Rotrouenges
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Recueil de rotrouenges

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Publié le 19 novembre 2011
Nombre de lectures 235
Langue Français

Extrait

A• En quatrains
01-Foudre assassine.
Elle avait pris la pente en cheminant Seule, ce soir, dans le bois voisinant Son pauvre abri, sous le ciel fulminant, Faisant fi de l'orage.
C'était l'amour perdu la chagrinant Qui dirigeait ses pas ; et, trottinant, Sur son foulard, grêle tambourinant, Eut sur elle l'orage.
La foudre frappa fort, la calcinant Au pied d'un pin. Le vent, déracinant L'arbre, fit voir son corps dégoulinant De feu. Maudit orage !
Sur son tombeau ; l'oiseau bleu, serinant Son nom d'un air tristement fascinant, Fait son abscons récit, en jaspinant, En insultant l'orage.
02-Les victimes de la faim.  
J'ai vu ce noir rejeton de Misère Pleurer les os que sa vorace mère Jetait sans oraison et sans suaire Dans les tombeaux.
Nés pour servir de proie à la famine, Ces nourrissons que l'ogresse assassine Sont un maigre festin pour la vermine Des froids tombeaux.
Un nord où tout fleurit, un sud en cendres ! Taisez-vous, jacassiers, vos mots si tendres Sont tels des rus desséchés, sans méandres ! Bonjour tombeaux !
La mort d'autrui ne peut avoir de larmes En vos yeux fous que les éclairs des armes Rendent joyeux, malgré les grands vacarmes Des vieux tombeaux.
03-Boisson céleste.
Boire les vers, ne jamais dessouler, Voyez-vous ici-bas meilleure ivresse ? Amis, les mots juteux sont mûrs ; on presse ! Leur bon vin doit couler !
Au premier bol, je vous vois roucouler Aux pieds des muses qui, si guillerettes, Vous font aimer le jus des rimes blettes Dont le vin doit couler !
L'esprit, grisé, se met à dérouler Ses parchemins honorant les vendanges. De la cuvée, est-il dit par les anges, Tout le vin doit couler !
Buvez encor ; oui, quitte à chambouler Sur les talus où murissent les grappes. Remplissez-en vos capuchons de capes D'où le vin doit couler !
04-Avant l'hiver.
Il pleut à flots ; déserts sont les trottoirs. Un vent glacé pousse d'horribles thrènes. Les âmes sont déjà dans leurs dortoirs, Se délassant de leurs peines.
Les toits rouillés aux grincements plaintifs Laissent passer l'ondée. O chairs humaines Tremblant de faim, de froid ; vos airs chétifs Me font plus de mille peines !
Que ferez-vous, bons gueux, l'hiver venu, Sans pain ni feu, planter ses nuits vilaines Au noir mordant sur votre bled tout nu Geignant sous des tas de peines ?
Je vois la mort rôder aux alentours, La faux fin prête à couper vos haleines. Elle pourra libérer, pour toujours, Vos corps de l'étau des peines ?
B• En quintils
01-L'oiseau captif
Ecoutez bien mes mots, disait un sage : L'oiseau ne chante pas s'il est en cage, Il gémit mais, ignorant son langage, On croit mélodieux son faux ramage. Il pleure sa liberté.
Un rossignol, loin de son paysage, Perd la flûte qu'il a dans un bocage, Près d'un ru vert murmurant à l'ombrage Pour le plaisir du promeneur volage Amoureux de liberté.
C'est au sommet d'un mont au bel alpage Qu'il se plait à chanter, sans découpage. Le philomèle est gai près d'un rivage Où le zéphir surmonte tout barrage Au nom de la liberté.
O bel oiseau, craignant plus que l'orage Le filet du chasseur, sur cette page, Je dis que je te plains car ton image N'a plus d'attrait ; tu vis tout seul ta rage ; Dépourvu de liberté.   Dans la geôle où se déteint son plumage, Loin des feuillus au bel état sauvage De ton milieu, tu n'es que vain mirage Abreuvant de tes pleurs de pauvre otage Les tueurs de Liberté.
02-Rien n'est plus pareil !
Hier n'est plus ! Le monde a trop changé ; Les gens aussi ! Le ciel paraît frangé : L'acier des tours, de verrières, langé Ne laisse voir qu'un toit sale, orangé Par un reflet sans vie.
Les murs bordant l'espace goudronneux Ont pris l'air de tableaux fuligineux, Ressuscités de l'âge caverneux, Fort détestés par les regards haineux Des galopeurs sans vie.
Les jardins des maisons, peu naturels, Font mal aux yeux par les tons irréels Des arbres mal taillés par des mortels Ne sachant rien des travaux manuels. Pauvres charmes sans vie !
