La vie se moque d être aigre-douce
156 pages
Français

La vie se moque d'être aigre-douce , livre ebook

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156 pages
Français

Description

La vie, qui se moque d'être aigre-douce, sait qu'elle sera vécue. Elle, qui s'en fout de sa saveur, sait qu'elle sera bue jusqu'à la lie. Qu'elle soit une acide réalité pour un horoscopiste déjanté, ou bien une résurrection tropicale pour une machine en Chine, qu'elle soit soudain saumâtre pour un vieux fou soignant sa déraison par la démence, la vie ne demande qu'à être savourée par les gourmands d'elle.


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Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2014
Nombre de lectures 28
EAN13 9782336358239
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Béatrice Ammera Mendo
LA VIE SE MOQUE D’ÊTRE AIGREDOUCE
Recueil de nouvelles
Lettres camerounaises
La vie se moque d’être aigre-douce
Lettres camerounaises Collection dirigée par Gérard-Marie MessinaLa collectionLettres camerounaises présente l’avantage du positionnement international d’une parole autochtone camerounaise miraculeusement entendue de tous, par le moyen d’un dialogue dynamique entre la culture regardante – celle du Nord – et la culture regardée – celle du Sud, qui devient de plus en plus regardante. Pour une meilleure perception et une gestion plus efficace des richesses culturelles du terroir véhiculées dans un rendu littéraire propre, la collectionLettres camerounaises s’intéresse particulièrement à tout ce qui relève des œuvres de l’esprit en matière de littérature. Il s’agit de la fiction littéraire dans ses multiples formes : poésie, roman, théâtre, nouvelles, etc. Parce que la littérature se veut le reflet de l’identité des peuples, elle alimente la conception de la vision stratégique. Déjà parus Gabiel TAGNE,Cellule, 2014. OPIC SAINT CAMILLE,Un cœur n’aime qu’une seule fois, 2014. Rabiatou NJOYA,Les cloches du prédateur. Œuvres variées, 2014. Emmanuel NDJERE,? EntreUne vie austère ou une galère tradition et modernité en Afrique, 2014. Gabriel DEEH SEGALLO (coord.), L’Enfant Bamilékéet autres nouvelles. Anthologie des écrivains Bamougoum,2014. ÉPINGLÉ,La poubelle ou Les mystères de la vie, 2014. Moussa MBOUÉ,La démocratie de la Calmantie, 2014. Paul BITOUK,Les mots de mon silence, 2014.Paul BITOUK,La lune d’or, 2014. Romuald Marie AVINA,Souffle des aurores, 2014. Floréal Serge ADIÉMÉ,Miroir du monde, 2014. Christiane OKANG DYEMMA,Éclats de soleil nocturne, 2014.
Béatrice Ammera Mendo
La vie se moque d’être aigre-douce Recueil de nouvelles
© L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-03948-0 EAN : 9782343039480
QUAND LES CRAPAUDS ENGUEULENT LES ÉTOILES
À nouveau village, nouveaux clients, foi de colporteur. Bon, quand on vend de bonnes ou de mauvaises nouvelles, le problème de la clientèle est très délicat. Quel client aimerait être roi d’une mauvaise nouvelle? Roi de la déconfiture ? Le tout tient alors dans l’emballage de la marchandise… Marchandiseemballée, achetée, bien déballée et plus jamais reprise… parce qu’on ne peut pas reprendre une nouvelle, bonne ou mauvaisequ’on a jetée dans les oreilles du client, et en même temps au vent, qui est toujours là, indiscret, qui épie les vies des hommes. À nouveau village, nouveaux clients, nouvelle harangue du colporteur de nouvelles. Zorro Astre est mon nom ! Retenezle ! Il se garda d’ajouter «spécialiste professionnel des horoscopes essentiellement à but lucratif », comme il l’avait jadis imprudemment et hâtivement professé, devant un public peu averti, incrédule et près de ses sous ; ces rustres habitants de Zoétélé. Il aurait simplement dû dire : je vous vends des nouvelles de votre vie, parce que je la vois comme vous ne pouvez pas la voir, parce que vous ne pouvez pas vous voir passer dans la rue depuis votre case. Vous devez donc payer celui qui vous voit passer, et qui vous décrit sous votre meilleur jour. Il faut bien récompenser celui qui vous dit, comment vous serez beaux, les bons jours. Les bons augures sont rares, constamment étouffés qu’ils sont par la
