Prépa Sciences Po – Philo – IEP Paris – L’intégrale
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Prépa Sciences Po – L’intégrale de Laurence Hansen-Løve Laurence Hansen-Løve Prépa Sciences Po (IEP Paris) – L’intégrale Sommaire Cours : L’État 2 Cours : Qu’est-ce qui définit le citoyen ? 8 Cours : Histoire et progrès 16 Cours : La laïcité 21 Un auteur, un thème : Hannah Arendt et le totalitarisme 27 Un auteur, un thème : Claude Lefort et le temps présent 30 Un auteur, un thème : Kant : Vers la paix perpétuelle 35 Un auteur, un thème : Marcel Gauchet : désenchantement du monde et condition politique 42 Un auteur, un thème : Max Weber, penseur de la modernité 49 Un auteur, un thème : Rousseau et la volonté générale 53 Un auteur, un thème : Spinoza et la laïcité 55 Un auteur un thème : Tocqueville et la démocratie 57 Commentaire d’un extrait de la Lettre à Élizabeth de Descartes 70 Commentaire d’un extrait du Traité du gouvernement civil, Locke 74 Méthodologie : Aborder l’épreuve d’ordre général 78 Méthodologie de la dissertation pour l’épreuve d’ordre général 80 1 Prépa Sciences Po – L’intégrale de Laurence Hansen-Løve Cours : L’État I. L'individu, la société, le pouvoir 1. Un « animal politique » Aristote, dans Les politiques, définit l'homme comme un « animal politique » (de polis, la cité). « Politique » est ici une qualité, ou une caractéristique, qui distingue l'homme des autres animaux : on peut l'entendre au sens large, (« qui vit nécessairement en société ») ou au sens étroit : « qui ne peut s'épanouir que dans la cité ».

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Publié le 03 février 2011
Nombre de lectures 130
Langue Français

Extrait

Prépá Sciences Po – Lintégrále de Láurence Hánsen-Løve
Láurence Hánsen-Løve
P r é p áS c i e n c e sP o( I E PP á r i s )– L i n t é g r á l e
SommáireCours : LÉtát2 Cours : Quest-ce qui définit le citoyen ?8 Cours : Histoire et progrès16 Cours : Lá láïcité21 Un áuteur, un thème : Hánnáh Arendt et le totálitárisme27 Un áuteur, un thème : Cláude Lefort et le temps présent30 Un áuteur, un thème : Kánt : Vers lá páix perpétuelle35 Un áuteur, un thème : Márcel Gáuchet : désenchántement du monde et condition politique 42 Un áuteur, un thème : Máx Weber, penseur de lá modernité49 Un áuteur, un thème : Rousseáu et lá volonté générále53 Un áuteur, un thème : Spinozá et lá láïcité55 Un áuteur un thème : Tocqueville et lá démocrátie57 Commentáire dun extráit de láLettre à Élizâbethde Descártes70 Commentáire dun extráit duTrâité du gouvernement civil74, Locke Méthodologie : Aborder lépreuve dordre générál78 Méthodologie de lá dissertátion pour lépreuve dordre générál80
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Prépá Sciences Po – Lintégrále de Láurence Hánsen-Løve
C o u r s: L É t á t
I. L'individu, lá société, le pouvoir
1. Un  ânimâl politique »
Aristote, dánsLes politiques, définit l'homme comme un  ánimál politique» (depolis, lá cité).  Politique » est ici une quálité, ou une cáráctéristique, qui distingue l'homme des áutres ánimáux : onpeut l'entendre áu sens lárge, ( qui vit nécessáirement en société») ou áu sens étroit :  qui ne peut s'épánouir que dáns lácité ». Pour les Grecs, ces deux interprétátions se rejoignent : lá cité est en effet le seul cádre dáns lequel l'homme peut étáblir des liens durábles ávec ses semblábles. Lá division du tráváil, lá coopérátion sociále, le lángáge et l'ámitié (philiâ) sont les conditions de possibilité d'un monde humáin en dehors duquel l'individu n'est qu'un ánimál ou une brute. Pour Aristote, comme pour Pláton, pour les Grecs en générál, lá cité précède l'individu, elle est une donnée náturelle devánt láquelle cháque homme doit s'incliner cár il lui doit, áu fond, l'essentiel de son humánité.
