychoanalysis : A Philosophical Critique(1984, traduit en 1996, au PUF :Les Fondements de la psychanalyse), il développe contre Popper une critique résolument « physicaliste » de la psychanalyse. ïl s’agit pour lui de prendre au sérieux la prétention scientiIque de Freud, et de montrer que les principaux concepts freudiens, au premier titre le refoulement, sourent de défauts théoriques redoutables. De même, la prétendue validité pratique de la théorie est tout aussi faible. Grünbaum s’attaque à la fois aux relectures herméneutiques de Ricœur et d’Habermas, auxquels il reproche de ne pas tenir compte du causalisme physicaliste de Freud, et aux arguments de Popper, qui refusent de s’attaquer à la prétention proprement « physicaliste » du freudisme. Comme le dit justement Vannina Micheli-Rechtman, ce point de vue conduisant à physicaliser la psychanalyse pour mieux la réfuter est du pain bénit pour les partisans des sciences cognitives souhaitant remplacer la psychanalyse par une
étude scientiIque des mécanismes cérébraux. Plus généralement, cela conduit à s’interroger sur ces critiques qui refusent de prendre en compte la possibilité même d’une épistémologie propre à la psychanalyse. Si Freud lui-même, on l’a dit, n’a jamais prétendu que la psychanalyse appartenait au champ des sciences physiques, son univers de pensée, sa « Weltanschauung » ne pouvait cependant qu’être celle de la science, et non de la philosophie, de l’art ou de la religion.
Psychanalyse et herméneutique : contre Ricœur
Le corps de l’ouvrage est donc consacré à cette fameuse épistémologie propre au freudisme. Vaste sujet, fort intéressant, dont le lecteur attend beaucoup. D’où vient alors notre déception Inale ? D’une part, du manque de lien entre les trois grandes approches qui constituent les trois parties de l’ouvrage : le débat avec l’herméneutique, le positivisme et Wittgenstein. La troisième partie est particulièrement arbitraire : pourquoi privilégier la critique wittgensteinienne, aussi intéressante soit-elle ? Mais là n’est sans doute pas l’essentiel : le débat est seulement esquissé, au proIt d’une approche essentiellement historique. Dans chaque partie, nous trouvons en eet d’abord un résumé de l’histoire des notions en jeu. La première partie nous présente ainsi une petite histoire de l’herméneutique depuis l’antiquité, qui ne peut naturellement qu’être superIcielle compte tenu de la taille de l’ouvrage.
Les pages consacrées à Dilthey nous rappellent l’émergence de l’opposition fondamentale dans les sciences humaines entre explication et compréhension. L’originalité de Freud, selon l’auteur, est de tenir à la fois fermement à l’explication (c’est-à-dire au raisonnement causal) tout en puisant dans une théorie de l’interprétation la capacité de la psychanalyse à donner sens aux formations de l’inconscient. Tout cela est connu.
En revanche, Vannini Micheli-Rechtman montre de façon convaincante les limites de l’approche purement herméneutique de Paul Ricœur. Ce dernier ramène en eet l’interprétation psychanalytique à sa propre théorie qui consiste à faire de l’herméneutique un moment de réappropriation réexive du sens pour un sujet. Très justement, l’auteur insiste sur le fait que Freud a dû trouver des règles d’interprétation pour un matériel qui n’a aucune vocation à être compris. Freud montre ainsi la diérence entre le déchirage des langues anciennes et les rêves. Les langues sont « destinées à servir de moyen de communication, donc à être comprises d’une façon ou d’une autre. Or, c’est précisément ce caractère qui manque au rêve. Le rêve ne se propose de rien dire à personne et, loin d’être un moyen de communication, il est destiné à rester incompris » (ïntroduction à la psychanalyse, Paris, Payot, 1965, p.158, citée p.122). Citation fort intéressante, qui montre bien que Freud ne s’est jamais situé dans la tradition herméneutique
diltheyenne, mais qu’il a dû inventer une technique d’interprétation adaptée à un objet qui ne se présente pas seulement masqué, mais dont le masque est en quelque sorte l’essence même. On ne peut donc qu’être d’accord avec l’auteur de l’ouvrage quand elle conclut la partie sur l’herméneutique par ces mots : « Le rêve n’est pas un texte herméneutique en attente d’une méthode de déchirage ; c’est un processus inconscient soumis à des lois internes qui préIgurent l’agencement énigmatique qu’il va emprunter. La diérence est de taille puisque Ricœur déplace la question des règles sur la seule technique de l’interprétation, quand Freud situe ses règles au cœur même des processus inconscients » (p. 125). Cette observation suggestive devrait engager une réexion approfondie sur le statut même de l’interprétation freudienne. Car la question n’est pas réglée pour autant. Que le rêve soit destiné à n’être pas compris, cela permet-t-il pour autant de solder ainsi la position de Freud vis-à-vis des « Geisteswissenschaften » ? L’originalité de cette position peut-elle être tout entière contenue dans l’idée tant rebattue depuis Lacan que l’objet de la psychanalyse est le « sujet du symptôme » ? [1]