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jalousie et la malveillance humaine, régulièrement exagérés par toutes sortes de flatteries. Il aurait dû dire : je vous vends donc les meilleures nouvelles de votre vie, passée et future. Il ne l’a pas dit, du moins aussibrièvement. Il a tiré des plans sur la comète, promis mille lunes, mille monts et mille merveilles, bâti des Espagne remplies de châteaux, ouvert les portes de millejardins d’Éden. Plus d’une fois, ses promesses ont taquiné la myriade. Alors, les clients ont sans doute surestimé la marchandise présentée ainsi de manière trop savante, trop grandiloquente. D’où le sentiment de la majorité de ne pas en avoir eu pour ses sous. Chacun avait eu sa part de promesses d’une vie meilleure,mais pas un seul début prometteur de réalisation. Myriades de promesses qui avaient accouché des myriades de souris. Montagnes qui n’avaient accouché de rien, qui avaient avorté des futurs mirobolants promis par Zorro Astre. Làbas, il connut donc les affres de la prédiction stérile. Maladie qui ronge les horoscopistes(comme il s’était proclamé) commeune peste, surtout s’ils n’ont pas suffisamment différé la réalisation, leurs prédictions, et que le temps les rattrape et établit leur forfaiture. C’est au pied du mur de la réalisation qu’on juge la promesse maçonnée par tout quidam qui se proclame architecte de l’avenir des gens. Ce genre d’échafaudage ne peut qu’être brinquebalant, tant sa fondation est faite de supputations et autres légèretés. Quand on prédit tout et n’importe quoi, il faut s’assurer d’être hors de portée quand les prédictions seront réputées irréalistes et irréalisables.
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Il avait trop prédit, était resté trop longtemps parmi ses clients. Il avait payé le prix de sa tromperie sur les prédictions : un bannissement injuste selon lui, après des prédictions non rémunérées, mais pourtant ouïes d’une oreille complaisante et reconnaissante. Prédictions pour singes payées en monnaie de singe. Les rustres habitants de Zoétélé l’avaient écouté comme des singes et payé comme des singes, en monnaie grimaçante et silencieuse comme une infamante absence. Il les avait quittés banni et sans le sou. On ne lui avait rien donné, mais on ne lui avait rien pris non plus. Il avait encore de la marchandise à vendre. Il avait encore sa bouche, plus exactement son extraordinaire bagout, pour propager sa science des augures et des prodiges. C’est la bouche de l’homme qui l’enrichit ou l’appauvrit, et sa bouche était la bouche des miracles.Miracles qui naissaient dans sa bouche effectivement, puis s’en allaient à l’assaut du monde crédule, en mots ronflants, mais ô combien persuasifs. Oui, les mots de sa bouche, comme jadis Jésus, marchaient sur les eaux. Sur les eaux dormantes de la crédulité. Donc peutêtre pas comme Jésus… qu’à cela netienne, il subjuguait bien quelques âmes… Bon, moins bienque Jésus, mais ce n’était pas là un motif de jalousie. Quand Jésus reviendrait, il verrait bien que certains avaient essayé de faire comme lui, non pour l’égaler, mais pour lui rendre hommage. Ainsi donc, ce public nouveau aurait tout le temps de découvrir ses performances quasi christiques, lui qui lisait la vie des gens dans les étoiles, lui qui pouvait leur dire ce qui était écrit pour eux dans les cieux, à titre onéreux, parce que sa perspicacité avait un prix comme toute chose exceptionnelle et efficace. Àtitre onéreux parce qu’il faut