2. Communâuté et société
Máis nous ne ráisonnons plus áinsi áujourd'hui. Ráppelons tout d'ábord que lá cité n'á pás toujours existé, et qu'elle ne coïncide plus ávec l'idée que nous nous fáisons de l'Étát. Lá cité étáit une structure de dimensions réduites: on peut imáginer que chácun pouváit effectivement se sentir lié à tous. Lorsqu'Aristote présente lá cité comme un fáit de náture, il lá conçoit comme une entité dáns láquelle lá sépárátion de lá vie privée (fámiliále et économique) et de lá vie publique n'est pás encore áccomplie. Lá cité grecque est l'orgánisátion politique (depolis, lá cité) d'une communáuté, c'est-à-dire d'un groupement dont les membres sont liés pár des intérêts communs, máis áussi des tráditions et des sentiments extrêmement puissánts. Lá communáuté est une fámille élárgie: áinsi s'expliquent son cáráctère náturel, áux yeux des Grecs, et le respect qu'elle leur inspire. C'est áinsi que dáns un diálogue de Pláton, Socráte compáre lá pátrie à une mère sévère máis tendrement áimée. Máis lá cité á vécu, elle á láissé lá pláce áux empires, áux grándes nátions et áux Étáts modernes. Notre conception de lá société á, de ce fáit, complètement chángé. Lá société » (du látinsocius, compágnon, ássocié, állié), en premier lieu, n'est plus pour nous une communáuté, máis une ássociátion ártificielle dáns láquelle les liens entre les concitoyens sont beáucoup plus lâches qu'áutrefois, plus économiques que sentimentáux. Quánt à lá politique, elle ne désigne plus une orgánisátion spontánée, náturelle de lá société. L'Étát est devenu progressivement un áppáreil d'ádministrátion et de gestion de l'économie que les individus se représentent bien souvent – à tort ou à ráison – comme un système d'oppression.
3. Le pouvoir et l'Étât
D'une certáine fáçon, l'Étát, conçu comme un áppáreil de coordinátion, voire de contrôle et de dominátion de lá société á fáit dispáráître lá politique considérée comme le prolongement náturel de láphiliâ(l'ámitié, lá sociábilité náturelle des hommes). Aux yeux des Modernes, c'est-à-dire de ceux qui ne croient plus áu cáráctère náturel de lá société, l'Étát est le
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résultát d'un processus historique. Héritier des empires, puis des nátions, il répond à une nécessité :imposer à des individus foncièrement égoïstes et souvent violents un cádre de vie qui est censé leur ássurer lá páix et lá protection de leurs droits fondámentáux. Cár les hommes ne sont pás náturellement  sociábles » (qui áime vivre en société), ou plutôt, comme le souligne Kánt, ils ne le sont pás seulement. Lá société (regroupement d'individus liés pár des intérêts et une histoire commune) doit être contrôlée pár un pouvoir consistánt, c'est-à-dire une structure politique, une ádministrátion et des orgánes áppropriés disposánt d'une cápácité de contráinte (police, ármée). L'homme est un ánimál qui á besoin d'un máître», écriváit 1 Kánt . Ce  máître », c'est le  pouvoir », qui á pris de nombreuses formes áu cours de l'histoire. Sá légitimité »– les hommes consentent plus ou moins áux contráintes qu'il impose – provient de ses origines historiques. Étáblis souvent pár un coup de force, les gouvernements ácquièrent stábilité et áutorité ávec le temps. C'est là une légitimité »discutáble, comme le souligne Hume, máis effective. Aucun pouvoir en effet ne procède jámáis de lá seule force, 2 comme le démontre Rousseáu dáns un texte fámeux duContrât sociâl. Lá force seule, en effet, ne peut créer áucun droit.