L’épistémologie du freudisme
Or, c’est Inalement la seule réponse qu’obtient le lecteur, à des questions pourtant légitimes. Freud fait subir une étrange torsion au champ bien délimité qui oppose à son époque les sciences de l’esprit aux sciences de la nature, en empruntant le langage causaliste du second pour produire des analyses interprétantes propres au premier. Plutôt que de prendre ce problème à bras-le-corps, l’ouvrage le découpe artiIciellement, en consacrant la deuxième partie au débat sur le statut de la science. Nous relisons là ce qui a déjà été écrit, notamment par Paul-Laurent Assoun (cité par l’auteur), sur les sources physicalistes du freudisme [2]. Nous n’apprenons là rien de nouveau, et, à notre étonnement, il n’est pas fait part de ce qui est peut-être la source la plus fondamentale de Freud, au-delà de l’épistémologie d’Ernst Mach : la philosophie de Schopenhauer. Comment comprendre l’étrange capacité de Freud de passer des modèles les plus strictement positivistes aux spéculations les plus métaphysiques sur les grandes pulsions, si l’on oublie le grand maître de la Volonté, dont certains des thèmes se retrouvent presque à l’identique dans le modèle du psychisme freudien : l’inconscient « hors-temps », le moi « surface », la sexualité comme passion des passions, le pessimisme foncier etc. Schopenhauer, est d’ailleurs lui-même un modèle essentiel pour les tenants du « serment physicaliste » de 1845 (Brücke, Helmholtz et Du Bois-Reymond), car il autorise à la fois la plus rigoureuse méthode scientiIque applicable au monde superIciel de la « représentation », et laisse la possibilité de spéculer sur les sources profondes, métaphysiques, à condition de bien respecter les limites…
Mais, là encore, Vannina Micheli-Rechtman se contente de citer les pages si connues de la 35ème Conférence [3] dans lesquelles Freud exprime sa méIance à l’égard de la religion… Certes, mais encore ? Et ce n’est pas le débat avec Wittgenstein qui nous éclairera davantage, puisque sa conclusion consiste à répéter qu’il faudrait que les détracteurs contemporains de la psychanalyse s’avisent de ce que cette discipline possède sa propre épistémologie, et qu’en
tentant de l’évaluer selon les critères de la science, on lui rend apparemment justice, mais pour mieux l’invalider. Là encore, Vannina Micheli-Rechtman a raison de dire que « cette démarche repose sur une confusion entre l’évaluation scientiIque d’une discipline (…) et la mise en évidence de l’épistémologie de cette discipline » (p. 271). Le lecteur applaudit des deux mains, mais, au moment où il voudrait enIn voir sérieusement s’entamer l’analyse de cette épistémologie propre, le livre se termine.
On peut faire alors deux hypothèses. Ou bien l’auteur prépare un autre livre. Ou bien, ce qui nous semble malheureusement le plus probable, le lecteur est censé se satisfaire de ce véritable fétiche conceptuel qu’est devenu dans les ouvrages de « défense » de la psychanalyse l’expression « sujet du symptôme ». ïl faudrait peut-être consacrer un ouvrage à cet objet étrange qu’est devenue cette formule, dont l’eet magique doit probablement faire taire toute discussion. L’auteur reprend ainsi sans aucune distance la référence lacanienne à Descartes, qui, avec le cogito, inventerait le « sujet de la science », ce sujet dans lequel s’inscrit la démarche freudienne. Selon Lacan, c’est cette inscription « scientiste », si critiquée, qui aurait au contraire permis à Freud de « découvrir » son objet propre, le « symptôme ». Mais, de ce « sujet du symptôme », nous ne saurons rien, sinon qu’il constitue le fondement de cette épistémologie de la psychanalyse, véritablefocus imaginariusvers lequel tend tout l’ouvrage, sans nous en livrer, malheureusement, la substance. En conclusion, on peut en eet se demander si c’est faire justice à Freud que de le défendre en brandissant une trouvaille lacanienne, fort habile certes, mais dans laquelle le maître de Vienne ne se serait pas reconnu : trop philosophique à ses yeux, mais au mauvais sens du terme, au sens où, pour lui, il y a dans la conceptualité philosophique un penchant à fuir le réel…
parAlexandre Abensour[23-01-2008]
Aller plus loin
Le site de Vannina Micheli-Rechtman :http://www.vanninamichelirechtman.net/
Un article de V. Micheli-Rechtman est disponible surhttp://www.etatsgeneraux-psychanalyse.net/...