Etangs et lacs n'ont plus les mêmes eaux D'antan. On n'y voit plus les gais oiseaux Venus d'ailleurs surpeupler les roseaux, Ni les poissons exhibant leurs museaux. Je vous plains, rus sans vie !
Où vivons-nous ? On a tout enlaidi. La main de l'homme a tout abâtardi Même la mer voit son flot engourdi Sous le mazout l'ayant trop affadi ; Vagues noires, sans vie !
03-Aux bafoueurs des rimes.
Mes vers fanés n'ont guère d'avenir En ce monde où surabonde l'ivraie. Point son chemin la rime ne se fraie Dans les esprits cherchant à la bannir Car, dit-on, surannée !
Laissons couler les mots sans les garnir De ces décors ! Et que de cris d'orfraie Pour réduire en brûlis la roseraie Dont ils font la couleur pâlir, ternir, Car, dit-on, surannée !
Mais voyez leurs écrits ! C'est à honnir, A mettre en feu leur vaste ronceraie Qu'ils prennent pour un champ à flore vraie ! Et qu'il faut donc, de la rime assainir Car, dit-on, surannée !
O folie ; aurais-tu, pour démunir De leur raison, ces crieurs dont s'effraie La poésie, un coup de rouge craie Pour les barrer ? La lyre doit finir Car, dit-on, surannée !
Voyons, le ciel oserait-il bénir Sans qu'il y ait de semence une raie ? Que non ! Le sol, pour du bon blé, s'enraie ; Fou qui voit donc Rime sans avenir, Car, dit-on, surannée !
04-Le soir des miséreux. 
Un vent glacé fait gémir la forêt Dont pas un cri ne brise le silence Imposé par le soir. Le minaret A disparu dans la brume si dense Virevoltant très bas.
On dirait le vieux bourg un lazaret Où sont terrés des gens en décadence Faute de soins, et dont le cœur est prêt A déserter sa minable existence Se déroulant très bas.
Aux alentours des murs, meurt le guéret Dont les sillons que la nuit ensemence De gel tombant, tout l'hiver, sans arrêt Sur ce bled que maudit la providence, Qui vit mal et très bas.
Jamais ce coin n'eut le moindre intérêt Des gros bedons ignorant la souffrance Des affamés que voile un long muret Clôturant les gourbis de l'indigence Aux mesquins toits très bas.
Lorsque la mort brandit son couperet Sur cet endroit ; c'est, contre la carence Le seul secours ! On part sans nul regret En bénissant l'heureuse délivrance. Adieu, monde très bas !
05-La terre souffre. 
Enterrée est la conscience humaine. L'acier, cracheur d'obus, s'est débridé. D'est en ouest, notre monde est vidé Du sens moral, du bien. Partout la haine Jonche le sol de morts.
Les lois du ciel ont été blasphémées Et l'Amour du voisin banni des cœurs Favorisant, aux dépens des valeurs, Les intérêts glanés par les armées Pillant vivants et morts.
Pauvre terre ! Les loups, devenus pâtres, Se délectent du sang de tes agneaux Privés de prés, épars tels des moineaux Dans un terroir aux clôtures noirâtres Où brûlent des corps morts.
A quand l'éveil des âmes encor pures ? Du nord au sud, la vie est aux abois Tout est souillé ; plus de lacs, ni de bois Ni de bel air, ni de fraîches natures... Monts et vallons sont morts.
Au secours, au secours, hurle l'enfance A mes espaces verts, à mes jardins ! Prenez l'habit des justes paladins Pour me sauver des griffes de l'errance Parmi les tas de morts.
06-A mes prés d'enfance. 
O prés que le soleil ensorceleur Flatte de ses rais d'or ; beauté florale Que le vent fait danser ; quel bon fileur Pourrait tracer la grâce partorale Dont vous charmez les yeux ?
Même le soir, quand dort le papillon Et rentre à son rucher la belle abeille, De loin s'entend le cri-cri du grillon Epris des ris de la lune vermeille Offrant son clair aux yeux.
O prés que l'aube vient tôt chamarrer De perles de rosée et tout reteindre De sa clarté, ne pouvant comparer Vos agréments ni même les dépeindre, Je m'en remplis les yeux.
Quand, le matin, je longe les ruisseaux Se faufilant parmi votre verdure ; Je m'en vais en frôlant les arbrisseaux Vous tenant lieu d'élégante bordure Qui fait briller les yeux.
Vivrais-je encor longtemps privé de l'air Si frais, si pur, au vrai parfum champêtre De ces prés où j'ai dû passer le clair De mes ans doux ? Irais-je me repaître, De leurs grâces, les yeux ?
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