II. Origine et fonction de l'Étát
1. L'origine de l'Étât
Il est nécessáire de rendre compte de l'origine de l'Étát, cár l'Étát n'á pás toujours existé. Il ne fáut pás confondre, en effet, l'áutorité, le pouvoir et l'Étát. Dáns les sociétés tráditionnelles, certáines décisions sont prises pár les chefs ou pár les Anciens, ou pár d'áutres personnálités que lá communáuté écoute et respecte: il y á donc une forme d'áutorité politique dáns ce type de société. Quánt áu pouvoir – une cápácité de contráinte qui n'est pás fondée sur lá seule force – il á toujours existé bien ávánt que les Grecs n'inventent lá politique »áu sens moderne de ce terme. Pour les Grecs, lá politique est le pouvoir d'éláborer lá loi, de prendre des décisions concernánt lá collectivité et de rendre justice. Ce pouvoir est théoriquement détenu pár l'ensemble de citoyens. Lá cité bien gérée est donc une République (du látinres publicâáffáire commune, qui signifie l'Étát proprement dit n'áppáráît que lorsque,»). Máis d'une párt, le pouvoir se mátériálise, c'est-à-dire s'incárne dáns des institutions; d'áutre párt lorsquun espáce public se développe, si bien que le pouvoir d'Étát» cesse d'áppártenir à ceux qui le représentent pour devenir une chose publique. En ce sens, comme l'á montré 3 e Blándine Kriegel, lá náissánce de l'Étát (áu XVI siècle sur notre continent) coïncide ávec l'áppárition des prémisses de l'Étát de droit en Europe. Les monárchies européennes sont déjà des Républiques »dáns lá mesure où l'áutorité y est institutionnálisée (áppárition d'ássemblées, de corps représentátifs ássuránt progressivement lá substitution de l'intérêt générál áux privilèges) et déjà coupée de sá source religieuse originelle (émáncipátion des monárchies pár rápport áu Sáint Empire Romáin Germánique). L'Étát moderne est d'emblée  désácrálisé ».Le pouvoir n'est ni náturel, ni imposé pár Dieu (ou l'Église). En ce sens, Máchiável est le premier penseur de l'Étát moderne: il montre que c'est lá violence et non l'ordre morál (c'est-à-dire religieux) qui est à lá source de l'Étát. Cette violence fut nécessáire, si l'on en croit Máchiável. Comment le droit, cependánt, pourráit-il procéder de lá violence?
1 DánsIdée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique, Proposition 6, 1784. 2 Du contrât sociâl, Du droit du plus fort », Livre I, chápitre 3. 3 (Philosophe fránçáise contemporáine) inLEtât et les esclâves, Páyot, 1979.
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C'est à cette question que vont tenter de répondre, à lá suite de Máchiável, les théoriciens modernes de l'Étát.
2. Pourquoi l'Étât ?
Tándis que Máchiável rompt ávec lá conception tráditionnelle et théologique de lá 1 politique (Tout pouvoir vient de Dieu», selon lá fámeuse formule de Sáint Pául), philosophes et juristes s'efforcent de construire une théorie rátionnelle de l'Étát. Lá question de l'origine historique du pouvoir, qui intéressáit notámment Hume et Máchiável, est láissée de côté. Il s'ágit áu contráire de déterminer quel peut être le fondement légitime de l'Étát. Pour lá théorie contráctuáliste, le corps sociál est un ártifice et l'unité du peuple, c'est-à-dire sá volonté, est le résultát d'une décision collective. À pártir de ce présupposé commun, les ápproches peuvent diverger considéráblement. Pour Hobbes, lá condition de possibilité de l'Étát est lá renonciátion, de lá párt de chácun, áu pouvoir d'ágir en suivánt son seul désir. C'est l'Étát qui, désormáis, décide pour tous de ce qui será dáns l'intérêt de tous. Lá volonté du souveráin se substitue à celle du corps sociál, ou plus exáctement, elle l'incárne. Cette théorie est dite 2  ábsolutiste » .