Pour citer cet article :
Alexandre Abensour, « Comment défendre la psychanalyse ? »,La Vie des idées, 23 janvier 2008. ïSSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Comment-defendre-la-psychanalyse.html
Notes
[1] On peut de même être surpris de l’absence totale de référence à la tradition de la psychanalyse existentielle, représentée notamment par Ludwig Binzwanger (cf. par exempleDiscours, parcours et Freud, Paris, Gallimard, 1970). Cet auteur a tenté une relecture passionnante de la psychanalyse à l’aune de la phénoménologie existentiale heideggérienne. A la diérence de Ricœur, Binswanger est un clinicien, qui tente notamment d’élaborer une analyse existentielle des délires psychotiques. Parmi les grands oublis de l’ouvrage, il faut également mentionner l’ouvrage majeur de Karl Jaspers,Psychopathologie générale(1913). Jaspers est sans doute le premier à pointer cette « incohérence » du freudisme : utiliser un vocabulaire explicatif alors que les analyses de Freud relèvent eectivement de la « compréhension ».
[2] On peut citer notamment :Freud et les sciences sociales(Paris, Armand Colin, 1993),Freud, la Philosophie et les Philosophes(Paris, PUF, 1976),ïntroduction à l’épistémologie freudienne(Paris, Payot, 1980).
[3] « Sur uneWeltanschauung» (1915-1917), inNouvelles Conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984.
Livres & études> Extension du domaine de la psychanalyse
Extension du domaine de la psychanalyse
parHervé Guillemain[25-09-2008]
Quelles peuvent être les avancées de la psychanalyse à une époque où celle-ci semble en recul dans le champ psychiatrique comme dans l’université ? Deux livres émanant de la Société psychanalytique de Paris orent un début de réponse, en proposant notamment un retour aux fondements de la psychosomatique.
par Hervé Guillemain
Recensés : Paul Denis (dir.),Avancées de la psychanalyse, Monographies et débats de psychanalyse, PUF/RFP, 2008.
Claude Smadja,Les Modèles psychanalytiques de la psychosomatique, PUF, Le Fil rouge, 2008.
La psychanalyse dans la tempête
L’institutionnalisation de la psychanalyse a été tardive en France. En novembre 1926, quelques jeunes médecins, pour la plupart issus du groupe de L’Évolution psychiatrique, fondé un an auparavant, et de la Conférence des psychanalystes de langue française, créée en juillet 1926, se joignent à trois fortes personnalités : deux femmes qui ne pratiquent pas la médecine, Marie Bonaparte déjà analysée par Freud et Eugénie Sockolnicka, tête de pont freudienne auprès des psychiatres de Sainte-Anne, et un homme, Rudolph Loewenstein, analyste d’origine polonaise formé à Berlin, qui devient le didacticien de la première génération d’analystes français. Le groupe ainsi formé prend le nom de Société psychanalytique de Paris (SPP). ïl est loin d’être homogène : les clivages politiques et confessionnels y sont forts, le rapport à l’orthodoxie freudienne y crée des tensions récurrentes qui débouchent sur la scission historique de 1953, date de naissance de la dissidence lacanienne (sur laquelle revient André Green dans le premier volume recensé). C’est sur cette histoire que s’ouvre l’ouvrage collectif tiré d’un colloque tenu en 2006 pour fêter le quatre-vingtième anniversaire de la SPP et le cent cinquantième anniversaire de la naissance de
Freud (en 1856). ïl est publié dans une collection qui est le fruit d’une collaboration entre les PUF et laRevue française de psychanalyse, créée en 1927 par cette même SPP.