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bien manger pour vivre, vivre pour aider les gens à voir clair dans leur passé, leur présent et leur futur. Allez donc secourir votre prochain avec le ventre vide. Ventre affamé n’a d’autrephilosophie que la prosaïque sustentation, et comme le dit l’adage, les oreilles sont sourdes au développement de ce paradigme alimentaire carencé. Toute audace s’arrête devant un gargouillis intestinal de protestation. Point de cœur au ventre dans un ventre creux.Inutile de saluer le ventre creux, jamais il ne sera bon entendeur. Inutile de blâmer Zorro Astre, le ventre plein, il était capable d’attirer à lui toutes sortes d’entendeurs, et autant de payeurs potentiels. Il avait le don de faire venir à lui les foules, quoiqu’il ne sache pas toujours les retenir.Gober ou ne pas gober, là était le paradigme existentiel des foules. Heureusement, il avait marché plus vite que sa réputation, qui en était encore à faire des gorges chaudes à Zoétélé. Il lui fallait donc subjuguer quelques nouveaux clients et vendre sa prodigieuse clairvoyance en terrain où il était encore inconnu. Une étoile planait sur le ciel de Meyila, grand village récemment érigé en district et dépendant de l’arrondissement de Zoétélé. Une étoile dont on n’avait pas voulu à Zoétélé,qu’oneût rejetée comme jadis le Messie… plus que le Messie, car il avait été rejeté par tout un village de Judas. Uneétoile qu’on avait spoliée de ses gains légitimement attendus comme convenu, gains inhérents à des prédictions qu’on avait jugéesincongrues. Ce qui n’avait en rien entaché sa brillance, parce que si la bave des hommes atteignait la blancheur des étoiles, nous
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aurions des océans visqueux audessus de nos têtes et non la Voie lactée. Zorro Astre… C’est en quelle langue ça? Ce n’est pas un nom de chez nous en tout cas. Bekila, Bekombo, Oyono, Akouafane, Obounou, voilà de vrais noms bien de chez nous ! Ou bien c’estton nom de star ? demanda Nkonda, adepte de la peopolisation villageoise. Nkonda était l’ancien tambourmajor de l’ancienne maigre fanfare de Meyila. Fanfare qui avait prématurémentarrêté ses activités, faute d’instruments, de musiciens, et de manifestations nécessitant la présence d’une fanfare. On n’avait trouvé personne pour jouer à l’unique trombone de la fanfare, les musiciens lui préférant le tamtam auquel ils jouaient magnifiquement. Seulement,tous en étaient d’accord,la petite composition musicale ne pouvait plus s’appeler fanfare dès qu’untam tam s’en mêlait. Nkonda est donc à présent «l’aide de camp » du chef du village.
C’est pour le commerce,commenta Abessolo, effronté qui voulait se faire plus perspicace que le liseur de vies des gens dans les étoiles, en lisant la bave des crapauds qui était à sa portée, et en négligeant de ce fait la blancheur éthérée des étoiles, les yeux encrassés par sa lecture glutineuse.
Abessolo est «l’aide de camp» de Nkonda. Les villageois l’appellent «l’aide de l’aide». Ce qui ne l’offusque outre mesure, ilsait qu’un jour, il montera en grade. Non seulement il sait lire, enfin… il ânonne comme il peut des mots qu’il prétend ainsi lire, alors que Nkonda ne sait pas lire du tout. De plus, ce dernier a la santé fragile.Bon, il l’aide un peu à avoir la santé fragile, en lui faisant ingérer régulièrement cette décoction censée revigorer ses chairs faiblardes que Nkonda appelle d’ailleurs pompeusement «le démarreur», et qui n’est qu’un poison quipar le tuer lentement mais finira
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