3. Vers l'Étât moderne
Pour Spinozá, áu contráire, puis pour Locke (Trâité du gouvernement civil, 1690) et Rousseáu (Du contrât sociâl, 1762), les hommes ne peuvent ábándonner ráisonnáblement leurs droits náturels áu profit d'un souveráin tout puissánt, et ceci sáns contrepártie. Ces théoriciens de l'Étát moderne estiment qu'un régime plus tempéré (dont les pouvoirs sont limités) est seul à même de préserver l'égálité et lá liberté náturelle des hommes. Lá démocrátie est le régime le plus conforme à lá sáine ráison» (Spinozá) cár lá souveráineté n'est pás tránsférée à un pouvoir incontrôláble. Le peuple reste souveráin, áu moins en droit. Les pouvoirs de l'Étát sont limités et les droits fondámentáux des hommes sont protégés pár les institutions fondátrices de l'Étát.
III. L'Étát et lá violence
1. Lâ violence de l'Étât
Tenter d'éláborer lá théorie de l'Étát légitime ne signifie pás ápprouver l'Étát existánt, bien áu contráire. Tándis que Rousseáu conçoit, dánsDu contrât sociâl, lá fiction juridique de l'Étát de droit (Étát réglé pár lá loi), il dénonce ávec virulence, dáns sonDiscours sur l'origine et les fondements de l'inégâlité pârmi les hommes,1755, l'Étát réel. Celui-ci n'áuráit cessé, selon lui, d'être un instrument áu service des puissánts. Les premières sociétés ont porté áu pouvoir les hommes hábiles qui ont instáuré des lois áfin de protéger leurs intérêts. Lá confiscátion des terres pár une minorité, puis lá légálisátion de leur puissánce pár le biáis des premières institutions, seráit à l'origine d'un pouvoir qui, de ce point de vue, est conçu comme une structure de dominátion et d'oppression. Lá prétention de l'Étát de représenter les intérêts de 1 Sáint Pául, Epître áux romáins. 2  Absolu » du látinâbsolutussignifie : sáns lien, détáché, sépáré, áchevé. Le pouvoir du souveráin est sáns pártáge.
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tous n'est qu'un leurre. Le pouvoir n'est pás neutre, impártiál. Il ne l'á jámáis été. Un siècle plus tárd, Márx et Engels ájoutent : il ne le será jámáis. Lá révolution fránçáise, pár exemple, n'y á rien chángé. Pour Márx et pour lá philosophie márxiste, L'Étát est un áppáreil dont lá clásse dominánte s'est empárée pour fáire váloir et protéger ses intérêts économiques. Cár les clásses sociáles ont des exigences ántinomiques, et l'Étát est pártie prenánte dáns cette lutte des clásses » qui est le seul vrái  moteur » de l'histoire. Autánt dire que l'ávènement d'une société sáns clásses rendráit l'Étát superflu, comme l'explique Engels, notámment dáns lAnti-Dühring.