Si l’ouvrage paraît en 2008, le colloque s’est tenu dans un contexte tendu : celui de la publication duLivre noir de la psychanalyse (2005) et des réponses qui lui ont fait écho [1]. La guerre éditoriale des livres noirs et des contre-livres est aujourd’hui un peu apaisée, même si les enjeux de fond n’ont pas disparu. La psychanalyse est depuis les années 1980 l’objet d’oensives théoriques, historiques et pratiques qui sont devenues plus systématiques au début du XXïe siècle sous l’eet conjoint de plusieurs évolutions : la standardisation de la psychiatrie par le biais duDiagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders(DSM), qui rompt avec la psychopathologie analytique en s’attachant à cibler uniquement le symptôme pour le réduire ; l’extension de la psychopharmacologie qui sous-tend ce processus ; la pression des défenseurs des thérapies comportementales et cognitives qui, sous le paravent de l’évaluation scientiIque des pratiques, grignotent les positions universitaires des psychanalystes et trouvent des relais politico-législatifs ainsi qu’une certaine légitimité économique et sociale ; le progrès des neurosciences, qui joue aussi un rôle, mais peut-être moins à sens unique.
Si les expériences de neuro-imagerie promettent une révolution de la psychologie expérimentale – qui doit prouver régulièrement qu’elle ne répète pas les dérives de la phrénologie du XïXe siècle –, la marche des neurosciences donne lieu à des reconIgurations au sein desquelles la psychanalyse semble pouvoir trouver sa place. ïl faudrait interroger plus généralement, comme le fait Kapsambelis dans son article, la manière dont l’idéal du sujet porté par la psychanalyse se retrouve en inadéquation avec l’aspiration des contemporains à une autre étiologie des troubles psychiques, débarrassée de toute culpabilité ainsi qu’à une guérison rapide et peu coûteuse pour l’esprit comme pour le portefeuille. C’est toute la question de la causalité du mal – génétique, sociogénétique – qui se pose contre l’inuence de la psychanalyse. C’est aussi la question de la demande des patients, plus enclins à réclamer une « direction » – sous des formes variées, comme lecoachingou la thérapie comportementale –, se sentant comme
abandonnés face à la (ou l’absence de) position du thérapeute analyste. Des psychanalystes, on le sait, reviennent déjà à des techniques plus directives [2].
Psychiatrie et psychanalyse : histoire d’un désamour
Comment la psychanalyse peut-elle, dans ce contexte et dans une optique de Idélité à l’enseignement de Freud propre à la SPP, orir un mode de compréhension renouvelé de la société et de la thérapeutique ? C’est l’objet du volume collectif consacré auxAvancées de la psychanalyse.Quatre champs sont successivement évoqués : la relation entre psychanalyse et psychiatrie, la valeur de la cure analytique, la place du corps dans la société, la conception de la maternité. On s’arrêtera surtout sur le premier thème abordé dans l’ouvrage.
Dans l’entre-deux-guerres, à une époque où la psychiatrie ne se pratique qu’à l’hôpital, l’institutionnalisation de la psychanalyse française naît en grande partie d’un rapprochement précoce entre psychiatres et psychanalystes. La Seconde Guerre mondiale n’interrompt pas ce processus. Qu’ils soient lacaniens ou aliés à la SPP, les psychiatres ont contribué à diuser la pratique de la psychanalyse dans l’institution hospitalière au moment où celle-ci est travaillée par un double mouvement : une mise en cause de l’institution pendant la guerre, qui débouche sur les expériences de psychothérapie institutionnelle et les réformes de sectorisation ; une révolution pharmaceutique qui, à partir des années 1950, favorise une évolution sans précédent dans l’histoire de la thérapeutique psychiatrique. Les nouvelles problématiques de la santé mentale, dans un contexte de pénurie du service public et de régression de l’institution hospitalière, réduisent l’inuence de la psychanalyse sur la psychiatrie à partir des années 1970-1980. Les objectifs d’ecacité à court terme pour une profession dont le champ de compétences s’accroît sans cesse – addictions ou traumatismes par exemple – rendent plus attractives les méthodes de cure qui favorisent des résultats plus rapides et rendent apparemment moins pertinent le colloque singulier entre médecin et patient. Ce que Victor Sour, psychiatre des hôpitaux, résume ainsi dans ce volume : « La dimension nouvelle de santé publique à laquelle contribue fortement l’épidémiologie éloigne la psychiatrie d’une théorie générale du psychisme (qu’elle aurait pu emprunter à la psychanalyse) au proIt de techniques d’une bonne ecience, diusables facilement. […] Les traitements longs qui mobilisent des forces pendant plusieurs années pour un nombre réduit de patients voient leur place très contestée. C’est le cas pour la psychanalyse. »
La psychanalyse se trouve court-circuitée par le nouveau schéma « symptôme-cerveau » qui prévaut au sein d’une nouvelle déInition de la maladie mentale qu’elle ne reconnaît pas. La nouvelle campagne internationale contre la dépression, qui pousse au dépistage précoce et à la médication d’un trouble devenu épidémie [3] illustre parfaitement la manière dont les politiques de santé
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