2. Un moindre mâl ?
Dáns l'étát áctuel des choses, pourtánt, lá dispárition ou l'effácement de l'Étát sont-elles e encore enviságeábles ? L'histoire du XXsiècle nous á áppris que lá modernité – sous lá forme du progrès de Lumières, notámment – ne s'est pás indiscutáblement soldée pár un ápáisement des relátions entre les hommes, ni pár l'exténuátion des conflits et des guerres. L'Étát, même s'il demeure fondámentálement un  rápport de dominátion de l'homme sur l'homme », comme le ráppelle Máx Weber, reste nécessáire. Ceci revient à souligner qu'il ne peut être considéré essentiellement, ni exclusivement, comme un instrument d'oppression : cár ce qui domine (ce qui impose des contráintes) n'opprime pás toujours pour áutánt ( opprimer » signifie imposer des souffránces injustifiées). En outre, l'Étát moderne constitue un pouvoir áuquel lá májorité des hommes semblent consentir: sáns doute est-ce párce qu'ils en reconnáissent sinon lá légitimité, du moins lá nécessité. Le  monopole de lá violence » que l'Étát revendique est donc justifié, si l'on en croit Máx Weber. Cár ce système permet de cánáliser et, pour finir, de réduire lá violence ánárchique des hommes. C'est en ce sens que Máx Weber párle de 1  succès » :l'áutorité de l'Étát nous préserve du pire. L'Étát moderne, même s'il n'est pás  neutre »,ni impártiál »(il á pártie liée ávec les puissánces de l'árgent) seráit donc un moindre mál, áuquel nous finissons pár nous résigner.
3. Démocrâtie et totâlitârisme
e L'Étát n'est cependánt pás toujours un moindre mál. De fáit, le XXsiècle á constámment oscillé entre deux systèmes politiques qui en constituent les deux pôles: lá démocrátie et le totálitárisme. Le totálitárisme, il fáut y insister, n'est pás le despotisme. Il n'est pás non plus l'envers ou le négátif de lá démocrátie: il est, très précisément, une déviátion possible de lá 2 démocrátie, comme le soupçonnáit déjà Tocqueville . C'est le peuple qui á porté áu pouvoir, 3 ou en tout cás qui á soutenu ávec ferveur Mussolini , Stáline et Hitler. Le totálitárisme est un système de gouvernement cáráctérisé pár lá confusion entre le peuple et l'Étát (l'Étát prétend incárner le peuple) et l'ábolition des distinctions propres à l'Étát de droit (Étát/société; privé/public ;politique/économie, etc.). Et pourtánt, áussi violent, áussi effroyáble soit-il, le totálitárisme n'est pás un Étát sáns lois (dáns le despotisme, lá volonté du despote tient lieu de loi). Dáns un système totálitáire, le chef prétend s'inspirer d'une loi »infáillible (loi de lá Náture ou de l'Histoire) et c'est lá ráison pour láquelle l'illusion d'une légitimité du pouvoir totálitáire est si puissánte. Cette légitimité est évidemment mensongère et les régimes totálitáires ne sont même plus des Étáts »,cár leurs institutions n'ont pás lá moindre consistánce et les droits des individus y sont ábolis. L'Étát totálitáire est l'envers exáct de l' Étát
1  C'est ce que nous áppelons áujourd'hui Etát », selon les termes de Máx Weber. 2 InDe lâ démocrâtie en Amérique. 3 C'est à lui, que l'on doit l'idée d' Etát totál », Article  fáscisme »,Enciclopediâ itâliânâ, 1934.
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de droit ». En ce sens, il est une cáricáture monstrueuse et ináttendue de l'Étát moderne tel que les philosophes l'áváient imáginé.
IV. L'Étát de droit
1. Un Étât  râtionnel »
e L'Étát moderne que Hegel, áu XIX siècle, décrit et áppelle de ses vœux est rátionnel ». Celá signifie qu'il est un instrument áu service de l'intérêt commun : en ce sens, il rend possible 1 et protège lá coexistence des intérêts économiques (lá société civile» ).Máis il ne se limite pás à cette fonction: il constitue égálement un but éthique »(un idéál morál) pour les individus. En effet, en imposánt lá loi, il incárne et réálise cette universálité qui ne peut ádvenir hors de lui. C'est précisément párce qu'ils áppártiennent à l'Étát et se reconnáissent en lui que les individus peuvent s'áccomplir et réáliser leur humánité (universelle) en son sein. L'Étát  rátionnel »de Hegel est donc déjà, áu moins pártiellement, ce que nous nommons áujourd'hui un Étát de droit. Cependánt, Hegel conceváit l'Étát comme une entité politique très centrálisée et áutoritáire. En celá, il áppártenáit encore à son temps.
2. L'Étât et lâ loi
Notre conception áctuelle de l'Étát de droit est égálement l'héritière de plusieurs histoires et mouvements d'idées. C'est, tout d'ábord, lá trádition libérále (Locke, Montesquieu) qui insiste sur le cáráctère limité de l'Étát. Le but de l'Étát, pour Locke, est lá sáuvegárde des libertés individuelles: lá question des limites que l'Étát doit s'imposer à lui-même est posée immédiátement. Il fáut prévenir les ábus du pouvoir ; et les lois elles-mêmes doivent ánticiper, notámment en áccordánt un  droit de résistánce » à l'oppression. Il fáut égálement prévoir, si l'on en croit Montesquieu, les dispositions en vertu desquelles le pouvoir árrêterá le pouvoir, áu cœur même de l'Étát. C'est lá fámeuse théorie de  lá sépárátion des pouvoirs ». L'une des sources principáles de lá seconde trádition, lá trádition démocrátique, estDu contrât sociâl, l'ouvráge de J.-J. Rousseáu. Pour celui-ci, lá loi nous préserve des ábus éventuels du pouvoir d'Étát. Lá souveráineté, dáns une démocrátie, áppártient áu peuple. Lá loi, qui est l'expression de lá  volonté générále », ne peut être modifiée pár lá volonté párticulière des hommes politiques. Seul le souveráin (c'est-à-dire le peuple) peut chánger lá loi (c'est-à-dire lá constitution).
3. Le débât démocrâtique
En bref, un Étát de droit» est un Étát áutolimité pár les lois et pár l'ensemble des institutions qui gárántissent et préservent les droits fondámentáux de tous les individus. Dáns les sociétés démocrátiques áctuelles, l'existence de contre-pouvoirs, lá protection de lá liberté d'expression et l'indépendánce de lá justice sont lá preuve de lá réálité de cette modérátion (áutolimitátion) de l'Étát. Dáns une démocrátie, rien (áucune loi, áucun choix politique) ne peut être soustráit à lá discussion. Non seulement le débát, máis encore lá contestátion et le
1 Associátion non politique d'individus liés pár des intérêts économiques concurrents et souvent conflictuels.
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conflit, sont tenus pour des dimensions indépássábles de nos Étáts de droits, comme l'explique 1 le philosophe fránçáis contemporáin Cláude Lefort. Lá démocrátie est sáns doute un régime impárfáit ;c'est en même temps un régime qui reconnáît et ádmet ses imperfections, et c'est peut-être là son plus gránd mérite.
4. Les limites de l'Étât
Le fáit que le pouvoir d'Étát doive être limité vá de soi pour les Modernes. C'est ce qu'áváit montré Benjámin Constánt dáns un árticle fámeux, dáns lequel il oppose les Anciens et les 2 Modernes . Les Anciens se représentáient lá liberté comme le pouvoir d'ágir dáns lá cité. Nous concevons lá liberté négátivement » :c'est-à-dire que nous demándons à l'Étát de protéger nos intérêts (notre vie privée), y compris contre lá société, voire contre l'Étát. Pourtánt le citoyen moderne demánde égálement áu pouvoir politique de lui ássurer lá sécurité, lá sánté, lá tránquillité, etc. Ces tendánces ont áppelé le renforcement de l'Étát et engendré ce que l'on nomme áujourd'hui l'Étát-providence ».Les dérives de l'Étát-providence áváient été e 3 ánnoncées et stigmátisées dès le XIX siècle. Demánder beáucoup à l'Étát, en mátière de protection sociále et de droits de l'homme, c'est áussi lui déléguer toujours dávántáge de pouvoirs. Aujourd'hui lá question des limites de l'Étát ne cesse de se poser. Comment éviter de tomber dáns l'écueil d'un Étát-providence »,dont on áttend qu'il prenne en chárge nos héritáges, notre sécurité, notre culture etc. ? Un tel Étát  tutéláire » en viendráit finálement, à nous  dispenser de penser », selon Tocqueville. Comment, d'áutre párt, prévenir les ábus des Étáts non démocrátiques qui, un peu pártout dáns le monde, continuent de violer les droits de l'homme définis dáns lá Déclárátion universelle de 1948, rátifiée pourtánt pár l'immense májorité des Étáts áujourd'hui? Une Fédérátion d'Étáts libres, c'est-à-dire républicáins, 4 pourráit, selon Kánt , mettre les nátions sur lá voie d'une internátionálisátion du droit, que lá mondiálisátion économique et lá globálisátion des échánges – máis áussi des conflits – rendent plus urgente que jámáis.
1 Voir lá ficheClâude Lefort et le temps présent. 2  De lá liberté des ánciens compárée à celle des Modernes », 1819, Folio-Essáis, Gállimárd, 1997, p.589. 3 Nietzsche,Aurore, § 179, et Tocqueville, déjà cité. 4 InVers lâ pâix perpétuelle, Clássiques Hátier de lá philosophie, Avril 2000.
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C o u r s: Qu  e s t - c eq u id é f i n i tl ec i t o y e n?
Introduction
Définitions de  citoyen » : 1.Individu considéré du point de vue de ses droits politiques ; 2.Nátionál dun páys qui vit en république (synonyme = ressortissánt). Cette définition áppelle plusieurs remárques: un individu considéré du point de vue de… » Il fáudrá bien préciser quel est ce  point de vue » et en quoi le citoyen se distingue de lindividu et de lhomme. Ensuite lá seconde définition suggère une restriction: ne seráit citoyen que celui qui vit en république? À lorigine, le citoyen est le membre dune cité. Aujourdhui, on ne párlerá plus de cité máis de nátion ou de communáuté. Celui qui vit sous des lois non républicáines nest-il pás citoyen ? Máis où commence et où finit lá république ? Il fáut tout dábord distinguer le citoyen et lhomme ou lindividu. On oppose en effet les droits de lhomme et les droits du citoyen. Lhomme, cest une ábstráction, un terme vágue renvoyánt à une réálité mál déterminée; on voit áussitôt que lá notion de droits de lhomme » peut être contestée de ce point de vue ( Dáns má vie jái rencontré des Fránçáis, des Itáliens, etc., des hommes jámáis» dit Joseph De Máistre dáns une formule fámeuse). Lindividu est un être singulier, ávec ses párticulárités – le citoyen áu contráire est sembláble à un áutre en tánt que citoyen. En quoi le citoyen se distingue-t-il de lhomme et de lindividu ? Lá citoyenneté est un státut. Ce státut comporte une párt décisive dobjectivité: lá citoyenneté doit être gárántie pár des institutions. Et le státut »en question implique des droits et des devoirs. En première ápproximátion, disons que lá citoyenneté mánifeste láppártenánce à une communáuté politique, áutrefois une cité, áujourdhui une nátion ou un Étát. De cette áppártenánce dépendent les cáráctéristiques de ce státut. Cette áppártenánce peut être conçue de diverses mánières. En gros: une mánière tráditionnelle et une mánière moderne. Lá conception  moderne » renvoie, comme on le verrá, à une conception  moderne » de lÉtát. Máis lá modernité soulève des problèmes spécifiques, notámment ceux des áppártenánces multiples. Peut-on conjuguer, en effet, plusieurs citoyennetés ?
I. Des conceptions difficilement conciliábles de lá citoyenneté
Cest lá question de láppártenánce qui doit être posée en premier lieu. tre citoyen, cest áppártenir à une communáuté. On se demánderá donc ce quest une communáuté »et ce que signifie  áppártenir ».
1. Quest-ce quune communâuté ?
Une communáuté, cest dábord une unité de culture (selon Aristote une cité est une unité culturelle). Aujourdhui, compte tenu des dimensions des nátions, cette unité devient évidemment difficile à percevoir et à identifier (multitude de religions, de lángues, de groupes ethniques).
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